Condamnés à mort (à tort)

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Interviews

Condamnés à mort (à tort)

Trois personnes emprisonnées – puis libérées – témoignent de leur passage derrière les barreaux et de leur combat contre la peine de mort.

Toutes les illustrations sont de Robin Renard

Le matin du 10 septembre 1977, le détenu tunisien Hamida Djandoubi, 27 ans, est escorté hors de sa cellule par un cortège d'une trentaine de personnes. Alors qu'il a les mains étroitement menottées, l'un des gardiens le fait asseoir sur une chaise et lui offre une cigarette. Djandoubi boit ensuite un demi-verre de rhum par petites gorgées, avant de se faire découper le col de sa chemise par son bourreau. Il est ensuite guillotiné dans une cour de la prison des Baumettes, où il avait été incarcéré quelque temps auparavant, aux alentours de 5 heures du matin. « En une seconde, une vie a été tranchée. L'homme qui parlait, moins d'une minute plus tôt, n'est plus qu'un pyjama bleu dans un panier », écrira la doyenne des juges d'instruction de la ville, Monique Mabelly, commise d'office pour assister à son exécution.

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Condamné pour « assassinat après torture et barbarie », Djandoubi fut la dernière personne à être exécutée en France. Quatre ans plus tard, en octobre 1981, la peine de mort était abolie sous la présidence de François Mitterrand – lequel s'était fermement exprimé contre l'exécution capitale lors de sa campagne électorale. Début 2016, 103 pays l'avaient interdite en toutes circonstances, tandis que 37 autres continuaient de l'appliquer régulièrement. Selon l'association française ECPM - Ensemble contre la peine de mort, au moins 1 634 prisonniers ont été exécutés l'année dernière. Afin de sensibiliser le grand public aux conséquences de cette pratique, l'association organise un congrès mondial tous les trois ans, dont la sixième édition se tiendra du 21 au 23 juin à l'opéra d'Oslo. Plusieurs défenseurs des droits de l'Homme et proches de personnes exécutées y interviendront aux côtés d'anciens condamnés à mort. On a demandé à trois d'entre eux de nous parler de leur temps passé dans le couloir de la mort, de nous donner leur version des faits qui les y ont menés, et d'évoquer leur prise de position abolitionniste.

Ndume Olatushani, ancien condamné à mort aux États-Unis
[Le 2 octobre 1983, aux alentours de 9 heures du matin, des braqueurs armés font irruption dans un supermarché de Memphis, avant de faire feu sur l'épicier Joe Belenchia qui meurt sur le coup. Plusieurs témoins ont déclaré avoir vu les responsables s'enfuir à bord d'un break bordeaux similaire à celui que conduisait Ndume Olatushani – qui déclare pourtant avoir célébré l'anniversaire de sa mère au moment des faits.]

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« Je suis né et j'ai grandi à Saint-Louis, dans le Missouri. Je ne m'étais jamais rendu dans l'État du Tennessee, jusqu'à ce que l'on m'y traîne en procès. Les preuves qui ont été utilisées contre moi ont été fabriquées de toutes pièces par les autorités, qui faisaient partie des seules personnes à pouvoir attester de mon innocence. J'ai été jugé et condamné par un jury exclusivement composé de Blancs, dans la ville de Memphis. Au cours de mon procès, plusieurs facteurs m'ont incriminé : un témoin a déclaré que j'étais en ville au moment du meurtre ; un autre a dit que je lui avais confessé avoir tué quelqu'un dans l'État du Tennessee, et le dernier a dit qu'il pensait que j'étais coupable, sans en être entièrement certain. Des empreintes digitales [relevées sur le break utilisé au cours du braquage] ont également été présentées au jury.

