J’ai été violé par un prêtre catholique
Tchécoslovaquie, 1960. Photo de Josef Koudelka/Magnum Photos

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J’ai été violé par un prêtre catholique

Marié et père de famille, ce crime commis pendant mon adolescence me hante encore aujourd'hui.

On Being Raped décrit le viol d'un jeune homme de 18 ans, et insiste sur la stigmatisation qui touche les victimes et les force à se terrer dans la honte et le silence. Notre société, en détournant le regard, permet aux responsables de s'en tirer. Comme le fait justement remarquer l'auteur, Raymond M. Douglas, « il est statistiquement certain que chacun d'entre nous connaît un homme ayant été violé. Le souci, c'est que personne ne sait de qui il s'agit. » Si le thème du viol sur les hommes est de plus en plus évoqué grâce à des témoignages et des œuvres comme Spotlight, il demeure très marginal. On Being Raped jette une lumière crue sur un enjeu qui ne devrait pas être confiné aux forums Internet anonymes. VICE est très fier de vous présenter le premier chapitre de ce livre.

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—James Yeh, culture editor

Gloucestershire, Grande-Bretagne, 1992. Photo de Peter Marlow/Magnum Photos

Le Mal n'a rien de banal. L'être malfaisant, lui, l'est. Si les crimes nous fascinent, si certains faits divers nous frappent à cause de leur excentricité, il en va rarement de même pour les criminels – qui n'ont pas grand-chose en commun, hormis leur insignifiance. Adolf Hitler était un moins-que-rien, un loser à la mauvaise haleine, au nez disproportionné et à la moustache encore plus ridicule. Joseph Staline était un prêtre raté, Clyde Barrow un voleur de dindes, Hermann Goering se passionnait pour les trains, etc. Si les biographes et les historiens se fascinent pour ces personnalités à première vue hors du commun, ils sont souvent déçus en découvrant que sous une épaisse couche de sadisme, se cache une médiocrité toute pathétique.

L'homme qui m'a violé ne fait pas exception. Il menait une vie banale, insignifiante, et n'avait rien pour se démarquer, hormis cette propension à se satisfaire du malheur des autres – ce que j'ai réalisé bien trop tardivement. Il est frappant de réaliser à quel point ma vie a été chamboulée par un être aussi quelconque.


Le viol lui-même était quelconque. Ici, je ne peux que présumer. Je ne connais qu'un seul viol – le mien. En écrivant ces lignes, je comprends que mes mots ne traduisent que partiellement ce que je ressens. Combien de fois un viol s'est-il produit depuis l'apparition de l'Homme ? Combien d'histoires différentes y aurait-il à raconter ? Des milliards, sans doute. Cette multitude disparaît d'un seul coup quand on la résume par ce simple mot : le viol. En quoi mon viol diffère-t-il des autres ? « Eh bien, il me concerne » n'est pas une réponse suffisante. Il n'y a rien de plus chiant qu'un viol lambda, en fait.

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Depuis qu'il a eu lieu, j'ai tenté de l'intégrer dans mon cheminement personnel, quelque part entre mes années de lycée et mon passage à l'université. Sauf qu'il refuse de se plier à ma volonté. Aujourd'hui encore, il modifie sans cesse le code source de mon existence, à l'image de ces pop-ups qui apparaissent à une telle vitesse sur mon écran d'ordinateur que je suis incapable de les supprimer. Par le passé, j'ai déjà été victime d'un cambriolage et de plusieurs vols. Le coupable a parfois été identifié, les dommages couverts par l'assurance. Sauf qu'avec le viol, il n'y a jamais de cicatrisation possible. Le viol est toujours présent, là, dans l'instant.

J'imagine qu'il en va de même pour les autres victimes de viol. Pourquoi est-il si difficile de tirer un trait sur cette simple nuit ? Pourquoi suis-je incapable de me dire qu'à l'image des autres emmerdes de ma vie, celle-là relève du passé ?

La réponse est assez simple, en fait. Le viol – le mien, et celui de nombreuses autres victimes – empêche toute séparation entre l'être et l'événement en question. Le viol est une connaissance, un savoir qui n'a rien de bénéfique. En étant violé, j'ai appris des choses sur moi-même et le monde en général, des choses que j'aurais préféré ne pas savoir. Dès lors, ce savoir me détruit à petit feu.


