Epoque flyers rave 1990 1980
Culture

Longue vie aux flyers de teuf des années 1980-1990

La vie avant Resident Advisor ou Facebook Events était bien plus colorée, esthétique et débrouillarde.
Matéo Vigné
Brussels, BE

Je suis beaucoup trop jeune pour me targuer d’appartenir à la culture des années 1990. Cependant, j’ai baigné dedans dès mon plus jeune âge en la voyant, de mes yeux innocents d’enfant d’adeptes de teufs, se propager dans les différentes strates de la société (je me rappelle très bien de la première fois que j’ai vu des films comme Matrix ou encore Blade, avec ces scènes sombres et noires de rave party à l’aube du nouveau millénaire). 

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Des années plus tard, la fatalité de reproduire le chemin que mes parents avaient emprunté me gagne. À mon tour, je me suis passionné pour cet univers qui rassemble les foules en faisant un gros fuck à l’ordre établi. Sauf que mes premières soirées étaient loin de ressembler à celles que mes parents m’avaient raconté. J’avais l’impression que tout était devenu plus lisse, plus commercial, trop propre ; bien loin de ces teufs parquées dans les oubliettes de la culture, comme des reliques d’antan, dont on pourrait s’inspirer… mais qui avaient perdu de leur saveur.

Cette saveur-là, beaucoup cherchent à la remettre au goût du jour en se réappropriant les codes du passé, et en y puisant pour redynamiser une industrie qui n’est jamais à l’abri d’un effondrement soudain et dévastateur. Et ça passe notamment par la recherche esthétique. Parmi ces défenseurs du passé, on retrouve Otis Verhove, Victor Luyckx et Michiel Claus. Respectivement graphiste, promoteur et DJ, ils ont décidé de remettre au premier plan la culture iconographique de la teuf en puisant dans les archives pour créer Epoque, une plateforme qui recense les meilleurs flyers de l’époque, concevoir du merchandising inspiré des plus beaux logos et vous replonger dans une ère que vous avez soit connu, soit fantasmé.

Je les ai rencontrés pour qu’ils ressassent l’historique des plus belles identités visuelles liées à la musique électronique des années 1980-1990.

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VICE : Salut les gars, pourquoi avoir décidé de faire revivre ces vieux flyers de l’époque ?
Michiel Claus :
La vie nocturne souffre toujours, même après le Covid. On voulait faire quelque chose pour ne pas oublier la culture de cette scène. Pour nous, ce travail représente quelque chose de vraiment abstrait, on n’a jamais été dans ces lieux mythiques, mais on connaît leur histoire. On travaille sur des endroits grâce aux dires, aux d'anecdotes. On a visé des lieux comme le Cherry Moon, une boîte qui a commencé en faisant du jump style, une vibe bien plus commerciale comme l’EDM. C'était un peu le jeu que de s'imaginer une fête entre nous, à l'intérieur de ces clubs des années 1990, cette culture dont on n’a jamais fait partie. C’est ça qui a déclenché le projet de creuser dans les archives, de réimaginer tout ça. 

Victor Luyckx : C'est l’une de ces idées qui ont surgi pendant que le secteur culturel était à l’arrêt à cause de la pandémie, quand on avait beaucoup de temps  Au début, ç’a commencé comme une réédition, la première idée était de ressortir du merch’ et c'est tout. Une copie à 100% de ce qui se faisait.

Otis Verhove : Et puis en cours de route, on s’est dit que ça serait sûrement plus intéressant de creuser un peu plus profondément que de simplement refaire les t-shirts déjà existants. Pour moi, c'est bien de replacer cette culture dans un contexte plus contemporain. Bien sûr, le public n'est pas le même, donc il y a différents détails à prendre en compte.

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Comme lesquels ?
Otis :
J'ai utilisé différentes méthodes pour redessiner les logos (pour du merch, NDLR). Le Cherry Moon, par exemple, s’appuyait sur des tas de sources différentes pour créer leurs flyers et utilisait souvent différentes polices. Après avoir fouillé dans leurs archives graphiques, je pense que j'ai fini par trouver l'image idéale, dans un contexte contemporain. Je suis même allé un peu plus loin, j'ai fait quelques ajustements pour les rendre plus lisibles, ou « acceptables » typographiquement.

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Tu dirais que le côté underground de la scène a poussé les graphistes de l’époque à se tourner vers une esthétique alternative ? Expérimentale ?
Otis :
La culture club, en général, et c'est encore le cas, elle a un gros aspect DIY/débrouillardise. C’est la touche des graphistes old school. Il y a toujours une grande part d'expérimentation, ce qui n'est pas le cas dans le circuit plus mainstream du design graphique. C'est souvent une imagerie qui doit se faire rapidement, produite à bas prix. C'est ce qui donne tout son charme et rend la chose intéressante à regarder.

