On parle de normalité avec le duo art-punk Crabe

Fort de cinq albums (dont le dernier, Le temps f33l, est paru au printemps dernier), le duo art-punk Crabe a, depuis 2007, enfilé son lot de tournées DIY au Québec, dans le ROC et aux É.-U.

Même si ça va généralement bien, Mertin Hoëk et Gabriel Lapierre épongent depuis leur Valleyfield génitrice jusqu'à leur Montréal d'aujourd'hui l'étiquette de créateurs de « musique fuckée ». C'est rarement mal intentionné, mais vide quand même. Surtout qu'Hoëk et Lapierre perçoivent leur démarche comme honnête, voire naïve.

En réponse aux descriptifs qu'on colle trop souvent à leur musique, Hoëk et Lapierre définissent désormais leur œuvre comme étant violemment «normale». Fait qu'on a jasé avec eux de tout ce qu'il y a de normal : leur musique, le monde, toute.

VICE : Qu'est-ce qui est normal à part votre toune Normal? Le terme vous suit depuis quand?

Mertin Hoëk : C'est Gabriel qui a commencé à dire ça.

Lapierre : C'est une façon de ne pas être prétentieux, c'est un peu ironique : « Heille, mon band est vraiment bon, mais on joue de la musique normale ».

Hoëk : En même temps, Crabe, c'est 100% normal. On traite de sujets comme aller au magasin, aimer ses amis… Pis mes riffs, pour moi, sont… normaaal.

Lapierre : Je pense qu'il y a plus de gens qui devraient dire qu'ils font de la musique normale.

Fait que la normalité, au final, c'est relatif.

Hoëk : Je pense que oui. Ça peut avoir l'air pas normal pour, mettons, Marie-Hélène Thibert, mais ce qu'elle fait, selon elle, ça sort de son cœur. En tout cas, j'ose l'espérer.

Lapierre : On dit beaucoup « normal » pour contrer les gens qui disent : « Estie que vous faites de la musique de fuckés ». Ça, c'est le commentaire le plus vide ever.

Pourquoi tu trouves que « fucké », c'est vide, et que « normal », ça l'est pas?

Lapierre : Les deux sont peut-être vides, mais je trouve que « nouveau pour moi » serait plus approprié que « fucké ». Mertin et moi, on est pas fuckés. On est sensibles, intelligents, pis on essaie de s'améliorer. Fucké, ça serait plus quelqu'un de brisé intérieurement.

Hoëk : Nos chansons sont composées dans un appartement normal après un travail normal. C'est de la musique-thérapie.

Lapierre : On pratique normalement dans un local qu'on paie normal cher.

Normal ou normcore?

Hoëk : Normal, c'est large ; normcore, c'est trop précis.

Lapierre : Tu veux que ça paraisse que t'as choisi d'être normal. Normcore, ça serait de remplacer la voix de Mertin par des bruits de chats pis de chèvres.

Ça serait quoi, selon vous, le genre musical de Crabe?

Lapierre : Moi je dirais du parapunk [rires]. Pour vrai, quand le monde me le demande avant les spectacles, je dis qu'on fait de la musique dynamique, énergique, lumineuse, positive et jeune.

Vous faites de la musique jeune, dynamique et lumineuse…

Lapierre : Et familiale aussi.

…et familiale. Mais il y a parfois une certaine incompréhension amusée face à votre musique. Le public m'apparaît toutefois tranquillement grandissant.

Hoëk : Les gens qui s'accrochent à nous sont persévérants. Surtout avec Le temps f33l, les gens qui se sont intéressés au projet sont allés au-delà de la grosse patente qui est épeurante pour trouver des trucs doux, thérapeutiques. Il y a généralement un flow mélancolique. C'est cool que les gens voient ça de plus en plus.

Lapierre : Dans les deux derniers albums, les idées et les concepts s'éclaircissent. Ça devient un peu plus listener-friendly.

Hoëk : Je dirais que maintenant, après les shows, les gens vont être francs. C'est cool parce qu'on est francs pendant qu'on joue. Les pires réactions qu'on va avoir, ça va être du genre : « C'est vraiment pas mon genre mais j'ai aimé votre complicité ». L'an passé on a joué à Valleyfield en première partie de B.A.R.F. — on ne fittait pas pantoute — avec Vantablack Warship, le band métal de Yannick d'Arseniq33, un groupe qui m'a beaucoup influencé. À la fin du show, Yannick est venu me voir pour me dire : « C'est vraiment cool qu'il y ait encore des groupes comme vous, qui font de la musique bizarre pis qui persévèrent ». Ça m'a beaucoup touché.

Lapierre : Quand on joue devant une nouvelle foule, ce qui me fait vraiment plaisir, c'est qu'il y a toujours au moins une nouvelle personne qui a tripé solide, qui avait drette besoin de ça à ce moment précis-là.

Les 10 ans du groupe, ça approche. Vous avez des plans?

Hoëk : Je veux booker une tournée européenne — un bon mois — pis m'immoler à la fin du dernier show.

Lapierre : En feu à terre, on écrirait : « Conseil d'ami : lâche la musique ».

Hoëk : Là, on va être populaires — enfin. Crabe sera en concert le 7 octobre au Matahari Loft avec Yonatan Gat et Uubbuurruu.

Benoit Poirier est normalement surTwitter.