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Sport

Les Anti-football sont-elles les personnes les plus relou de l’Euro 2016 ?

Une analyse des critiques éculées et stupides émises par la bonne société vis-à-vis du football.

Photo via Flickr.

Ce moment survient lors de toutes les compétitions de foot internationales, ou un tant soit peu importantes. Dans les transports en commun, au boulot, sur Facebook ou chez Monoprix (surtout chez Monoprix), vous tombez sur ce mec ou cette meuf qui, défiant une à une toutes les règles de décence ordinaire et de savoir-vivre, balance au tout-venant : « Moi de toute façon, je n'aime pas le foot. Je ne comprends pas qu'on puisse s'intéresser à des abrutis millionnaires qui jouent à la baballe sur une pelouse. »

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Cette phrase, tous les amateurs de football l'ont déjà entendue. Et c'est vrai que depuis maintenant près de trois semaines et le début de l'Euro 2016, de nombreuses et pénibles voix du même ordre se font entendre. Sur le même sujet. Celles-ci s'élèvent une nouvelle fois contre « le football au quotidien ! », « les supporters bruyants et sales qui ont envahi les rues ! » et contre ce qu'il est de bon ton de considérer comme la prétendue vacuité d'un « sport sans intérêt ». La détestation du ballon rond a la peau dure et semble encore avoir de beaux jours devant elle.

Qui sont ces gens ? Que veulent-ils ? Que reprochent-ils objectivement à la communauté des amateurs du football si ce n'est que ces derniers n'arborent pas comme eux un tote-bag rempli de graines de soja et de bonne humeur communicative ? C'est ce que j'ai essayé de comprendre.

J'ai d'abord contacté Thibaut Leplat, journaliste et écrivain qui a beaucoup travaillé sur la culture football à la française. Celui-ci m'a expliqué qu'il existerait en réalité « un double snobisme : ceux qui n'y connaissent rien et qui font de cette méconnaissance une fierté ; et également ceux qui s'y connaissent mais qui font mine d'avoir la connaissance absolue dans le domaine du football. » Très clairement, il est facile de ressentir chez les premiers cités cette espèce de condescendance surjouée pour la culture foot, balayant du même coup et sans le moindre remords l'intégralité d'une sous-culture fantastiquement vaste et vieille de plus d'un siècle.

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Les hostilités ont débuté début juin, lorsque Médiapart, quelques jours avant l'Euro, publiait l'incendiaire brûlot de Juliette Keating intitulé « Chroniqued'une haine extraordinaire ». Dans ces six paragraphes, la journaliste explique pour quelles raisons elle déteste le football. Et les causes sont nombreuses : de « l'argent facile » aux supporters présentés comme des « piliers de bistrot aux maillots floqués tendus sur leur gros bide, réunis comme des bœufs », le football et ses amateurs en prennent pour leur grade. À raison ? Bien sûr ! Le football n'est pas exempt de tout reproche, ne le sera probablement jamais, et c'est tant mieux. Néanmoins, on peut regretter cette accumulation ridiculement écœurante de clichés usés jusqu'à la lie, et autant d'analogismes qui seraient inimaginables pour parler de n'importe quelle autre discipline, ou de n'importe quel autre corps de métier.

Puis surtout : les arguments de ce billet sont en grande majorité les mêmes utilisés par à peu près 100 % de ce que le football compte de haters. Sur Twitter, le ridicule hashtag #Rienafoot permet d'ailleurs de dresser un bon portrait-robot des Français qui haïssent le football. Pas question pour eux se regarder un Belgique-Italie, puisqu'ils vont à juste titre préférer se tourner vers des activités plus « enrichissantes » auxquelles s'adonne par ailleurs n'importe quel fan de foot, à savoir regarder un film ou lire un bouquin. C'est d'ailleurs là l'un des plus évidents paradoxes de leur argumentaire. Ce qui est reproché à un footballeur professionnel (salaire mirobolant, symbole excessivement vulgaire de la victoire du néolibéralisme, etc.) peut par extension également l'être à un acteur, à un musicien ou – dans une moindre mesure – à un auteur. Cette condescendance pavlovienne se retrouve une nouvelle fois à l'œuvre ici, et les footeux demeurent parqués dans le rôle du beauf, lequel préfère évidemment s'abrutir devant un sport stupide et violent plutôt que de s'élever intellectuellement grâce aux délices de la culture avec un grand C.

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Photo via Flickr.

On peut cependant se demander si la répulsion qu'inspire le football à certains ne vient pas de la manière dont celui-ci est présenté à la population. En fouillant sur Doctissimo, je suis tombé sur un thread nommé « Je suis un garçon et je déteste le football ». L'utilisateur y demande à la cantonade si le fait de haïr le football est normal pour un jeune homme. « Bonjour, j'aimerais savoir si c'était normal d'être un garçon et de détester le foot ? Pourtant je ne suis pas moins viril qu'un autre. […] Alors pour faire style je dis que J'ADORRRRE l'OM ! Sinon je passerais pour un bouffon », s'inquiète-t-il. Cet internaute adorable est alors très vite réconforté par d'autres utilisateurs, plus âgés, qui lui expliquent que non, bien évidemment que non, il n'est pas anormal d'être un garçon et de ne pas aimer ce sport. Néanmoins, l'inquiétude du jeune garçon révèle bien l'aspect « ordinaire », pour ne pas dire « obligatoire » d'aimer le football dans nos sociétés. Cette injonction à adorer quelque chose permet de comprendre le rejet absolu qu'elle peut entraîner chez d'autres.

