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reportage

Avec la phalange chrétienne française partie combattre Daesh

Le groupe Dwekh Nawsha recrute d'anciens soldats professionnels pour latter la gueule des fascistes islamiques.
Un soldat français combattant aux côtés de Dwekh Nawsha.

Le téléphone sonne dans le vide. Un homme finit par décrocher. Il est en Irak, il s'appelle Simon, est Espagnol et a 45 ans. Je n'en saurai pas plus. Simon fait partie de l'actuel contingent d'éléments ibériques du groupe Dwekh Nawsha, expression araméenne qui signifie « futurs martyrs ».

Créée le 7 janvier 2015 suite aux attentats djihadistes sur Charlie Hebdo, la franchise française de l'armée assyrienne Dwekh Nawsha propose à d'anciens soldats d'aller combattre l'État Islamique sur ses terres. L'association chrétienne à but non lucratif vit de dons et de récoltes caritatives afin de payer armes, munitions, équipements, nourriture et logements aux soldats recrutés. Aucune des équipes sur le terrain n'est payée, et les soldats viennent de tout le continent européen gonfler leurs rangs. Un modeste groupe de dix personnes s'occupe de gérer la franchise, qui se décline également en Suisse et en Belgique.

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Depuis huit mois, Simon m'avoue n'avoir « pris aucune pause ». « Je ne suis jamais revenu en Espagne revoir ma famille », me dit-il depuis le front, las. Après un vol pour Souleimaniye, dans le Kurdistan irakien, et un petit tour en voiture avec des forces peshmergas venues le réceptionner à l'aéroport, le soldat espagnol révèle avoir été affrété dans des bases à Kirkouk et à Daquq. Un baptême de feu quand on sait que Kirkouk, un temps foulé par les rangers des djihadistes de l'État Islamique, fut le théâtre d'innombrables attentats et attaques terroristes de juin 2014 à début 2016. Depuis cette date, une immense tranchée protège à présent la ville multiethnique, où beaucoup de chrétiens irakiens ayant survécu aux purges de l'État Islamique se sont réfugiés.

Simon avoue que sa foi fut l'une de ses principales motivations au départ. « Je suis chrétien catholique, me dit-il. Et quand j'ai vu ce génocide contre les chrétiens en Irak, ça m'a convaincu de partir. » Ancien soldat de l'armée espagnole, il n'a pas eu besoin de bénéficier d'une formation militaire. Après s'être battu quelque temps, l'homme est passé instructeur auprès de milices de défenses yézidis. La situation de cette communauté dans le besoin, brimée par Daesh, où les hommes sont exterminés et les femmes forcées de devenir esclaves sexuelles, fut également l'une des motivations de Simon.

Entre 2013 et 2014, près de 6 000 femmes yézidis furent capturées et réparties entre djihadistes étrangers. « Les gens sont heureux de ma présence, me dit Simon. Ils comprennent ma motivation, se montrent généreux et veulent toujours m'inviter à manger ou à dormir chez eux. » Le soldat de Dwekh Nawsha ne souhaite pas s'éterniser sur le récit de ses combats, « bien réels » selon lui. Car si beaucoup de soldats étrangers semblent être déçus de leur affectation par les commandants peshmergas, souvent derrière des tranchées calmes, Simon ne semble pas être dans cette configuration-là. « Un jour, avec mon unité peshmerga, on a été pris d'assaut à Beşiir. Là, ça ne rigolait pas. On en a tués 40 et on a perdu un soldat. Je me rappelle aussi d'une bataille pas loin de Sinjar où on a perdu 40 camarades – en échange, nous avons tué 400 djihadistes. »

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Avant de partir se battre en Irak, il ne connaissait rien du pays, à part, selon ses dires, quelques images à la télévision.

Un bataillon d'hommes se battant avec Dwekh Nawsha en Irak. Image via le Facebook du groupe.

Cette méconnaissance du territoire irakien est partagée par celui que l'on appelle sur le front « Ray Donovan », commandant français de Dwekh Nawsha. L'homme se fait appeler ainsi en hommage au héros de la série télévisée, mais aussi pour « se faire un peu de pub », rigole-t-il. Ancien de l'armée française, c'est lui qui recrute, reçoit et gère « ses hommes » une fois sur place.