J'avais 18 ans. À côté de mes études, j'étais gardien dans une école. Je bossais six nuits par semaine – le vendredi était mon jour de repos. Je parcourais le campus avec une lampe torche et un chien qui essayait constamment de me mordre. La paye était ridicule, mais j'aimais ce job et les responsabilités qui allaient avec.

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Un vendredi pluvieux de février, alors que j'étais tranquillement chez moi, un prêtre a téléphoné et m'a invité dans à une soirée qu'il organisait dans la paroisse du coin. Je le connaissais, mais cela faisait des mois que je ne l'avais pas vu. C'était l'aumônier de mon école, qui s'impliquait dans de nombreuses retraites spirituelles. Des élèves n'hésitaient pas à traverser la rue afin de passer du temps en sa compagnie dans son grand salon. Sa collection de vinyles était célèbre. Il en possédait tellement qu'il aurait pu ouvrir une station de radio sans problème. Âgé d'à peine 40 ans, cynique, doté d'un esprit vif, il était connu pour boire un peu trop.

J'ai débarqué à cette soirée vers neuf heures. Un autre prêtre et six étudiants étaient présents – trois d'entre eux étaient assis près de la cheminée du salon. Les autres avaient préféré se regrouper dans la cuisine, restant le plus loin possible du prêtre, passablement éméché. J'ai tout de suite compris qu'il était bourré – un verre de whiskey à la main, il titubait tout en éructant quelques diatribes que le Vatican n'aurait pas cautionnées. Il en avait l'habitude. La soirée avançait, et ses gestes devenaient de plus en plus saccadés, ses paroles incohérentes, ses yeux livides. L'un des mecs présents, conscient du danger, a alors pris les devants en proposant au prêtre de lui servir des verres – tous largement dilués avec de l'eau.

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Vers deux heures du matin, l'autre prêtre ayant disparu, nous décidions d'organiser un conseil de guerre dans la cuisine. Nous étions d'accord sur une chose – l'aumônier n'était pas en état de rester seul chez lui. Sa voiture était stationnée dans la rue et il pouvait à tout moment être appelé par l'un de ses paroissiens. La courte paille fut tirée – par moi, comme vous l'avez deviné. Je m'engageais à rester avec lui après le départ de tout le monde afin de l'empêcher de quitter sa maison. Mon objectif était de le mettre au lit le plus rapidement possible. Une heure plus tard, le feu s'était éteint, et le prêtre acceptait de regagner ses pénates. Sa chambre donnait sur le salon, séparée seulement par plusieurs portes en bois. Après être parti quelques instants me chercher une couverture et un coussin pour que je puisse dormir sur son canapé, il était revenu vers sa porte, et l'avait fermée de l'intérieur, prétextant plusieurs cambriolages au cours des mois précédents. Je n'avais pas vraiment tiqué, sur le coup.

Une fois revenu dans sa chambre, il était incapable de défaire ses chaussures. Je l'ai donc aidé sans sourciller, puis l'ai incité à enlever ses vêtements et à enfiler son pyjama avant de dormir. Au moment de partir, il m'a hélé : « Attends un peu. Je n'arrive pas à dormir seul dans le noir. Reste un peu jusqu'à ce que je m'effondre. S'il te plaît ? »

J'étais prêt à tout pour qu'il me laisse tranquille. J'ai tiré une chaise, et me suis assis. « Ne sois pas ridicule, m'a-t-il dit. Tu peux t'allonger sur le lit. Je ne vais pas tarder à dormir. Juste, enlève tes chaussures. Je ne veux pas que tu salisses ma couette. » Sans attendre ma réponse, il éteignait la lumière.

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Vous devez vous dire qu'après avoir accepté tout cela, j'ai bien mérité ce qui était sur le point de m'arriver. La cruauté qui entoure un viol commence là : en culpabilisant la victime. Pourquoi as-tu été aussi stupide ? Ce qui allait se produire était évident, non ?

En fait, pas vraiment. Je n'y pensais pas – même pas l'espace d'une seconde. Il était prêtre. J'étais un élève de l'école et un membre de la paroisse. De plus, j'étais vierge, même si ça n'a pas grand-chose à voir avec le reste.

