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Music

Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons viennent de sortir un gros barnum musical

Cocasse qu'il faille deux saltimbanques non issus du sérail de la « nouvelle chanson française » pour sortir l’album de chansons en français le plus habité et enthousiasmant de l’année.
interview, Tsirihaka Harrivel, Vimala Pons
© Tout ça que ça

Pour une fois, on a mal fait notre boulot mais on a eu raison. La logique aurait été d’assister au spectacle GRANDE de Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons, donné au 104 à Paris, avant d’écouter Victoire Chose, leur album, qu’on peut qualifier de tout sauf d’une bande-son. Au mieux une musique « inspirée par ». Surtout, une bande originale, très originale, différente, cinglée même. Mais cette découverte dans le désordre a eu du bon. On s’est pris Victoire Chose en pleine figure, un album fou, enthousiasmant, une sorte de trip halluciné en chanson. Une œuvre immédiatement obsédante, obsédée par des thèmes forts comme la vie, la mort, la culpabilité. L’aimer sans la savoir liée au spectacle par certains textes que ses chansons reprennent et des musiques que les deux jouent sur scène prouve d’une part, que c’est un disque qui tient seul sur ses jambes, d’autre part qu’il y a encore une vie pour la chanson en français hors de l’inoffensive scène pré-pubère qu’on nous injecte en intraveineuse à grands renforts de « défrichage » et de « quotas » sans rien avoir demandé.

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En venant du cirque, du spectacle vivant et du do it yourself, Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons torchent le cul de la chanson à la toilé émeri, lui tartinent une compresse de cold-wave synthétique, l’emballent dans une musique de film italien et vous l’expédient en orbite en évitant de nous saouler avec les problématiques de longueur de frange ou de méchanceté des réseaux sociaux. D’un côté, Tsirihaka Harrivel, qui a failli y laisser sa peau lors d’une chute durant une représentation en 2017, de l’autre Vimala Pons, plus connue pour sa carrière de comédienne, aux choix toujours parfaits. D’ailleurs, tout est parfait chez eux, de leur goûts musicaux ou du choix d’Olivier Demeaux (Cheveu, Heimat) pour les aider à concrétiser l’album et les guider vers le label indépendant Teenage Menopause, plus habitué au garage-rock sanguinolent et au synth-punk défroqué. Mais tout ça leur va bien. Et promis, on va aller voir GRANDE histoire quand même d’être un peu pro.

Noisey : J’ai découvert votre album sans rien savoir de votre spectacle, quel est son lien avec GRANDE ?
Tsirihaka Harrivel : Du coup il doit faire un peu concept-album, non ? Tous les morceaux possèdent des airs venant de GRANDE. C’est un spectacle de cirque et de music-hall où notre ambition était d’arranger la musique selon l’espace et nos propres actions. On souhaitait jouer la musique en vrai. Quand on quitte nos instruments, elle s’arrête. Puis quand on revient pour jouer tout essoufflés après un effort, se mettre à la trompette ou autre, tout ça donne un rapport qui nous intéressait. Aussi, toutes les musiques sont en lien avec des objets, des actions ou des notions, comme par exemple la culpabilité. Tout nous est venu dès qu’on a commencé à créer le spectacle. Le cirque a une tradition de marche, qui vient des marches militaires. On a donc commencé par écrire la « Marche courte », la « Marche hop là » qu’il y a dans l’album, et d’autres liées à des notions, ce qui renvoie à la musique à programme et aux poèmes symphoniques qui ont explosé au XIX e siècle. Liszt avait créé cette musique à programme afin de rallier tous les arts, ce qu’est un peu la vocation du cirque aujourd’hui. On le voit comme un spectacle total.

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De là, comment est né l’album ?
Tsirihaka Harrivel : Ça a été complexe car on voulait vraiment qu’il vaille le coup en tant qu’objet sonore. Ce que tu nous dis est donc le plus beau compliment. Qu’il reste comme un souvenir pour les spectateurs et une mise en appétit pour ceux qui viendront. J’ai réalisé vite fait des maquettes avec des bouts de paroles, pour donner une idée de ce qu’on voulait. Olivier Demeaux a été très important. Il a eu le recul nécessaire pour s’accaparer tous ces enregistrements de parties de synthé, de cuivres aussi, qu’on avait faits soit au téléphone, soit à l’enregistreur numérique. Olivier s’est chargé des programmations de cordes qui donnent un côté cinématographique. Il a aussi ajouté des boites à rythmes, organisé les morceaux… Ça nous plaisait de donner un côté symphonique à l’album et il a aussi « gonflé » les morceaux pour arriver à quelque chose de grand à partir de peu.

