Avec les ultras de l'Impact 
de Montréal

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Avec les ultras de l'Impact de Montréal

« Le club veut pas qu'on rentre de fumis, mais après ils sont bien contents de les utiliser dans leurs publicités pour vendre des billets. »

Cet article a initialement été publié sur VICE Québec.

Le match a débuté depuis cinq minutes qu'il faut se rendre à l'évidence : l'ambiance au Stade Saputo, l'enceinte de l'Impact de Montréal, n'a rien à envier à celle du bouillant Centre Bell des hockeyeurs de la ville. Cette ferveur est due en grande partie à l'ambiance que mettent les fans de la section 132.

C'est la rentrée au Stade Saputo, et les ultras prennent d'assaut leur tribune habituelle, tout juste derrière les buts. Plus de 1 700 fans sont présents pour accueillir l'Impact dans ce deuxième match à domicile de la saison – la première rencontre a eu lieu au Stade olympique. L'ambiance et les décibels viennent principalement de cette partie du stade où sont réunis ces supporters dévoués et à bloc.

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C'est en Italie que les ultras sont nés. Le phénomène s'est ensuite décliné sous différentes formes dans les différents stades de foot du monde. L'une des variations repose sur l'identification politique de ces groupes : certains s'affichent clairement à gauche, d'autres à droite.

Pour eux, le sport et la politique sont indissociables, et il arrive même que la dimension sportive soit reléguée au second plan au profit d'une cause militante. L'un des exemples les plus frappants est survenu en 2013, lors des manifestations en Turquie. Trois groupes d'ultras rivaux ont laissé sur le terrain leurs différends afin de s'unir dans une mobilisation contre le Premier ministre turc. Cette alliance était d'autant plus improbable que les trois groupes ne partageaient pas nécessairement les mêmes idéaux politiques.

Les ultras ne sont pas des cousins éloignés des hooligans, ces fanatiques à la réputation violente et aux tendances de droite. Certains groupes, comme en Italie, adoptent aussi une posture raciste : par exemple, certains supporters du club de la Lazio Rome ont été associés à l'extrême-droite. La version montréalaise des ultras n'a rien, ou pas grand-chose, à voir avec tout ça. Elle se définit comme apolitique, la question nationale du Québec n'étant pas étrangère à cette décision. Afin de rallier les fans, lors de la création du groupe, il était préférable d'éviter le débat souverainiste-fédéraliste. Pour preuve, aucun drapeau national n'est admis dans le kop.

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Une caractéristique unit cependant tous les ultras de la planète : leur amour indéfectible pour leurs couleurs. Celui-ci se manifeste par un dévouement total lors des matches, mais aussi par un décorum institué, qu'il convient de respecter.

Alexandra, une des rares femmes du groupe, explique : « Si tu viens ici, tu lâches ton téléphone. Tu peux prendre une photo… mais tu dois continuer à chanter pendant ! Il faut être prêt à chanter pendant 90 minutes. » Elle est la première femme à avoir occupé le rôle de capo lors d'un match de l'Impact. Le capo, c'est la personne à l'avant, le leader équipé d'un mégaphone qui lance les cris. Renonçant à regarder le match, ce chef d'orchestre lance « Aux armes! Aux armes! » et instantanément, le reste de la tribune reprend le chant.

Malgré la rigidité des codes, le tout se déroule dans une ambiance sympathique qui rappelle presque les colonies de vacances.

Autre étiquette à respecter : le code vestimentaire. Les perruques et la peinture au visage, codes appartenant surtout au football américain, sont prohibées.

« Là, on tolère ton t-shirt de Radulov (joueur des Canadiens de Montréal, ndlr) parce que c'est quand même Montréal… mais disons, quelqu'un qui se pointait l'année dernière avec un maillot de Drogba à Chelsea, on se moquait un peu de lui. On encourage Montréal, pas une autre ville, pas un seul joueur. »

C'est d'ailleurs la base de la mentalité ultra : l'unité derrière la ville, derrière les couleurs du club. Il n'y a pas de place pour l'individualité, c'est l'équipe qui prime. Mathieu fait partie de Front Commun, un groupuscule au sein des ultras. Il abonde dans le même sens : « Quand Drogba est arrivé, on s'inquiétait du type de supporters qu'il allait attirer au Stade. On était contents de voir la popularité de l'équipe augmenter, mais on se demandait si les nouveaux venaient encourager le club ou Drogba. Et cette année, maintenant qu'il est parti, on remarque justement qu'il y a moins de monde. »

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Avant le match la section 132 se rassemble au Bar 99, pour discuter autour d'une bière. Il y a les ultras en haut. Plus bas, une dizaine de membres de Front Commun se sont réunis. Même s'ils représentent une unité lorsque vient le temps d'entonner des chants, en marge, ils marquent leurs différences. Lors de la création des ultras, les membres de Front Commun n'ont pas apprécié que les différentes organisations décident de rester apolitiques. Pour eux, le sport est un moteur de sensibilisation et d'éducation populaire. « Selon nous, le sport et la politique sont indissociables », indique Mathieu, grosse bière à la main.