Car si l'on suit cette idée, les amateurs du sport seraient si présents et influents dans toutes les sphères de la société qu'ils forceraient les autres à se plier à leur passion – et à cloisonner les sexes d'autant plus. Quoique fantasque, cette théorie semble satisfaire certains. Dans une story publiée sur le site Psychologies, un contributeur conclut son billet nommé « Tous les hommes n'aiment pas le foot » par la surprenante phrase suivante : « Oui, cela me choque et me révolte quand une femme parle de foot ou s'y intéresse ! Mesdames, vous êtes le dernier rempart qui nous protège de la barbarie la plus totale. » Ambiance.

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Il est bien loin le temps où la France faisait bloc derrière l'Équipe de France. Au lendemain de la Coupe du Monde 1998, les Bleus jouissaient d'une énorme cote de popularité, qui s'est peu à peu effritée lorsque la routine a repris ses droits. On peut dire cependant que cette défiance vis-à-vis du football a participé au désintéressement progressif d'une partie de la population française qui s'était laissé pourtant prendre la main par l'équipe d'Aimé Jacquet. Cette crise a connu son apogée lors du Mondial 2010 en Afrique du Sud. Les fameux épisodes dits « du bus », de même que l'altercation animée entre le sélectionneur Raymond Domenech et Nicolas Anelka, ont définitivement achevé de classer le football comme un sport de cailleras irresponsables.

Sauf que : pas sûr. L'explication de la détestation du football est peut-être, voire sans doute, bien plus complexe que cela.

Aujourd'hui, l'Équipe de France semble de nouveau trouver grâce aux yeux des Français. Selon un sondage datant d'avant les débuts de la compétition, 62 % des personnes interrogées pensaient que les joueurs étaient « autant soutenus qu'en 1998 ». Mais le mal est fait. Car, à entendre les conversations de bistrot ou à lire les commentaires sur les réseaux sociaux, on voit que les Français sont de plus en plus critiques et durs envers les joueurs – et ce, malgré les bons résultats de l'équipe. Il aurait été inimaginable de s'en prendre avec autant de véhémence à Lilian Thuram ou à Zinedine Zidane. Encore moins pour la génération d'avant des Michel Platini ou Alain Giresse. Comme l'Équipe de France demeure une vitrine du football dans l'Hexagone, l'opinion publique vacille à la moindre incartade, aussi bénine soit-elle.

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« Le mépris du football est le signe d'une véritable infirmité intellectuelle », s'insurgeait il y a quelques années le philosophe Jean-Claude Michéa lors d'une interview accordée aux Inrockuptibles. Ce point de vue est, selon moi, parfaitement juste. Il est alors intéressant de s'interroger sur la santé mentale des classes supérieures de la société française, lesquelles ont de plus en plus de mal à se retrouver dans les joueurs de football. Le débat à propos des footeux trop payés n'est pourtant pas récent. Selon Thibaut Leplat, « cela existait déjà dans les années 1930 au moment de la professionnalisation du football ; Pierre de Coubertin lui-même pensait que l'argent allait corrompre la beauté du sport. »

Mais alors, quel est le problème avec les footballeurs ? La réponse se trouve peut-être dans cet article de Philippe Guibert paru sur Slate.fr. Dans « La footophobie, ce mal français », il explique que certains Français se demandent « comment des gens sans diplôme et qui s'expriment si mal, peuvent gagner haut la main la lutte contemporaine pour la visibilité et la notoriété, en même temps que celle pour le plus gros salaire ». Car bien sûr, l'argent demeure indubitablement le nerf central de cette détestation. Comment des sportifs, qui ne produisent rien de bon pour la société, peuvent-ils être bien mieux payés que des hommes et femmes exerçant des professions nobles telles que médecin ou enseignant ? « Pour eux, c'est enfreindre la règle sociale fondamentale » poursuit Guibert. La règle à laquelle il fait allusion, c'est celle qui est rétive à toute forme d'ascension trop brusque, ou trop rapide, dans la hiérarchie socioprofessionnelle. C'est aussi celle qui estime que seule une certaine caste a le droit d'y accéder.

Pour l'historien Fabien Archambault, il s'agit là d'une évidence. « Il est de bon ton de stigmatiser le football dans les élites françaises », clame-t-il. Le sociologue Anthony Mahé estime quant à lui que « derrière les critiques adressées au football, on retrouve beaucoup des alarmes de l'intelligentsia contre ce "peuple" qu'on n'ose plus, qu'on ne veut plus nommer. Beaucoup de ce qu'on reproche aux banlieues notamment : agressivité insolente, argent facile, luxe clinquant de jeunes mal élevés habillés en grandes marques. »

Car plus que jamais, le football est l'un des plus puissants opiums du peuple sur le marché. Et à l'heure actuelle, alors que le niveau scolaire français n'a jamais été aussi bas, il est de bon ton de casser tout ce qui est fondamentalement populaire – ou du moins, d'en prendre ses distances autant que possible. L'analogie la plus pertinente serait sans doute la haine qu'inspirent à certains Cyril Hanouna et ses émissions. Comme le football, si celles-ci sont critiquables en de nombreux points, elles permettent à beaucoup de téléspectateurs (et donc, de gens) de passer tout simplement un bon moment. D'oublier un quotidien fait de travaux répétitifs, de soucis d'argent et d'absence d'avenir.

Pour certains sujets, force est de reconnaître que les mentalités ont beaucoup de mal à évoluer. Et au vu des réactions observées vis-à-vis de n'importe quel sujet impliquant Karim Benzéma ces trois dernières années, il y a fort à parier que la détestation du football ait encore de très beaux jours devant elle.

Hugo est sur Twitter.