Environnement

Donner des droits aux océans pour mieux les protéger

Plusieurs chercheurs suggèrent de les considérer comme des « entités vivantes » espérant ainsi les préserver des conséquences de la crise climatique.
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Image : Carmen Martínez Torrón via Getty Images

Selon un nouvel article rédigé par une équipe de chercheurs interdisciplinaire, l’océan devrait être considéré comme une entité vivante dotée d’un ensemble de droits et de protections. Un changement de paradigme qui s’inspire des visions du monde autochtones et de la tradition émergente du droit de la Terre. 

Cette nouvelle vision est nécessaire pour faire face aux pressions dévastatrices que l’homme a imposées aux mers et aux océans du globe, notamment le changement climatique, la surpêche, la destruction des habitats et la pollution, affirme l’équipe. L’article répond aux objectifs fixés par les Nations unies dans le cadre de la Décennie pour les sciences océaniques, un effort qui vise à ré-imaginer et à transformer la relation de l’homme à l’océan au cours des dix prochaines années.

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On ne saurait trop insister sur le rôle de l’océan - qui couvre plus de 70 % de la surface de notre planète - dans l’histoire de la vie sur Terre, le seul endroit de l’univers où nous connaissons des organismes vivants. Les mers anciennes ont servi de foyer aux premières formes de vie il y a des milliards d’années, et les environnements marins modernes abritent un éventail impressionnant d’espèces, des minuscules micro-organismes aux gargantuesques baleines bleues. Même les espèces qui vivent sur terre, comme l’homme, dépendent des océans pour leur subsistance et leur stabilité. Mais malgré le rôle central de l’océan dans notre existence, aux yeux de la loi, il s’agit d’un domaine inanimé contenant un trésor à extraire, qui doit être réparti entre les nations.

Dans un article publié lundi dans la revue PLOS Biology, des chercheurs dirigés par Michelle Bender, directrice des campagnes océaniques au Earth Law Center, une organisation à but non-lucratif qui se consacre à attribuer des droits aux entités naturelles, ont défini un nouveau cadre qui évoque « un plus grand respect pour l’océan et la nature, non pas comme objets, mais comme entités vivantes ».

« Notre programme cherche à éduquer le public sur le lien entre la santé des océans et la santé humaine » - Michelle Bender, directrice des campagnes océaniques au Earth Law Center.

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Dans un e-mail à VICE, Bender a noté qu’il y a « un énorme fossé entre le droit des océans et le discours sur le droit de la Terre » qui devient de plus en plus frustrant pour elle à la lumière du « déclin de la santé des océans et de l’approche traditionnelle décousue et anthropocentrique de la préservation des océans ».

« Au Earth Law Center, notre programme cherche à combler ce fossé dans le mouvement des droits de la nature, et non seulement à éduquer le public sur le lien entre la santé des océans et la santé humaine, mais aussi à fournir des outils aux décideurs politiques et aux partenaires désireux de mettre en œuvre et d’appliquer une telle approche au sein de la gouvernance des océans », indique Bender dans son e-mail, qui inclue les contributions de la co-autrice Rachel Bustamante, analyste des sciences et des politiques de conservation au Earth Law Center. Kelsey Leonard, spécialiste des sciences de l’eau à l’université de Waterloo et citoyenne de la Nation Shinnecock, est également co-autrice de l’article.

« Ce document a été inspiré par la volonté de publier certaines des réflexions que nous avons menées sur les droits des océans et leur application en pratique, et de montrer que des éléments fondamentaux de ce cadre existent dans le monde entier », poursuit l’équipe dans son e-mail. « Les défis de la Décennie des Nations Unies sont reconnus mondialement comme les questions les plus urgentes pour la santé des océans. Nous voyons les droits des océans comme un moyen de relever ces défis, en reconnaissant notre lien aux océans. Nous pensons qu’il s’agit d’un complément et d’un élément utile pour la conservation des océans et le discours juridique à l’échelle mondiale. Nous avons donc axé notre analyse sur les dix défis décennaux. » 

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Dans cette optique, l’équipe présente maintenant une feuille de route complète vers cet avenir en identifiant cinq « principes centrés sur l’océan pour transformer sa gouvernance » : les droits des océans (y compris le droit à la vie et à la restauration), la dimension relationnelle des océans (créer une relation équilibrée et réciproque entre les humains et les océans), la souveraineté des données océaniques (produire une infrastructure technologique accessible pour observer les tendances océaniques), la protection des océans (accepter la responsabilité collective dans la protection et la préservation des océans) et la justice des océans (assurer la démocratisation et l’accès équitable aux espaces et ressources océaniques). 

« Les gens sont de plus en plus nombreux à réclamer des solutions que nos systèmes juridiques existants ne parviennent pas à offrir. »

Ces principes répondent aux dix enjeux définis par les Nations unies dans le cadre de leur effort décennal en faveur des océans, à savoir la lutte contre la pollution marine, la restauration des écosystèmes marins et de la biodiversité, l’alimentation durable de la population mondiale, l’élaboration de solutions océaniques au changement climatique, et même la création d’une représentation numérique de l’océan. 