Sur leurs vestes, banderoles et drapeaux, on lit des messages politiques tels que « LOVE FOOTBALL, HATE RACISM », « AGAINST MODERN FOOTBALL » ou encore le logo antifasciste, qu'ils ont galéré à faire entrer au stade en raison d'une politique sur l'affichage. « Au début, les mecs de la sécurité ont essayé de nous le prendre, mais ils ont abandonné. » « C'est drôle un peu, souligne Mélanie, seule femme du groupe présente, l'Impact et la MLS font elles-mêmes de la politique dans leurs campagnes, lorsqu'elles font la promotion de droits LGBT ou dans des campagnes contre le racisme. On fait la même chose, mais comme on a l'air un peu punk, c'est non ». La MLS n'en est pas à une incongruité près, selon le Front Commun. « Prenez par exemple les fumigènes, c'est drôle comment la ligue contourne le sujet, indique Francis. Le club veut pas qu'on en rentre, mais après ils sont bien contents de les utiliser dans leurs publicités pour vendre des billets. »

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Est-ce qu'ils ont un peu l'impression d'être des casseurs d'ambiance, avec leurs messages politiques ? « On a une approche pédagogique. Nous aussi on est des fans de sport! On veut pas ruiner l'expérience des spectateurs. Et quand on fait ça avant les matches, ça passe bien habituellement. »

Du côté des ultras, on assure que ces interventions du Front Commun ne dérangent pas… tant qu'elles demeurent courtes. « Il faut de tout pour faire un kop, explique Alexandra. Personnellement, un message politique, ça ne me dérange pas… mais ça dépend de sa durée et du moment choisi. » Elle justifie la neutralité du groupe par un souci d'ouverture : « Peu importe ta position politique, ton orientation sexuelle, ton ethnie, ton idéologie, si tu es prêt à venir encourager l'équipe on peut t'accueillir ! »

Peu importe l'idéologie, vraiment ? Et si une personne aux idées ouvertement fascistes venait à rejoindre les rangs ultras ? « On est supposés être apolitiques, pas idiots. On est contre le racisme. Les racistes ne sont pas les bienvenus, on se réserve un droit de discernement. On n'a pas de contrôle, mais c'est évident qu'on peut intervenir individuellement si on entend de telles choses. On a aussi une conscience sociale : à Toronto, l'an dernier, il y avait une banderole très sexiste montrant une femme aux couleurs de l'Impact qui faisait une fellation à un fan de Toronto. Ici, ça ne serait jamais arrivé. D'ailleurs à Toronto, il a failli y avoir des débordements à cause de ça. » Concernant les débordements, les ultras ont par le passé fait parler d'eux à Montréal pour avoir utilisé des fumigènes. Mais est-ce que cette pratique doit vraiment être associée aux ultras ?

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« Officiellement, les ultras n'en utilisent pas, répond Alexandra avec un sourire en coin. Après, si certains décident d'en utiliser dans notre tribune, on n'a pas le contrôle. » Le groupe a mis sur pied une solution à la disposition des supporters qui souhaitent utiliser les fumigènes, jugés dangereux par les autorités. « D'autres groupes ont eu accès à une machine homologuée, plus sécuritaire selon eux. Le club leur en prête une, mais nous on ne veut rien savoir de ça », indique Mathieu. Même son de cloche chez Alexandra, qui refuse de voir les ultras marchander leur indépendance vis-à-vis du club.

« C'est notre petit côté rebelle. On veut démontrer que le sport appartient aux individus, pas à l'industrie », explique Mathieu. Ces propos font écho à "AGAINST MODERN FOOTBALL", devise emblématique des ultras partout dans le monde, qui appelle à retirer le sport des mains des puissances économiques pour le redonner au peuple.

Dans ce contexte, il va de soi que les relations entre la MLS et les ultras n'ont pas toujours été au beau fixe. La structure de la MLS est loin de plaire aux membres de Front Commun.
« Ailleurs, il y a des systèmes de relégation. Si les équipes veulent rester dans les ligues supérieures, elles doivent être bonnes. Ici, il y a juste un critère pour rester en MLS : avoir du cash. » À la base, le système prôné par la MLS semble incompatible avec la mentalité des ultras. De par son mode de fonctionnement, la MLS garde un contrôle sur les transferts des équipes. Ainsi, quand un joueur rejoint la ligue, il le fait en signant un contrat avec elle, et non pas avec un club. La MLS se réserve même le droit de décider pour quelle équipe s'aligneront des nouveaux venus. À quoi ressemblerait donc la ligue idéale des ultras de Montréal ? Mélanie lance spontanément : « C'est sûr qu'une ligue autogérée, avec une organisation à l'horizontale, correspondrait plus à notre vision du soccer idéal. » Pour atteindre cet idéal, est-ce que les supporters de Front Commun sont prêts à accepter que cela se fasse au détriment de la qualité du spectacle ? Une ligue aussi atypique aurait certainement de la difficulté à attirer des joueurs professionnels, par exemple. Mélanie réfléchit un instant : « On est conscients de certaines de nos contradictions. Ce serait bien que l'Impact appartienne véritablement à la population de Montréal. En attendant, au risque d'avoir l'air un peu conservateur, ce serait déjà bien si le club privilégiait les talents locaux. » Finalement, les membres de Front Commun et des ultras se rejoignent idéologiquement contre le même postulat : le soccer n'appartient pas à une industrie et c'est aux amoureux de ce sport d'agir en supporters, et non pas en consommateurs-spectateurs, pour se le réapproprier.