Avec le barman qui veut vous faire boire de la viande d'élan
Photo : Philippe Lévy

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Avec le barman qui veut vous faire boire de la viande d'élan

Adieu Mojitos, Sex On The Beach et autres Cosmopolitans ; pour Alex Kratena, l'avenir du cocktail est dans le combo cocktail et bouffe.

J’ai quitté mon boulot alimentaire il y a une semaine, pour renouer avec ma passion : gratter des « évents avec des cocktails et de la bonne graille ». Quand un pote m’a proposé de l’accompagner à une soirée au Palais de Tokyo parfaitement dans le thème, j’ai accepté derechef. Bouffe gratos ? Check. Boisson gratos ? Double check. Perspective de pige payée au lance-pierre ? Coup du chapeau.

Toutes les photos sont de Philippe Lévy.

Organisée dans le cadre de la Paris Cocktail Week – l’équivalent de la Fashion Week pour les amateurs de spiritueux ou de Virgin Caipirinha – la petite sauterie avait lieu aux Grands Verres et avec elle, la promesse d’être nourri et traité comme un prince.

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Pour piloter derrière le zinc, Alex Kratena et Monica Berg, deux sommités descendues tout droit de la planète « alcool ». Le premier a longtemps été à la tête du très réputé bar londonien l’Artesian – avant d’être accessoirement sacré meilleur barman du monde en 2012. Ensemble, ils ont fondé P(OUR) (appréciez le jeu de mots avec la traduction de « verser », en anglais), un collectif de réflexion autour de la picole qui organise régulièrement des conférences dans lesquelles on s’interroge sur des sujets tels que « Le vin est-il genré ? » ou « Quelle est la place de la maternité dans l’industrie de la boisson ? ». Une belle brochette d’intellos de la tise, en somme.

Pour cette séance de bichonnage, Alex et Monica proposaient six cocktails. Ils étaient presque sans alcool et tous associés à un plat. Plaisir assuré pour les papilles. Pas besoin d’être un expert en gastronomie pour reconnaître que les mélanges de goûts sont subtils et les combos proposés créatifs – pour ne pas dire osés.

Un shot de kombucha et de champagne à boire après une huître, des pommes de terre au céleri accompagnées par un mix Seedlip Garden, vin et petit-lait ou encore un jarret d’agneau braisé servi avec un cocktail à base de vin d’airelles, de verjus et d'élan. Que demande le peuple ? J’ai profité de cette expérience culinaire unique pour discuter avec Alex de cocktails, de leur place dans la gastronomie et de son mélange à base de viande de cervidés.

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MUNCHIES : Salut Alex, c’était important pour Monica et toi de proposer des combos cocktails et bouffe ?
Alex Kratena : On est passionné par l’association cocktails et nourriture. On aime aussi créer un dialogue entre les chefs et les barmans. On apprend toujours beaucoup de ces rencontres. Du coup, quand l’idée s’est présentée aux Grands Verres, on a sauté sur l’occasion. Après, le plus important, c’est d’aller de l’avant et présenter des ingrédients palpitant à nos invités.

En parlant d’ingrédients palpitants, l’un de vos cocktails contient de l’élan. Tu peux m’expliquer comment on fait pour mettre un cervidé dans un cocktail ?
On a fait macérer de la viande d’élan fumée dans de l’éthanol. Le liquide a ensuite été filtré, dilué et mélangé à une solution contenant du sucre et de l’acide. Et on a utilisé une toute petite quantité de ce liquide au goût de viande, salé, âcre et sauvage pour ajouter un peu plus de profondeur, de corps et de complexité à une boisson faite à base d’airelles rouges fermentées.

Comment choisissez-vous le type de plats que vous associez à chaque boisson ?
L’essentiel, c’est le travail d’équipe. Les combos ne peuvent fonctionner si chacun bosse de son côté. Il faut échanger des idées, tester, goûter et réessayer : voilà ce qui fait la différence entre le succès et l’échec. En général, je pense à un plat basique et j’essaye de trouver une boisson qui complète les caractéristiques fondamentales de ce plat.

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Les cocktails et la nourriture doivent être considérés comme deux éléments compatibles. L’acidité d'une boisson peut par exemple avoir un impact sur la perception de l’aigreur d'un plat. Ce soir, on a mis du petit-lait dans un cocktail pour accompagner un plat à base de pommes de terre. Le petit-lait ajoute de la texture qui manquait au cocktail sans alcool.

Qu'est-ce qui fait un bon cocktail ? Est-ce que vous suivez un procédé précis pour les créer ?
En créant un cocktail, il faut se concentrer sur ce qu'on veut exprimer en termes de saveurs plus que sur le type de boisson que l'on souhaite créer. Je pense que les barmans sont maladivement préoccupés par l'authenticité et ont tendance à accorder trop d’importance aux recettes classiques. À partir du moment où l’on jette des idées préconçues par la fenêtre et que l'on cherche une relation harmonieuse entre chacun des composants, il est plus facile de trouver un équilibre.

Le cocktail commence au moment où on choisit les ingrédients. Imaginer le produit dans sa globalité est essentiel pour anticiper la manière dont nous allons aborder les produits qui composent chaque boisson. Les saveurs, l’arôme, la texture, le goût une fois en bouche, l’intensité des saveurs, le lieu, le moment de la journée. On pense à tout ça. Des ingrédients similaires doivent avoir des saveurs qui contrastent, comme des ingrédients qui contrastent doivent avoir une saveur qui les lie. Et la question qu’il faut toujours se poser c’est « Est-ce que ce cocktail est délicieux ? »

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Tu as cofondé P(OUR), peux-tu m’en dire plus au sujet de cette organisation ?
On cherche à améliorer le milieu de la boisson en partageant de nouvelles idées, du savoir et des inspirations. L’activité principale de P(OUR) consiste à organiser des « symposiums » qui abordent les problèmes auxquels on est confronté. Il s'agit de conférences, de démonstrations ou de collaborations entre les barmans, les producteurs et les penseurs les plus influents du secteur.

Notre mission est aussi de soutenir des communautés qui produisent des ingrédients pour le monde de la gastronomie. En ce moment, on travaille avec Despensa Amazonica afin de les aider à créer une entreprise sociale spécialisée dans la production de sauce au manioc fermenté produite par une communauté indigène qui vit dans la forêt tropicale au Pérou.

Tu parlais de l’importance de ne pas se fier aux cocktails classiques tout à l’heure, qu’est-ce qu’on devrait apprendre aux nouvelles générations de barmans selon toi ?
Le milieu est en train d’évoluer à une vitesse incroyable. Mais cette vitesse peut aussi être un danger pour les clients comme pour les barmans. La première chose que vous apprenez à l’école de cuisine, c’est qu’être un chef est bien plus compliqué que ce que les gens imaginent. De la toque aux chaussures, tout est pensé pour la sécurité, l’efficacité et la propreté. En vrai, l’hygiène est d'ailleurs le premier sujet qu’on aborde.

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En plus de comprendre comment gérer la conservation par le froid ou la propreté des produits servis aux clients, il faut aussi apprendre à ne pas se blesser avec un couteau par exemple.

Quand on commence à l’école de barman, on apprend l’histoire, le système de production, les types de spiritueux, la différence entre un shaker et un verre à mélange. Ensuite, on se rend compte que les recettes classiques ne fonctionnent pas tout le temps. Si l’on veut avancer, on doit leur donner plus que des connaissances sur les produits, des recettes dépassées et de l’histoire avec un grand H.

Merci, Alex.


Vous pourrez retrouver Alex au P(OUR) Symposium 2018 les 3 et 4 juin prochain au Palais de Tokyo.