Vimala Pons : Quand on a démarré le spectacle, on est partis de musiques dans la continuité des marches, avec des cuivres, des gammes Klezmer… une envie de poursuivre ce qu’on avait fait à l’école de cirque. En commençant à écrire le dispositif du spectacle et à jouer en live, on a dû énormément simplifier les musiques et « démembrer » les thèmes. Avec l’idée de musiques à tiroirs où on conçoit un thème pour un moment, une émotion, une parole… Ça nous a fait désigner chaque musique, comme dans Pierre et le Loup où chaque personnage est associé à un thème musical. Ça a donné une musique assez minimale. Le passage à l’album a rassemblé tous les motifs et reformé le puzzle de départ. Avec cette dimension qui manquait et qu’Olivier à ajoutée. C’est Kurosawa qui disait qu’une musique de film est une musique à laquelle il manque quelque chose. Olivier a donc rempli ce vide et renforcé l’équilibre entre la drôlerie du spectacle et le coté hyper triste, mélancolique, de notre musique.

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Je la trouve au contraire super emballée votre musique, ce ne serait pas plutôt vos textes et thèmes qui sont hyper tristes ?
Tsirihaka Harrivel : C’est vrai qu’en reprenant dans les morceaux des bouts de textes hors du contexte du spectacle, ils deviennent totalement tragiques sans le visuel. Alors que l’ensemble est plutôt drôle.

Comment êtes-vous venus à ce type de production qui mélange synth-pop et cuivres ?
Tsirihaka Harrivel : On est partis des cuivres car on vient de là. Ensuite, on a été influencés par les musiques de films italiens comme celles de Stelvio Cipriani, qui a aussi été un compositeur de marches. On a opéré un regroupement des instruments, pas mal sous l’influence du label Constellation et d’artistes comme Godspeed! You Black Emperor, influence qu’on avait un peu délaissée sur scène parce qu’on était obligés de lâcher la musique par moments, d’où l’utilisation d’une boite à rythmes pour garder une rythmique au spectacle en laissant tourner les machines. On a aussi récupéré un vieux synthé Yamaha donné par mon père. Sur ces bases-là se sont ajoutées des boites à rythmes plus récentes. Et pendant ces cinq ans, nos influences ont évolué.

Qu’avez-vous écouté récemment ?
Tsirihaka Harrivel : De la house des débuts comme Phuture, des sons naïfs et joyeux. Et Yellow Magic Orchestra qui possède un côté très symphonique.

Vimala Pons : Robert Görl, aussi pour son côté naïf, et Planningtorock qui mélange pas mal de saxophone et de cuivres à son électro. Laurie Anderson a été très importante aussi. Sinon, on adore Morbido de The Dreams, le groupe d’Armelle de Heimat et Nafi (Noir Boy George, Scorpion Violente), un album génial sorti d’un coup mais un projet qui s’est vite fini. Il faut aussi citer Brigitte Fontaine et Arelski Belkacem, surtout Arelski d’ailleurs, Devo…

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Tsirihaka Harrivel : …Robert Wyatt aussi, en particulier son concert avec Alfreda Benge, un incroyable truc créatif à deux. On a bien sûr beaucoup écouté Rock Bottom mais surtout son live Theatre Royal Drury Lane 8th September 1974, avec beaucoup de cuivres, tous des disques avec des inversions dans les titres, des titres qui se répondent. On a repris ça dans le spectacle, pour avoir une lecture globale et au final, un album qui se tient.

Et vos tous premiers émois en musique, ça ressemblait à quoi ?
Vimala Pons : J’ai grandi en Inde où il s’est forcément passé un processus permanent de superposition de couches. Là-bas, tu dors en entendant la musique des temples – et il y a plein de temples. Tu as aussi le bruit de la rue, beaucoup de musiques en même temps… Donc beaucoup de bruit et de superpositions de sons. Je me souviens aussi d’une armoire gigantesque des CD de musique classique de mon père classés par ordre alphabétique. Ça a été le gros soulèvement d’émotion avec Luigi Boccherini, le Stabat Mater, Couperin, Manuel de Falla… Et après, le 45 tours de ma mère sorti quand elle avait 18 ans, dont elle avait écrit les chansons, avec une orchestration qu’elle a jugée hyper foireuse et d’époque. Ça l’a dégouttée à vie d’être chanteuse au point de mettre un terme à sa carrière. Dans le spectacle, je reprends deux de ses textes, « Si je meurs » et « Rome », sans leurs musiques que je ne connaissais pas. Bon, je les ai un peu réécrits.

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Tsirihaka Harrivel : La musique m’est venue par la trompette que j’ai commencée à 8 ans. Mon père m’a offert des CD de jazz, surtout de Miles Davis. Ensuite, j’ai beaucoup écouté les CD de mon frère qui était à fond dans Pink Floyd, Gainsbourg, l’album blanc des Beatles… Ensuite, j’ai eu une période plus obscure quand j’ai commencé le cirque.

