La meilleure compétition de skate au monde est le fruit d’une blague élaborée

Alexis Lacroix qui jamme au Glory Challenge de Dime. Photos : Dan Mathieu et Nathan Éthier-Myette

Les Canadiens n'ont pas la réputation d'être très drôles. Souvent, ils ne comprennent pas les blagues et ne font pas la différence entre rire avec eux et rire d'eux. Alors pourquoi est-ce que je ris encore tout seul quelques jours après avoir assisté au Glory Challenge de Dime? Et pourquoi est-ce que je me demande encore comment des francophones du Canada ont fait pour organiser la compétition de skateboard la plus hilarante de tous les temps?

Dime est un groupe de Montréalais qui se sont fait connaître dans le monde du skate en 2010 avec la parution du Dime Store Video. Peu après, ils ont accédé à la gloire et à la notoriété internationale grâce à des rappeurs et des mannequins qui ont commencé à porter les vêtements très exclusifs de la marque Dime. Ce succès leur a assuré assez de ressources financières pour réaliser toutes leurs fantaisies, même les plus ridicules. Mais si quelques skateurs pleins aux as rêvent de voitures de luxe et de châteaux, Dime n'est excité que par les conversations de fous de skate qui surviennent après des heures à boire, fumer et faire du skate entre amis.

« Et si Jaws de King of The Road revenait en arrière et faisait un leap of faith avec early grab? »

« Et si Gator pouvait faire du street skate? »

« Et si Bam n'était jamais devenu gros? »

C'est une de ces conversations qui a amené Dime à créer le Glory Challenge, la plus fantastique compétition de skate au monde :

« Et si toute la gang prenait l'avion pour San Francisco pour chercher Joe Valdez? »

Joe Valdez, pour tous ceux qui ne sont pas très versés dans l'histoire du skate, est un obscur skateur des années 90 qui s'est fait connaître par ses prouesses sur des rampes étroites et, jusqu'à ce que Dime ait l'idée de le retracer, était disparu des écrans radar depuis dix ans. Donc, sans raison, tous les membres de Dime ont pris l'avion pour San Francisco sans numéro de téléphone ni adresse dans le but de retrouver un skateur depuis longtemps oublié et qu'ils n'avaient jamais rencontré. Quand ces gars déconnent, ils vont jusqu'au bout..

Chanceux et un peu magiques, les membres de Dime ont trouvé Joe en moins de deux dans l'épicerie où il travaille aujourd'hui. Ils se sont agenouillés devant lui dans une sorte de bizarre et ironique scène de culte, et l'ont aussitôt nommé président du conseil du Dime Technology Center (un clin d'œil à tous les skateurs intergalactiques adeptes de Scientologie). Sentant qu'ils pouvaient continuer sur leur lancée, ils ont créé l'an dernier le premier Glory Challenge, une compétition annuelle d'un jour bâtie autour du Joe Valdez Challenge, événement au cours duquel des skateurs font des figures au-dessus du vide d'une étroite rampe de 30 centimètres à une autre. La consommation d'alcool était permise et encouragée, l'air a pris une odeur de weed et les juges subjectifs n'ont pas récompensé le gars qui s'est donné le plus ou qui a fait mieux que les autres.

C'était à la fois la meilleure et la pire idée de compétition de skate de tous les temps.

Le week-end dernier, c'était le deuxième Dime challenge, avec la plus importante cagnotte jamais offerte dans l'histoire du skate : 1 million de dollars. Peter Hewitt a reçu 15 000 dollars pour sa dernière place. Il n'avait même pas skaté.

Voici les huit challenges :

Le challenge de vitesse : Une compétition de figures à haute vélocité sur surface plane avec un mini méga roll-in. Lunettes des années 80 obligatoires pour tous les participants. Les juges enregistrent la vitesse à l'aide de radars de police. Le vétéran de Anti Hero Frank Gerwer a roulé avec un abandon si inconsidéré qu'il est sorti de sa trajectoire, s'est envolé hors de la rampe et a failli perdre la vie.