Bien sûr, ces enjeux sont incroyablement ambitieux. Pour y parvenir, les chercheurs affirment que nous devrons renverser des siècles de pratiques d’exploitation et nous défaire d’une mentalité anthropocentrique pernicieuse qui place l’humanité hors de la nature. 

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Bender et ses collègues soulignent les nombreux succès obtenus par les lois qui ont donné des droits à la nature. Un exemple marquant est la loi néo-zélandaise Te Awa Tupua (règlement des revendications de la rivière Whanganui) de 2017, qui accorde le statut de personne à la rivière Whanganui et la reconnaît comme « une entité spirituelle et physique », selon la loi. 

Le Panama a également adopté une position similaire plus tôt cette année avec sa loi sur les droits nationaux de la nature, qui « inclut le respect de la cosmologie indigène » et est basée sur le principe de « dubio pro natura (dans le doute, se ranger du côté de la nature) », selon l’article de l'équipe. Si ces lois en faveur de la nature ne concernent pour l’instant que quelques pays, elles constituent un point d’ancrage solide qui pourrait conduire à une mise en œuvre beaucoup plus large de lois similaires dans le monde. 

« Des centaines de lois et de politiques ont vu le jour dans le monde entier », explique l’équipe de Bender à VICE. « Les gens sont de plus en plus nombreux à réclamer des solutions que nos systèmes juridiques existants ne parviennent pas à offrir, et viennent chercher des conseils juridiques auprès des organisations de Droits de la Nature. »

Ce qui remet en cause l’idée que les humains ont le droit de piller l’océan, provoquant un déclin catastrophique de la biodiversité marine sous l’effet de la surpêche et de la destruction des habitats.

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« Earth Law Center travaille d’arrache-pied pour faire avancer les campagnes sur les droits des océans, du niveau local au niveau international ; de la reconnaissance des droits des orques résidents du Sud de la mer de Salish, à l’avancement d’une déclaration universelle des droits des océans aux Nations unies (avec les partenaires The Ocean Race) », poursuivent les chercheuses. « Au Panama et en Amérique latine, en collaboration avec notre partenaire The Leatherback Project, nous travaillons également à la mise en œuvre de la loi nationale sur les droits de la nature dans l’espace océanique, plus précisément dans le cadre d’une nouvelle loi sur la conservation des tortues de mer, d’une réserve marine, et au niveau régional pour protéger les couloirs migratoires. »

Le nouvel article remet également en question l’idée que les humains ont le droit de piller l’océan, et plus largement la nature, ce qui a conduit à un déclin catastrophique de la biodiversité marine sous l’effet de la surpêche et de la destruction des habitats. Ce rejet de la responsabilité humaine à l’égard de l’océan, ainsi que le refus de reconnaître que les êtres humains sont totalement interconnectés avec ces systèmes, sont également au cœur des crises climatiques et de la pollution marine.

Cette attitude extractive est très répandue dans le monde moderne, mais Bender et ses collègues notent que de nombreuses cultures ont développé une vision plus holistique et relationnelle avec la nature, notamment « les anciens systèmes de croyance celtiques en Europe et les cosmovisions de nombreux peuples indigènes aujourd’hui axées sur le respect de la nature », selon l’article.

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« Nous pouvons ménager un espace pour que ces lois vivent, prospèrent et soient respectées au même titre (et même plus) que les lois occidentales » - l’équipe de chercheurs.

Si les humains veulent inverser les effets désastreux que nous avons sur les écosystèmes naturels, il nous faudra canaliser ces approches, qui remontent souvent à des milliers d’années. Toutefois, l’équipe souligne la diversité des peuples indigènes et note que leurs points de vue sur le droit de la Terre et les questions connexes sont loin d’être monolithiques.

Bender et ses collègues admettent « que les visions du monde indigènes prévalent et dépassent les droits de la nature », dans leur courriel à VICE. « Cela peut être considéré comme une récupération des pratiques indigènes et leur intégration dans le droit colonial occidental. Il me semble que c’est quelque chose que tout le monde peut faire pour communiquer sur les droits de la nature. »

L’équipe a également noté qu’il est important « d’apprendre et d’écouter les peuples autochtones pour savoir ce qui leur semble être la meilleure façon de travailler avec la loi. Le droit et les coutumes existent depuis longtemps, et nous pouvons ménager un espace pour que ces lois vivent, prospèrent et soient respectées au même titre (et même plus) que les lois occidentales. » 

À cette fin, l’équipe propose un nouveau plan qui décompose ce qui peut sembler être un problème totalement insurmontable - la dévastation de l’océan par l’homme - en objectifs plus faciles à atteindre et auxquels tous les peuples peuvent participer. Il reste à voir si les humains peuvent coopérer à ces fins, mais une chose est claire : le sort des océans du monde, et donc l’avenir de la civilisation humaine, dépend de nos actions aujourd’hui. 

« Reconnaître l’Océan comme une entité vivante est de plus en plus important pour le bien-être de la planète et la durabilité », conclut l’équipe dans l’étude. « Faire évoluer notre relation avec l’Océan d'une relation de propriété et de séparation vers une relation de respect, de réciprocité et de bienveillance peut transformer la gestion de l’Océan.»

Mise à jour : Cet article a été mis à jour pour inclure les commentaires des auteurs de l’étude, Michelle Bender, Rachel Bustamante et Kelsey Leonard.

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