La femme qui a prétendu m'avoir vu à Memphis le jour du crime a admis ne jamais m'avoir croisé auparavant. Elle a plus tard expliqué que la police lui avait montré ma photo quatre ou cinq fois en lui assurant que j'étais le coupable. La deuxième témoin m'a confié qu'elle avait témoigné contre moi parce que les autorités lui avaient promis d'effacer son casier judiciaire en échange de son aveu. Quant au dernier, il m'a identifié parce que les autorités lui avaient également assuré que j'avais commis le meurtre en lui montrant ma photo. En outre, des rapports dissimulés par les autorités prouvaient que mes empreintes ne correspondaient pas [à celles relevées sur le véhicule].

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J'ai été emprisonné pendant 28 ans, et j'ai passé deux décennies dans le couloir de la mort. C'est difficile de résumer cette expérience en quelques lignes, mais c'était un enfer de bout en bout. Imaginez vous vivre dans une cellule d'environ 1 mètre sur 3, 23 heures par jour, pendant des années entières. Il fallait vraiment des raisons exceptionnelles pour que l'on nous fasse sortir du trou. Je pouvais sortir pour prendre ma douche quotidienne – mais il fallait compter entre 12 et 15 minutes pour qu'un gardien me passe les menottes et m'attache près d'une douche, et je devais me laver en moins de dix minutes. J'avais le droit à une heure de sortie, mais je mangeais systématiquement dans ma cellule.

Aux États-Unis, le milieu carcéral constitue une industrie gigantesque qui implique des centaines de milliards de dollars. Nous ne devrions pas laisser ces exécutions capitales alimenter ce business.

Ma famille m'a soutenu tout au long de mon incarcération, parce qu'elle savait que je ne pouvais pas être coupable. Le crime est survenu la veille de l'anniversaire de ma mère. À ce moment-là, je me trouvais à Saint Louis – à environ 500 kilomètres de la scène de crime. Mais au vu de l'histoire des États-Unis et des expériences que j'ai pu y avoir, j'ai toujours entretenu un certain scepticisme quant à la manière qu'avait le système de traiter les Noirs. Quand j'ai été condamné à mort, mon aigreur vis-à-vis de ce système n'a fait que se renforcer. Je n'ai jamais cru à la peine capitale. Je pense qu'il est absurde de tuer quelqu'un pour démontrer que tuer est une mauvaise chose. Et beaucoup d'innocents courent toujours le risque d'être exécutés pour un crime qu'ils n'ont pas commis.

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Aujourd'hui, je travaille pour l'organisation Children's Defense Fund. J'essaie de sensibiliser les plus jeunes sur l'importance de faire les bons choix. Aux États-Unis, le milieu carcéral constitue une industrie gigantesque qui implique des centaines de milliards de dollars. Je pense aussi qu'il est essentiel de sensibiliser les gens aux problèmes que pose la peine de mort. Nous ne devrions pas laisser ces exécutions alimenter ce business. »

Byson Kaula, ancien condamné à mort au Malawi
[En 1990, Kaula a fait l'acquisition de la propriété d'un témoin de Jéhovah contraint de fuir le pays pour des raisons politiques. Il clame ne pas avoir eu connaissance du fait que certaines personnes souhaitaient mettre la main sur cette même propriété. Selon lui, la mort ultérieure de l'un de ses jeunes employés, atteint de malaria cérébrale, leur a donné l'occasion de lui nuire. Ces mêmes personnes auraient ensuite témoigné contre lui en l'accusant de l'avoir délibérément tué.] « J'ai été condamné pour meurtre après que l'un de mes employés malades est tombé de mes bras, alors que j'essayais de l'emmener dans ma salle de bains. Deux semaines plus tard, il est mort dans un hôpital de Kankao, dans la ville de Balaka. J'avais fait l'acquisition de la maison d'un témoin de Jéhovah, qui avait dû fuir pour des raisons politiques. Des dirigeants politiques de ma communauté m'ont ensuite accusé du meurtre de mon employé. J'ai été arrêté six mois après l'incident, le 4 juin 1992, alors que je venais de déménager à Mangochi.