Le challenge Sluggo : On place un bassin de cubes de mousse devant le roll-in pour cette épreuve qui comprend l'exécution d'une figure à la vitesse maximale. Au cours de l'action, une foule de SP ont été presque écrasés à mort. Ou était-ce du théâtre? Peu importe, cette épreuve a été conçue pour montrer les talents acrobatiques de la légende canadienne du skate Albino Rob « Sluggo » Boyce. Comme tous les hommes de spectacles, il en a mis plein la vue, comme toujours.

Le challenge Joe Valdez : Hommage au samouraï du skate sur rampe étroite et déité du Dime qui a inspiré le Glory Challenge, cette épreuve consiste en un saut d'une rampe étroite à une barre droite au-dessus d'un vide croissant. Wes Kramer de la mafia du skate a atterri sur la tête, qu'il a failli perdre. Personne n'osera dire que ç'a été photoshoppé.

Le challenge Gangster : Celui-là est en l'honneur des centaines de skateurs qui dans l'histoire ont adopté une posture relaxe forcée après une figure difficile réussie. Le propriétaire de Dime, Antoine Asselin, possède plus de style et plus de maîtrise que n'importe qui au Canada. Alors bien sûr c'était couru d'avance. Nos descendants gangsters parleront de son style affecté pendant des générations à venir.

Le challenge de l'épée : Une énorme épée à la Conan est élevée progressivement jusqu'à 2,5 mètres, une garantie que quelqu'un perdra ses couilles et pourrait au passage se couper la bite. Sans surprise, c'était le moment fort de la compétition grâce à Evan Smith d'Element. Smith avait tout détruit sur son passage jusque-là et avait décidé de prendre congé après le challenge Gangster quand son gérant d'équipe chez DC et moi l'avons trouvé couché dans le gazon, fixant les nuages et trébuchant sur des champignons. On l'a convaincu de se bouger le cul et de revenir. En cinq minutes, Smith est passé du gars qui insiste pour dire que sa journée est finie à celui qui pense à essayer un kickflip back lips sur l'épée à son plus haut (alors que les autres essayaient et rataient des boardslides).

Un match de S.K.A.T.E. à 100 000 $ : Dans cette épreuve sans précédent, le champion du monde en titre Wade Desarmo et le prometteur skateur de Philadelphie Jamal Smith ont offert à la foule la plus dispendieuse pause pipi-intermission de l'histoire des compétitions de skate.

Le challenge Josh Kasper : Dans la vidéo d'Osiris de 1999 intitulée The Storm, Josh Kasper a tenté un ollie absurde au-dessus d'un DJ à sa table de mixage. Dime a recréé le saut. Malheureusement, il semble que Josh Kasper n'avait pas envie de faire rire de lui (encore?) et n'a pas participé. Sur le coup, je me suis dit qu'ils auraient probablement dû mettre ce ollie gigantesque au début de la journée, quand tout le monde était frais et dispos. Puis j'ai compris que c'était une pensée servile aux compétitions. Je devais me libérer l'esprit et voir que, comme Dime l'a compris, c'est beaucoup plus drôle de voir les gars fatigués et saouls s'écraser après une chute de trois mètres.

Le challenge Gladiator : Dix skateurs sont entrés dans un cercle pour l'épreuve finale de la journée et un seul est resté debout. Mais je ne me souviens pas qui. Après huit heures, tous les skateurs se ressemblent.

La communauté du skate est frustrée de l'inclusion du skate aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020. Personnellement, je pense que les Olympiques ont bien plus besoin du skateboard que le skateboard a besoin des Olympiques. Mais, après avoir vu le Glory Challenge s'interrompre subitement quand Dustin Dollin de Baker a pris le micro pour annoncer que « personne ne skate tant qu'on n'a pas de bières », et reprendre après que sa demande a été vite acceptée et plusieurs caisses livrées aux athlètes, je dirais que, si les gars de Dime sont responsables du skateboard aux Olympiques, je pourrais en devenir un énergique partisan.

Fuck les Olympiques! Vive Dime! Suivez Chris Nieratko sur Instagram