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Russie

Je suis allé à l’ouverture d’un musée de l’espionnage du KGB

Et c’était extraordinaire.
Alex Norcia is not a spy.
L’auteur. Photo : KGB Spy Museum. Toutes les autres photos : Jackson Krule

Agne Urbaityte a mis en marche une petite scie électrique. Elle portait un véritable uniforme soviétique. Son père, Julius Urbaitis, un homme grisonnant avec des lunettes de soleil, attendait silencieusement, l’air de tramer quelque chose. Plutôt qu’un ruban, un câble a été coupé, avec flammèches pour l’effet dramatique. Pour cette cérémonie d’inauguration rudimentaire, il y avait, un peu comme dans les partys du secondaire des années 80, une table de hors-d’œuvre – d’inspiration russe : surtout de la pâte feuilletée avec de l’œuf froid et du poisson odorant. Des ballons rouges reflétaient la lumière d’une série de chandelles placées sur le trottoir. Lénine, sur une affiche, regardait sévèrement par la fenêtre les gens attroupés devant la porte. À l’intérieur, il y avait un homme qui jouait de l’accordéon et un assortiment de vodkas multicolores.

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« À un avenir meilleur », a proclamé Agne. « Tout commence avec nous! »

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Même si ce jeudi soir de la mi-janvier à Manhattan était froide, une petite foule de journalistes et d’autres personnes invitées aux événements à caractère communiste s’était formée à Chelsea pour l’inauguration de ce que l’on a décrit comme le premier et plus grand musée de l’espionnage du KGB de New York. C’était autant kitsch que surréel, et plus d’une fois j’ai pensé demander à un inconnu pour plaisanter comment on s’était retrouvés dans The Death of Stalin ou dans un film des frères Cohen. C’était comme si les Soviétiques avaient saisi et refait à leur manière Disneyland. La vaste collection du musée, dévoilée pour la première fois ce soir-là, est une gracieuseté du duo père-fille d’origine lithuanienne, qui avait aussi mis sur pied un musée semblable dans un bunker antiatomique d’Europe de l’Est. Celui-ci abrite, d’après un communiqué, « 3500 objets rares, dont des magnétophones d’espionnage et des caméras miniatures ainsi que des appareils de dissimulation et de cryptage ».

Quand je lui ai demandé comment ça avait commencé, Agne m’a répondu que « [son] père a tout simplement l’âme d’un collectionneur. Les voitures anciennes, les motocyclettes, puis il a acquis la plus grande collection de masques à gaz en Europe, et ça a continué. »

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Elle dit que la motivation de présenter ces raretés aux États-Unis, et à New York en particulier, est apolitique. À son avis, spécialement dans cette ville, il y a une curiosité et une volonté d’être témoin d’une partie de l’histoire relativement perdue. Ce qui est une autre façon de dire que les Américains sont fascinés par la Russie et l’Union soviétique, notamment l’espionnage, depuis la guerre froide : à peu près 45 années pendant lesquelles le monde a paru divisé en deux. Mais il n’est pas fréquent que des artéfacts de cette période soient présentés de ce côté-ci du rideau de fer.

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Je dois faire une digression pour admettre que je suis amateur de ce genre de choses. Un bref exemple : en 2016, une statue de cuivre de Lénine qui avait surplombé le Lower East Side du toit d’un édifice pendant plus de deux décennies a été retirée quand le propriétaire a appris qu’elle pouvait être vendue à une personne qui ne ressentait peut-être pas le même attachement pour la politique radicale. Quand j’ai été informé de cette possibilité, un ami et moi, on s’est rendus sur les lieux à vélo, par une chaleur étouffante, et on a réussi à monter sur le toit. Après, comme des fanboys prévisibles, on a pris un verre dans un bar qui a pour thème le KGB dans East Village.

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L’histoire entre la Russie et les États-Unis n’est évidemment pas terminée, et le KGB, il faut le dire, a une longue feuille de route de meurtres et d’enlèvements, en plus de manies passablement dystopiques. Après des pourparlers en faveur d’un nouveau départ au cours de la présidence d’Obama, les deux pays ont été pour une grande part de la dernière décennie des rivaux, et leur antagonisme a culminé avec l’ingérence de la Russie dans les élections américaines de 2016 aidant Donald Trump à devenir président.