Vous diriez que ce côté DIY, les gens essaient de copier ça aujourd’hui en passant du temps à le refaire à l’identique ? De l'expérimental à la tendance ?
Otis :
Je pense qu'à l'époque, quand on regardait les vieux flyers punk qui utilisaient massivement le scanning, c'était plus par nécessité que l'on avait recours à ces techniques. Maintenant que ces méthodes sont réapparues, c'est davantage par amour des défauts de ces médiums. Le grain, l'ambiance vintage, ces choses sont vraiment recherchées en communication. Avant, c'était plutôt par fatalité, on pouvait pas vraiment se passer de cette esthétique.

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Michiel : C'était vraiment la limite de la technologie qui poussait les gens à s'adapter et à improviser. Et c'est quelque chose qui est de retour. 

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Flyers, merchandising, SMS… Vous êtes tombés sur des vieilles reliques de comm’ ? 
Michiel :
C’est marrant parce qu’avec un pote on a retrouvé des trucs assez fous. On a mis la main sur ce vieux titre, Bassic Groove Magazine, un truc imprimé aux Pays-Bas. T’avais une page avec un numéro de téléphone qu'on pouvait appeler, un numéro payant. C’était une voix dans un répondeur qui annonçait tout un tas de différentes infos : t’avais des critiques de disques, des magasins où acheter des fringues, les meilleurs record shops. Niveau soirée, il suffisait d’appeler cette ligne, appuyer sur une touche et une voix te disait où se trouvait l’emplacement exact. Une hotline de la teuf. On avait l'impression de faire partie d'une véritable sous-culture en composant ces numéros. C'est quelque chose qui s’est perdu. Maintenant tu trouves un disque cool, tu le partages en ligne et en fait tout le monde le connaît déjà. À l'époque, cette scène n'était pas du tout élitiste, il y avait une volonté de construire une communauté alternative avec ses propres codes. 

« Avant, on s’en foutait un peu des règles, ça laissait plus de place à la construction d’une communauté, à la créativité, au développement de la scène. »

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C’était assez révolutionnaire non ? Sachant que les années 1990, ça reste quand même l’émergence de la communication de masse pour le grand public. L'organisateur va vers le public avec une relation directe. Aujourd'hui, ça a complètement disparu ?
Otis :
Je pense pas qu’on ait complètement perdu ça, je connais pas d'exemples précis où les gens utilisent encore ces techniques (les SMS, la hotline, les magazines promo, NDLR) mais je pense que ça reste assez direct dans certains cas. Évidemment, avec Internet, les objets comme les prospectus sont devenus moins importants. C’est un peu dommage parce que ça dicte la façon dont on doit communiquer, il n’y a plus de liberté au niveau des tailles, des couleurs, des polices...

Dans les archives des années 1990 à 2000, on remarque un réel changement dès lors qu'Internet est arrivé. Les flyers ont pris une part de moins en moins importante et leur valeur graphique a diminué en même temps. Avant, on trouvait des prospectus au format libre avec des formes folles. Aujourd'hui, si tu fais un flyer, ce sera d’office du A6 sans réelle prise de risque parce que ce n'est plus une priorité d'être différent. À l’époque, les graphistes n’avaient pas peur d'utiliser différentes polices de caractères dans un même flyer, aujourd’hui on crierait au scandale.

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Sinon, vous avez d’autres objets qui ont un peu disparu de la circulation ?
Otis :
J'aime beaucoup celui-là, c'est un jeton.

Michiel : On l'avait repéré chez USA Import Record Shop, à Anvers. C'est un jeton sans aucune signification ni aucune valeur. C'est pas pour le vestiaire, ni pour une boisson. C'est juste un jeton pour faire partie de l'univers hardcore belge. À l’époque, tu l'obtenais lorsque t’entrais dans le club. C’était une façon de dire que tu faisais partie du groupe. C'est quelque chose qui construit une communauté. Il y avait ce concept techno à Bruxelles, Tech Moon, ils l'ont aussi fait. Ils ont créé un jeton scanné en 3D qu'ils ont donné lors d'un de leurs derniers événements. Ils l'ont donné aux habitué·es. C'est fou comme ces petits objets peuvent avoir si peu de valeur et tant d'importance à la fois.

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On se voit mal produire des goodies sans aucune valeur marchande aujourd’hui…
Otis :
Ce sont tous des petits extras que les graphistes adorent faire, mais ce sont surtout les promoteurs qui ont le dernier mot aujourd’hui. Y’avait d'autres concepts comme ça qu'on ne voit plus de nos jours, comme par exemple des cartes groupées où t’achetais un bon pour dix soirées, ou encore des cartes de membre qui te donnaient une réduction pour toute l'année. Pour les orgas c’est un peu plus difficile à gérer niveau anticipation et jauges, mais c’était quelque chose de cool. J'aimerais bien voir ce genre de choses revenir.

