Il y a une guerre contre la porno et les humoristes sont aux premières lignes

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Il y a une guerre contre la porno et les humoristes sont aux premières lignes

Les pornstars en ont marre d’être l’objet de blagues et d’humiliation publique.

« Il y a une génération entière d’enfants dont le premier souvenir de leur président est celui d’un homme qui soutient les agresseurs d’enfants, les batteurs de femmes, le piratage russe et les pornstars. C’est notre responsabilité d’en faire un souvenir et non une constante. Nous avons tous une obligation morale. »

C’est ce que Chelsea Handler, une humoriste, animatrice et partisane enthousiaste et reconnue d’Hillary Clinton et de la vodka Belvedere, a écrit sur Twitter le 10 février. Le lendemain, l’humoriste devenu réalisateur Judd Apatow se permettait lui aussi de critiquer Trump et l’industrie pornographique en même temps. « Trump est pro-agression sexuelle, anti-environnementaliste, pro-pornstars, anti-droits des femmes, anti-soins de santé pour tous, pro-Poulet Frit Kentucky, anti-lecture, anti-exercice, pro-violence conjugale, pro-camp de Guantánamo, anti-sécurité des armes à feu, pro-attrapage de chattes. »

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Être déesse du foutre et punchline pour humoristes

Les actrices de films pornographiques ont l’habitude d’être utilisées comme punchline par des humoristes et d’être incomprises et jugées. Chris Rock, dans son spectacle Never Scared, rapporte qu’il a réalisé que son rôle en tant que père était de garder sa fille loin des poteaux de danseuses, ajoutant que, « si ta fille est une danseuse nue, tu as tout raté ».

L’actrice, auteure et réalisatrice Tina Fey semble également obsédée par les travailleuses du sexe. Dans son livre Bossypants, elle décrit l’odeur déplaisante de l’eau du robinet : « Comment puis-je décrire ça? C’est comme si tu faisais bouillir 10 000 œufs dans l’eau du bain d’une prostituée. » Dans un monologue pour Saturday Night Live, elle a déjà surnommé de « whores » les petites copines de Hugh Hefner, tout en soulignant qu’il ne faut pas condamner ces femmes-là « qui ne font pas ça pour l’argent, mais parce qu’elles ont toutes été agressées sexuellement par un ami dans la famille ».

Dans un épisode de la saison 5 de 30 Rock, une émission que Tina Fey produit, un personnage blague sur la mort de danseuses : « C’est ici qu’on célébrait des départs à la retraite. Il doit y avoir plein d’os de danseuses nues sous le balcon. » Même Tina Fey s’en confesse dans le numéro du magazine Vanity Fair du mois de janvier 2009 : elle adore utiliser les danseuses pour ses propres numéros d’humour. « J’adore les imiter. Mais l’idée de vraiment y aller? Je sens que nous devrions tous être mieux que ça. Cette industrie devrait mourir. »

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Susane Shepard, une danseuse américaine, faisait déjà remarquer en 2011, sur le site Tits and Sass, que ce genre de blagues déshumanisaient les travailleuses du sexe aux yeux du public. Elle écrivait qu’être vues comme des citoyennes de seconde zone les rend plus vulnérables aux crimes violents. L’acteur et réalisateur de films érotiques Mickey Mod a fait un lien semblable à la suite du tweet de Chelsea Handler. « À quel moment reconnaîtrons-nous la stigmatisation des travailleurs du sexe comme complice dans la mort de ceux que nous avons perdus. Votre honte est notre mort », a-t-il écrit à l’intention de l’animatrice de Chelsea sur Netflix, avant de renchérir que « Nous [les pornstars] offrons un divertissement légal que les comédiens ont utilisé depuis des décennies pour s’enrichir. Nous sommes en 2018 et votre stigmatisation des travailleurs du sexe est lassante et pathétique. »

Les blagues et le mépris complices de la mort des actrices pornos

En trois mois, les pornstars August Ames, Yurizan Beltran, Shyla Stylez, Olivia Nova et Olivia Lua ont toutes trépassé. Les circonstances de leurs décès sont toutes différentes – August Ames, qui avait déjà évoqué ses troubles mentaux, s’est pendue après avoir souffert d’intimidation en ligne à la suite d’une remarque jugée homophobe; Yurizan Beltran et Olivia Lua sont chacune mortes d’une surdose; Olivia Nova est décédée d’une infection urinaire qui avait atteint ses reins; et les causes du décès de Shyla Stylez, morte dans son sommeil, dans la maison de sa mère à Calgary, n’ont pas encore été établies.