Donc pas d’expérience de groupe ?
Vimala Pons : Non, petite, j’ai étudié le piano mais n’ai pas aimé. J’ai ensuite pris des cours de guitare classique dont il ne me reste pas grand-chose. Ce n’est qu’à 24 ans que j’ai commencé la clarinette en école de cirque. J’ai pris deux ou trois cours puis continué seule en m’entrainant avec des tutoriaux sur Internet.

Tsirihaka Harrivel : J’ai joué dans l’harmonie de l’école de musique, pour jouer des BO de films. Et puis du jazz dans des big bands.

Vous avez l’air très portés sur les musiques de films, il y en a eu des marquantes ?
Vimala Pons : J’écoute beaucoup plus de films que de BO. Ça veut dire que je mets le DVD sans regarder les images, j’aime beaucoup. Ce sont des films que j’ai déjà vus, dont j’aime la BO mais dont je préfère la bande-son totale.

Tsirihaka Harrivel : Les BO de films nous ont beaucoup influencés pour le spectacle mais moins pour la musique. La rupture avec le son comme on peut l’avoir chez Dario Argento rend fou, avec une porte qui s’ouvre et une musique de dingue qui rentre. L’aspect descriptif et narratif du son nous plait vachement, nous ne sommes pas dans une tradition de musique absolue, seule ou abstraite.

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Je connaissais surtout Ennio Morricone mais Cipriani a été vraiment important. Son thème pour le film La Polizia Sta A Guardare est très beau, c’est une boucle avec des cuivres qui part et repart. On aime aussi les musiques de cirques slaves qu’on retrouve dans les mélodies. On est très attachés aux mélodies du fait qu’on vient des instruments à vent, qui donnent ces airs parfois entêtants. Et on a aussi beaucoup écouté Heimat, bien plus que Cheveu. Ça nous a vraiment accompagnés et c’est pour ça qu’on a invité Olivier à voir notre spectacle. C’est ensuite qu’on a invité le label Teenage Menopause et qu’est né notre désir d’album.

Vimala, comment ressens-tu le rapport aux musiques des films dans lesquels tu as joué ?
Vimala Pons : Les démarches des réalisateurs peuvent être très différentes. Si tu prends Antonin Peretjatko sur La loi de la jungle, j’ai lui fait écouter des morceaux comme par exemple Matmos qu’il a utilisé. On discutait musique mais il a vraiment des idées précises comme celle de mettre la musique de Goldorak chaque fois que j’apparais. Alors que pour Les Garçons sauvages, Bertrand Mandico a travaillé avec Pierre Desprats qui a composé la musique de bout en bout.

Tsirihaka Harrivel : Bertrand est très curieux, il aime bien qu’on lui envoie des morceaux, il se fait des playlists quand il écrit.

Vimala Pons : Pendant tout le tournage des Garçons sauvages, il nous mettait Scorpion Violente, une musique particulièrement, et je ne peux plus l’écouter à cause de ça ! Il travaille toujours en musique, comme sur le court-métrage Ultra Pulpe.

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Vous avez vu son clip pour Kompromat ?
Vimala Pons : Oui, je devais jouer dedans mais n’ai pas pu, je suis dégoutée !

Les paroles de « J’ai rien fait » prennent une drôle de résonance avec les affaires glauques régulièrement révélées mais dont personne ne se sent responsable.
Tsirihaka Harrivel : C’est exactement, ça. Dans le spectacle, mon « J’ai rien fait » dans le micro est pitché de l’aigu au grave, pour une répétition qui passe du petit garçon (« J’ai rien fait, maman ») à l’adulte (« J’ai rien fait de ma vie » en passant par « J’ai rien fait monsieur le juge ». Le morceau renvoie à la culpabilité mais aussi à plein d’autres thèmes.

Sinon le morceau « Effeuillage » est troublant car il s’arrête brutalement avant que le suivant démarre, j’imagine que c’est volontaire ?
Tsirihaka Harrivel : Oui ça l’est.

Vimala Pons : Ah tiens, je ne me souviens plus.

Vous n’avez pas beaucoup écouté votre album !
Vimala Pons : On l’a fini il y a longtemps. J’ai le vinyle, parfois je me dis que je vais l’écouter, mais en fait, non, non, non… C’est la première fois qu’on réalise un objet qu’on ne peut pas retoucher. C’est très étrange quand tu viens du spectacle vivant.

L'album Victoire Chose de Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons est sorti le 15 février chez Teenage Menopause Records.

Le spectacle GRANDE se déroule au 104 du 19 février au 3 mars.

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