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Victor : Dans le passé, on investissait davantage dans ces petits objets. Pour moi, le graphisme, le flyer, le jeton, c'est un premier lien qui te lie à la fête, on peut pas vraiment penser aux jeux de lumières, à la scénographie ou au line-up si le flyer n'est pas assez attirant. C'est le premier point de connexion avec les gens, avec ta communauté, il faut que ce soit bien foutu du début à la fin.

Otis : Il faut garder en tête aussi que tous ces objets sont, au final, les seules choses tangibles que l'on peut garder d'une soirée, c'est pourquoi on veut rendre hommage à ça. Je suis un grand défenseur des choses imprimées plutôt que de la communication numérique. Le numérique, c’est volatile, tu peux pas l’archiver de la même façon ; l’imprimé si. Conservés en lieu sûr, ces flyers ne s'effacent pas.

« Je sais pas si les graphistes prenaient de l'acide pendant qu'ils produisaient ces visuels, mais ils trippaient pas mal pendant le week-end, en intériorisant tous ces sentiments d'unité, de communauté, de distorsions… »

Aujourd’hui, l’accent est donc mis sur le digital avec une pointe de nostalgie, est-ce que c’est ça la véritable identité de la musique électronique actuelle ?
Otis :
Je pense que oui, c'est un peu comme pour les arts en général. T’arrives à un point où tout peut être étiqueté comme contemporain ou postmoderne. Tout revient soit à ce qui a été fait avant, soit à ce qui est tout nouveau comme l'hyperdigitalisme. Tout ce qui se trouve entre les deux a également été fait. Je pense qu'il est difficile d'en tirer une conclusion, il y a beaucoup de scènes différentes aujourd'hui, c'est une époque intéressante. 

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Sur votre site, on peut lire un truc assez révélateur par rapport au but de ce projet : « c'était mieux avant ». Honnêtement, c'était vraiment mieux avant ?
Victor :
Je pense qu'il y avait plus de possibilités, c'était moins restreint. Les restrictions qui sont apparues avec le temps en termes d'heures de fermeture, de capacités, de limitations... À l'époque, on pouvait aller en club du jeudi au mardi, en allant de club en club. Imaginer ça de nos jours, c'est impossible. Avant, on s’en foutait un peu des règles, ça laissait plus de place à la construction d’une communauté, à la créativité, au développement de la scène. Maintenant on tourne moins autour de ces valeurs.

Otis : Tout est plus professionnel, plus vu comme un business.

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Même si vous avez pas vécu les belles années du Cherry Moon, vous avez quand même de bons souvenirs de soirées à l’ancienne, non ?
Victor :
Quand j'étais très jeune, vers 16 ans, je suis allé à I Love Techno à Gand pour la première fois. Ça m'a vraiment marqué. C'était la première fois que j'allais à un méga-événement, les gens grimpent sur le toit des trains en direction de la salle, il y a beaucoup trop de queue, tout le monde s’était déplacé pour de la rave. C'était quelque chose que de voir une teuf de cette taille.

Michiel : Quand j'avais 16-17 ans, j’ai voyagé pour la première fois en Europe avec l'école. On a été à une parade à Bratislava, j’avais profité pour faire l'after party et c'est là que j'ai vu pour la première fois Jeff Mills, Dj Rush, LTJ Bukem… C'était incroyable, juste avec de la bière et quelques joints, rien de plus. Sinon, les premières années du Fuse ont également été extraordinaires pour moi. C’était l’ère des premières communautés de minimale. Une fois, j'ai vu Aphex Twin et Luke Vibert. Ils avaient mis du papier aluminium sur les platines, ils ont laissé tourner l'aiguille dessus pour commencer leur set comme ça. Ça donnait un son de dingue, j'étais en mode « C'est quoi ce bordel ?! ».

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On voit pas mal de distorsions, de smileys et de trucs cosmiques dans ces représentations visuelles. Vous diriez que comme dans la musique, la drogue a eu un effet particulier sur ces productions ?
Otis :
À 100%, c’est sûr.

Victor : Sans aucun doute.

Michiel : Bien sûr, ça en fait partie de toute façon. Je sais pas si les graphistes prenaient de l'acide pendant qu'ils produisaient ces visuels, mais ils trippaient pas mal pendant le week-end, en intériorisant tous ces sentiments d'unité, de communauté, de distorsions… Mélangé à des morceaux incroyables, ça vous donne toute l'imagination nécessaire pour créer des flyers incroyables. 

Comment vous voyez l'évolution d'Epoque après le lancement de la plateforme ?
Victor :
On aimerait la voir évoluer dans différentes directions, par exemple en travaillant sur des archives audio de vieux morceaux, d'anciens enregistrements de rave, pour se rapprocher de ce qui se passait et du mood général d'une nuit en club dans les années 1980 et 1990. On aimerait créer une véritable plateforme qui puisse archiver tout ça, l'héritage de notre culture.

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