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J'ai passé trois ans dans une maison d'arrêt, dix ans dans le couloir de la mort et onze ans de plus à purger une peine à perpétuité – pour un total de 24 ans. Ça n'a jamais été facile de savoir que je pouvais être exécuté à tout moment. J'ai essayé de me suicider à plusieurs reprises, en vain. Encore aujourd'hui, je repense à la potence. Je n'en reviens toujours pas d'avoir survécu, et je crois qu'il me serait très difficile de décrire parfaitement un endroit aussi sinistre. Je n'ai jamais songé à confesser un acte que je n'avais pas commis, car je pensais n'avoir plus aucune chance de survivre. Dans ma tête, j'étais voué à mourir.

Heureusement, le soutien de ma famille et de mes amis les plus proches n'a jamais faibli. Ma mère est venue me rendre visite très souvent. S'ils ne sont pas tous venus me voir en prison, c'est simplement parce qu'ils n'avaient pas suffisamment de ressources pour le faire. Cette expérience m'a fait réaliser à quel point le système judiciaire était injuste au Malawi, et j'ai compris que nombre de pauvres étaient incarcérés parce qu'ils n'avaient pas les moyens de se payer un avocat. Les prisons malawiennes sont peuplées de personnes telles que moi. J'ai finalement été libéré le 20 février 2015 grâce au projet Kafantayeni, via la Malawi Human Rights Commission.

Tout le monde a peur de mourir, et la peine de mort était une perspective qui m'effrayait avant même que je ne me fasse emprisonner. Aujourd'hui, je la condamne fermement – à cause de cette pratique, beaucoup d'âmes innocentes ont été perdues. Je pense que les personnes qui commettent des meurtres – de manière délibérée ou non – devraient purger un autre type de peine, qui pourrait leur permettre de changer, et de faire évoluer leurs opinions. »

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Je soutiens fermement un système qui ne perçoit pas les prisonniers comme des anomalies à éliminer, mais comme des atouts potentiels pour contribuer à l'économie d'un pays.

Susan Kigula, condamnée à mort en Ouganda
[Susan Kigula a été accusée d'avoir tué son mari avec l'aide de sa bonne. Un des éléments clés de son procès fut le témoignage de son beau-fils, alors âgé de cinq ans, qui a déclaré l'avoir vue égorger son père avec une machette.]

« J'ai été condamnée à mort en juillet 2000, après avoir été jugée coupable du meurtre de mon mari. J'ai passé 16 ans en prison, et 11 dans le couloir de la mort. J'ai été anxieuse tout du long, car je ne savais absolument pas quand viendrait le bourreau. Mon expérience en prison a été difficile, et j'ai parfois envisagé de confesser ce crime pour alléger ma peine. Avant cette histoire, je pensais sincèrement que les personnes condamnées avaient commis les crimes pour lesquels elles étaient accusées – j'ai longtemps cru que le système judiciaire était juste, jusqu'à ce que je devienne moi-même victime d'injustice.

J'ai été libérée en 2003, après avoir rempli une pétition constitutionnelle qui remettait en cause la peine de mort obligatoire. En conséquence, j'ai pu repasser au tribunal et être à nouveau jugée. On m'a ainsi condamnée à une peine de 20 ans de prison, que j'ai purgée.

Avant et après cette expérience, je n'avais jamais été partisane de la peine de mort. Son abolition est nécessaire, parce qu'elle permet de donner une seconde chance aux prisonniers, tout en protégeant l'économie et la société au sens large. Je soutiens fermement un système qui ne perçoit pas les prisonniers comme des anomalies à éliminer, mais comme des atouts potentiels pour contribuer à l'économie d'un pays. Aujourd'hui, je suis bénévole à mi-temps pour African Prisons Project – une organisation qui se préoccupe du bien-être des prisonniers et leur fournit une éducation. J'ai eu l'occasion d'en profiter, puisque cette organisation m'a offert une bourse qui m'a permis d'étudier le droit en prison. Maintenant, je les assiste pour aider des personnes qui ont eu des histoires similaires à la mienne, et qui croupissent toujours dans des prisons au Kenya et en Ouganda. »

Pour plus d'informations sur le Congrès mondial contre la peine de mort, rendez-vous ici. Julie est sur Twitter.