Depuis septembre 2015, Ray est en charge d'un mini-escadron de dix Français venus le rejoindre pour latter la gueule de Daesh. « Je suis en contact avec eux tous les jours », me lance-t-il, fier de sa troupe. Revenu en France pour notamment préparer l'arrivée sur le front de ses nouvelles recrues, Ray avoue ne pas vouloir avoir de lien physique avec ses hommes dans l'Hexagone. « On pourrait nous localiser. Quand je suis en France, je n'ai aucune confiance. Je me sens plus en sécurité au Kurdistan », reconnaît le commandant.

Une fois sur place, lui et ses hommes sont tout d'abord acheminés sur le front par les combattants kurdes, avec qui Ray entretient d'excellents rapports. Pour ne pas mettre en péril la sécurité de ses escadrons, l'homme reste discret sur le profil des renforts. Il me certifie toutefois que tous sont d'anciens militaires. « On est en règle, me dit-il. Chaque profil des gars qui partent est envoyé au préalable au gouvernement. Je ne peux pas me permettre d'envoyer un terroriste infiltré chez les peshmergas. »

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J'avais lu plusieurs fois que la plupart des combattants volontaires étrangers au Kurdistan ne participaient pas aux batailles. Ray me l'a confirmé, quoiqu'il tempère cette assertion : « Les combattants étrangers ne font pas partie des interventions spéciales ou de ce que l'on nomme les "offensives boucheries". Mais par contre, ils montent la garde tous les soirs », me certifie-t-il.

« Les cadres de l'EI sont obligés de plonger les déserteurs dans des bains d'acide. T'imagines, le petit branleur à qui on a promis 72 vierges, s'il rentre en propageant en Europe la réalité, comme quoi ils prennent des raclées, exécutent, violent, tuent, brûlent… Ce serait l'hécatombe. »––Ray Donovan

Pour intégrer l'escouade, le casier judiciaire des postulants doit être vierge et les motivations, nobles. « Parfois je reçois des lettres de motivation de gars qui m'expliquent qu'ils veulent venir "casser du bougnoule", m'explique Ray. Dans ces cas-là, je leur dis que ce sera compliqué. » En effet, Dwekh Nawsha travaille main dans la main avec les peshmergas irakiens, musulmans sunnites. Entre les candidatures bidons et les désistements, Dwekh Nawsha peine en ce moment à attirer du monde. « Je suis fatigué par ça… Programmer trente mecs et en avoir deux qui partent au final, ça m'use. Parfois t'as des mecs qui se sentent chauds, mais après l'été, t'as plus de nouvelles. Puis ils rappellent un an et demi après et te demandent où est passé leur dossier… »

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Une certaine forme de fan-art à la gloire de la milice assyrienne. Image via le Facebook du groupe.

Monica Pavato s'occupe de la communication chez Dwekh Nawsha. Elle m'avoue, honnête, que les pics de candidature sont très importants après chaque attentat. Néanmoins, rares sont ceux qui osent franchir le premier pas. « En octobre dernier, nous avons reçu 500 demandes de départ. Sur les 500 demandes, nous en avons retenu environ 230, et sur les 230, seuls 26 étaient prêts au départ pour janvier 2016. » Quand je lui demande combien d'hommes, sur les 26 partants, ont finalement foulé le sol de l'Irak, elle me répond, laconique : « Seulement trois… »

Ray ne veut pas s'alarmer pour autant. Il continue de considérer ses soldats comme des troupes d'élite et non des rigolos. « Moi, je ne recrute que des anciens soldats. Les peshmergas exigent des mecs qui ont toujours connu la guerre. Depuis l'Irak avec Saddam Hussein, en passant par Al-Qaïda et aujourd'hui Daesh, beaucoup de nos recrues espagnoles correspondent au profil. » Il m'indique également qu'il refuse d'organiser les remises en forme nécessaires des nouvelles recrues sur le sol français. Ou alors de manière « strictement individuelle ». Les camps d'entraînement de forces militaires non-étatiques, sont interdits en Europe. Niveau économique, aucun soldat ne touche non plus de rémunération. En France, le mercenariat est interdit depuis 2003 et est considéré comme une atteinte à l'autorité de l'État.