C’est dans ce contexte que cet étalage de matériel d’espionnage de l’ère soviétique, de la sorte qu’utilisait l’ex-employeur de Poutine (c’est un ex-agent du KGB), débarque aux États-Unis. Et la longue relation d’amour-haine est loin de se terminer.

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« En ce moment, des débats au sujet de la collusion alléguée entre la Maison-Blanche et la Russie au succès de la série The Americans, le KGB semble être un objet à la fois de la fascination morbide et de haine », m’a écrit Mark Galeotti, un spécialiste de la politique russe et des crimes internationaux à l’Institut des relations internationales de Prague et collaborateur de VICE. « D’une certaine façon, c’est à cause du sentiment exagéré que rien n’a changé : le drapeau, les visages et les acronymes sont peut-être différents, mais la rivalité avec la Russie, dans l’ombre, est la même. Mais c’est aussi probablement une sorte de nostalgie perverse, à propos d’une époque où le clivage et les camps idéologiques semblaient beaucoup plus clairs. Le passé semble toujours beaucoup plus simple. »

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« Si vous ne savez pas qui est cet homme, on ne peut pas commencer », a dit notre guide, Sergey Kolosov, en pointant l’affiche de Lénine. Sergey a l’allure et l’attitude de quelqu’un qui pourrait cacher un micro près de votre boîte aux lettres. Ne serait-ce que pour ne pas le contrarier, tout le monde dans le groupe de dix a dit connaître, ou du moins a fait semblant de connaître, l’ex-chef des révolutionnaires bolcheviques. En fait, Sergey aurait pu pointer à peu près dans n’importe quelle direction, au hasard. À sa gauche, le visage de Lénine était imprimé sur une tapisserie. À sa droite, derrière des rideaux majestueusement gonflés par le système de ventilation, trônait un buste de Lénine.

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On a donc commencé la visite, qui rappelait les sorties d’élèves de l’école primaire. Serguey nous a guidés dans la salle remplie de standards de téléphonie, d’armes à feu, d’appareils d’écoute, en nous racontant leur histoire et, à l’occasion, des anecdotes sur sa vie à lui (dont une longue dans laquelle il était question de cours d’anglais, d’un restaurant russe et du FBI). En marchant, je m’imaginais que tous ces objets avaient pu être empilés dans le sous-sol de quelqu’un. C’est comme si on avait engagé Carmen Sandiego pour l’organisation de l’inauguration et la décoration. Il y avait une reconstitution d’une cellule de prison soviétique avec, spécialement ce soir-là, une détenue portant une camisole de force noire, et qui ne parlait pas. Agne a parlé d’elle ainsi que d’autres humains en vie, mais silencieux, en les appelant des « mannequins vivants ». Des armes à feu étaient des vraies, ce que Sergey s’est assuré de mentionner souvent.

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Mais si regarder des objets de collection et des personnes en camisole de force n’est pas votre truc, vous pourrez vous tourner vers les éléments interactifs que présente aussi le musée. Il y a un coin où prendre votre photo. Et qui n’a pas envie d’essayer le manteau de cuir absurdement lourd et la superbe casquette des agents du KGB, et d’ensuite poser à un bureau devant — devinez quoi — la tête de Lénine et des drapeaux soviétiques? Ou de manipuler une caméra qui prend secrètement en photo non pas ce qu’il y a devant, mais ce qui se trouve à droite? Ou d’être attaché à une chaise? (Tous les volontaires ont été, de l’avis de Sergey, « très brave ».)

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Mais ce sur quoi on insiste le plus, assurément, ce sont les objets en apparence ordinaires conçus pour l’espionnage. Ces astucieuses chaussures, tablettes ou assiettes, dissimulant leur fonction nouvelle. Sergey a parlé, avec fierté, d’un seau de bois qui a enregistré des conversations dans une ambassade américaine pendant huit ans — ce qui amène à se demander, en explorant ce monde, si ce que l’on cherche n’a pas toujours été là et qu’il ne faut pas simplement regarder un peu mieux, moins superficiellement.

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Après un certain temps, on finit par conclure que tous les objets ordinaires que montre Sergey sont aussi, ou ont été, soit un appareil d’enregistrement, soit une sorte d’arme.

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« Vous pouvez vous en servir pour vous maquiller ou écrire un message, comme “Je t’aime” », a dit Sergey en montrant un rouge à lèvres qui était aussi un pistolet. « Et après vous pouvez l’utiliser pour tuer quelqu’un. »

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