Pour Vex Ashley, en entrevue avec Dazed, l’industrie de la pornographie est plus diversifiée et complexe que les spectateurs peuvent le croire, et elle n’a pas causé la mort des actrices. « Le vrai problème, c’est que nous considérons la porno et les personnes qui y performent comme culturellement et moralement sans valeur, jetables. Quand nous entendons parler de la mort d’actrices, les gens blâment évidemment l’industrie. Ce que nous devons vraiment faire, c’est travailler à réduire la stigmatisation liée au travail des actrices. »

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Rosie Hudson, qui fait son doctorat sur la pornographie, affirme aussi à Dazed que ce qui crée le plus de dommages, c’est le manque de soutien et la stigmatisation auxquels les travailleuses dans l’industrie de la porno font face. Susannah Breslin, une journaliste qui s’intéresse depuis une dizaine d’années à tout ce qui est en lien avec l’industrie du sexe, assène que la pornographie n’est pas le problème. « Le problème, c’est les consommateurs de porno. Nous regardons des films pornos piratés au lieu de payer. Nous nous tournons vers les actrices pour satisfaire nos désirs derrière des portes closes, mais nous tournons le dos à leur besoin : celui d’être vues comme des êtres humains. »

Bannir la porno pour éradiquer les problèmes du monde entier

Au lieu de les voir comme des êtres humains, capable de consentir à autre chose que des relations sexuelles la lumière fermée, un chroniqueur du New York Times, Ross Douthat, préférerait tout simplement bannir la pornographie. Selon Douthat, dans un monde sans porno, les hommes deviendraient plus respectueux. La pornographie leur apprend à être « irrités, furieux, sans motivation, à la recherche de possibilités sans précédent de gratification sexuelle et frustrés que les vraies femmes soient moins disponibles et plus compliquées que la version présentée sur leur écran ».

Gracia Bijoux, une escorte montréalaise, soutient qu’un double standard existe dans le milieu du divertissement. L’industrie pornographique est rapidement blâmée pour le sort des femmes qui y travaillent, alors que, lorsque les agressions sexuelles du producteur Harvey Weinstein sont discutées dans les médias, il n’y a personne pour blâmer Hollywood ou les films romantiques de corrompre toute la jeunesse d’aujourd’hui. « Personne ne parle de la gentillesse et de la servitude des princesses Disney qui se soumettent à leur prince, même quand le prince est une grenouille ou une bête monstrueuse et toujours en colère. La porno n’a rien inventé niveau domination. »

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La valeur des actrices pornos ne réside ni dans leur mort ni dans une double pénétration anale

Alors que le mari de feu August Ames proclamait, pendant un discours lors de la remise des prix Adult Video News Awards, le 27 janvier dernier, qu’il ne devrait plus jamais y avoir autant de jeunes femmes décédées à qui rendre hommage, l’actrice Kayden Kross l’écoutait et se répétait que les actions de ces filles mortes ne signifiaient rien dans la culture populaire.

« Nous sommes conscientes que notre travail fait l’objet de moqueries. Nous le savons que, pour le monde extérieur, cette remise de prix ne vaut rien, a-t-elle écrit pour le site Monster Children. Mais dans cette pièce, ça signifie quelque chose […] Pour ces filles mortes, ça a déjà signifié quelque chose. Ce que nous faisons est très personnel, et rien de personnel n’est superficiel. Notre travail est charnu, humain, quotidien, acharné, et nous savons ce que le monde extérieur voit, mais, plus important encore, nous voyons tout ça de l’intérieur. »

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En pleurs ou en rage, les travailleurs de l’industrie du sexe – Jizz Lee, Jenna Jameson, Sovereign Syre, Jessica Drake, Lee Roy Myers, Conner Habib, entre autres – ont manifesté leur désaccord sur les réseaux sociaux avec les propos humiliants de Chelsea Handler et de Judd Apatow. Ce dernier s’est rétracté sur Twitter, précisant qu’il était seulement en désaccord avec les pornstars si un homme avait une relation sexuelle avec l’une d’entre elles après être devenu père, « sauf si ta femme et ton enfant sont d’accord avec ça ». La valeur des actrices pornographiques ne devrait toutefois pas être réduite au montant d’une scène de bukkake ou à un trophée AVN. Elle devrait être réaffirmée au sein de la société et ne plus être une source constante de blagues morbides.