Nicolas Charles Oudinot s'occupe de la partie économique de Dwekh Nawsha. Un poil désabusé, il reconnaît : « Nous vivons, si l'on peut dire, sur les dons de nos membres – et ils ne sont pas très généreux… » Selon lui, quelques transferts d'argent sont expédiés de temps à autre, et ils ne dépassent jamais les 1 000 euros. Ray dit toutefois vouloir envoyer davantage de mandats à ses hommes. « J'ai envie qu'ils se fassent plaisir sur la bouffe. Ou qu'ils prennent un taxi pour se relaxer à Erbil. »

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Malgré une volonté de transparence totale sur ses activités en Irak, Ray, ancien militaire français et « avant tout citoyen français », me précise n'avoir plus le moindre contact avec les cadres de la diplomatie française. « Ni un bonjour, ni un bonne chance, ni même un merde », soupire-t-il. Comme beaucoup de militaires, retraités ou encore en service, Ray prend du recul sur l'action gouvernementale. En cause, une série de déclarations qui seraient mal passées dans les rangs de l'armée française. Comme celle, signée en août 2012 par Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères : « Jabbat al-Nosra fait du bon boulot. »

« Notre ministre considère qu'il existe des terroristes modérés… Il y a une quinzaine de groupes de ce type, infâmes. Et la scission de Fateh-al-Sham avec Al-Qaïda ne les rend pas plus sympathiques. En Irak, ça a donné Daesh. Dans le nord de l'Afrique, ça a donné Aqmi », souffle Ray.

Quoi qu'elle se revendique apolitique, l'association Dwekh Nawsha, comme la plupart des phalanges paramilitaires, peut être placée assez à droite sur l'échiquier politique. Lorsque je reviens avec Ray sur l'avancée des troupes alliées contre les hommes de Daesh, celui-ci déclare : « C'est un fait : les enturbannés prennent une tannée. Ils prennent une telle branlée en Syrie qu'ils sont contraints de se replier sur l'Irak. » Aussi, le commandant a eu vent des exactions commises par Daesh vis-à-vis de ses déserteurs étrangers, notamment Français. « Les cadres de l'EI sont obligés de plonger les déserteurs dans des bains d'acide – pour faire des exemples. T'imagines, le petit branleur de cité à qui on a promis 72 vierges, s'il rentre en propageant en Europe la réalité, comme quoi ils prennent des raclées, comme quoi ils exécutent, violent, tuent, brûlent… Ce serait l'hécatombe. »

Mais même si Ray Donovan avoue « aimer ça », la guerre reste pour lui une immense plaie qu'il veut à tout prix éviter à la France. « J'en ai encore pour dix ans. Un jour, j'aimerais déléguer mon commandement et passer à autre chose. » Car malgré les victoires récentes des alliés, l'ennemi reste coriace : « Les combattants de Daesh sont drogués au captagon. Quand tu shootes un mec qui continue de courir avec les boyaux à l'air, c'est pas normal. Comme dans Walking Dead : t'es obligé de leur en mettre une dans la tête pour qu'ils s'arrêtent. »

Mais plus qu'une entité guerrière cherchant à protéger les chrétiens d'Orient, Dwekh Nawsha se revendique avant tout en tant qu'association tournée vers la défense de l'humain. Ray se souvient : « Un jour, on a reçu cette petite dame. Elle était avec ses filles et ses fils, et venait d'être libérée de Daesh. Elle était si terrorisée qu'elle refusait notre aide et la nourriture qu'on voulait lui offrir. Elle devait sûrement penser qu'on la violerait en retour. Je regardais ça avec les larmes aux yeux. »

Tandis que nous poursuivons notre discussion au téléphone, Ray est coupé à plusieurs reprises. Il a d'autres appels, et compte tenu des circonstances, plus urgents que les miens. Contraint de mettre un terme à nos échanges, le commandant de Dwekh Nawsha me glisse, imperturbable : « Tu sais, ce que je fais, c'est pour le bien commun. Je sais que je n'aurai jamais de médaille. »

Quentin est sur Twitter.