Les longs rideaux étaient parfaitement opaques. La chambre était noire, d'une obscurité sans pareille. Installé sur le lit, je me tournais vers le bord, tout en écoutant sa respiration. J'espérais que celle-ci ralentisse et devienne régulière, me permettant de rejoindre le canapé. La journée était interminable, et je n'avais qu'une envie : dormir.

Après dix minutes d'attente, une main a surgi de la pénombre pour me saisir au niveau de la ceinture. Une autre a voulu l'ouvrir. Lentement, je me suis assis. La première main a fermement poussé mon torse et m'a forcé à me rallonger. Une voix a alors déchiré le silence – une voix autoritaire, qui ne portait à aucune discussion.

« Je veux que tu me suces. »

L'espace d'un instant, je ne savais pas quoi répondre. Si quelqu'un avait eu l'occasion d'observer mon visage avec des lunettes infrarouges, il aurait sans doute éclaté de rire. À l'époque, nous n'avions pas l'habitude de parler de sexe aussi crûment. J'essayais de déchiffrer cette injonction, jusqu'à ce qu'un nouvel ordre, bien plus menaçant, se fasse entendre. « Suce-moi. »

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Mauvais signe. Il fallait que je file. J'ai roulé en direction du bord du lit, mais n'ai jamais pu l'atteindre – le corps d'un homme m'empêchait de bouger. Pour la première fois, je réalisais que le prêtre était moins léger qu'il ne le laissait paraître. J'essayais de me relever, mais une main me tenait fermement au niveau du cou et me clouait au lit. J'avais mal, et j'aurais hurlé si j'en avais été capable. Avec son autre main, le prêtre allumait la lumière située sur sa table de nuit. Après avoir positionné ses genoux au niveau de mes épaules, il me regardait droit dans les yeux, comme s'il attendait de voir comment j'allais réagir.


Quand quelqu'un vous écrase de tout son poids, la réaction la plus évidente est d'essayer de le repousser en soulevant votre pelvis de manière répétée – un geste pas si éloigné de l'acte sexuel, en fait. Je ne saisissais pas encore l'ironie de ma tentative, à l'époque. Quoi qu'il en soit, ça n'a pas marché. Mon agresseur attendait simplement que je me calme. Il avait l'air parfaitement sobre, contrairement à ce qu'il laissait paraître vingt minutes plus tôt. Mes bras étaient encore libres, et je me suis donc défendu. Ça n'avait rien de rationnel ou de conscient. J'essayais juste de le frapper avec mes poings et de lui faire mal.

On a tendance à insister sur l'importance de l'instinct de survie chez l'être humain. Selon une légende largement répandue, quiconque cherche à survivre a le moyen de se sortir de n'importe quelle situation. Cette croyance nous pousse parfois à agir de manière imprudente. Je crois qu'un film comme Piège de cristal plaît autant aux mecs parce qu'il fait résonner en eux un sentiment que certains jugent inné : celui de pouvoir faire appel à l'instinct de survie face à un danger imminent.

Je me suis donc défendu autant que j'ai pu. J'étais désespéré, et l'adrénaline parcourait mon corps. J'essayais de faire mal, concentrant ma force dans mes poings et mes coudes. Je n'aurais pas hésité à lui sectionner la carotide avec mes dents si j'avais pu l'atteindre. C'était la première et dernière fois de ma vie que je comportais comme un animal. Je hurlais comme un joueur de tennis lors d'un cinquième set interminable. Je tordais chaque centimètre de peau que je pouvais atteindre.

Ça n'a pas suffi. Mes quelques coups-de-poing n'avaient pas amoché le prêtre. Il a fini par répliquer avec un coup – de poing ou de coude, je n'en sais toujours rien. J'étais sonné. Ma vision périphérique avait disparu. Je ne voyais qu'un petit espace réduit devant moi, espace rempli par l'immensité de son visage. J'avais la nausée, des décharges électriques allaient de pair avec les battements de mon cœur. J'avais honte – un seul coup avait suffi à me faire renoncer. J'étais étendu, sans défense. Le prêtre n'attendait que cela. Il a alors posé son genou contre mon estomac, m'empêchant de respirer. Je l'ai entendu défaire les boutons de son bas de pyjama. Puis il a commencé.

Extrait du livre On Being Raped par Raymond M. Douglas, modifié avec la permission de Beacon Press.

Raymond M. Douglas est professeur d'histoire à l'université de Colgate. Il vit à New York avec sa femme et sa fille.