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Motherboard

Le guide Motherboard des nouvelles substances psychoactives

La défonce légale évolue plus vite que la législation internationale

Image : Flickr / CC

Ne vous laissez pas rouler par ce titre. Ces soi-disant « nouvelles substances psychoactives » ne sont probablement rien d’autre que les dernières venues sur le marché en ligne de la défonce légale. Et si certaines de ces substances sont effectivement nouvelles, la plupart ne le sont pas. Elles opèrent simplement un retour sur le devant de la scène, pour remplacer une autre substance altérant la conscience qui vient d’être interdite.

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Mais au fond, on se fout qu’il s’agisse de véritables nouveautés ou pas. Ce qui est intéressant, c’est la vitesse à laquelle ces drogues sur mesure (oudesigner drugs) sont créées, modifiées et vendues dans toutes les pharmacies du dark web. Elles se développent tellement vite que les règlementations internationales ne peuvent pas suivre et les gouvernements commencent à se demander s’il existe bien un moyen de résoudre ce problème.

C’est l’un des gros chantiers exposés dans le Rapport mondial sur les drogues 2013 de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime.

On estime qu’en 2012, la consommation de drogues illicites traditionnelles (cocaïne, héroïne, cannabis etc) dans le monde est « restée stable ». Mais on observe une augmentation considérable de la production, la vente et la consommation de nouveaux psychotropes. Ça fait des années que la défonce légale baigne dans un flou juridique mais il semblerait qu’en 2012, fabricants, vendeurs et consommateurs de ces drogues de synthèse soient complètement hors d’atteinte des contrôles internationaux.

Fin 2009, l’ONU répertoriait 166 drogues de synthèse. Au milieu de l’année dernière, ce nombre est passé à 251. C’est plus que le nombre actuel de drogues illégales (234), et encore, il y a de grandes chances que cette estimation soit largement inférieure à la réalité.

Voilà quelques concepts, des chiffres, des acteurs méconnus, des événements et une foule d’autres choses qui devraient vous aider à y voir un peu plus clair dans ce renouveau psychoactif et qui vous permettront peut-être de comprendre comment la défonce légale est devenue la nouvelle vache à lait d’un marché virtuel post-capitaliste échappant à toute régulation.

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Ce guide n’est pas exhaustif – vu la vitesse à laquelle ces designer drugs arrivent sur le marché et disparaissent, comment produire un guide définitif ? – mais si vous vous demandez où on en est, comment on en est arrivés là et à quoi pourrait ressembler le futur de ces substances qui ramollissent le cerveau, cette dose devrait vous combler.

Le nombre de drogues psychoactives qui seront disponibles d’ici 2050, selon le biochimiste, psychopharmacologiste et grand-prêtre psychédélique Alexander Shulgin.

ANALOGUE

Composé chimique qui possède les mêmes propriétés physiques, chimiques ou pharmacologiques qu’un autre, et dont la structure chimique peut être similaire.C’est simple, non ?

Si seulement. Avant que les research chemicals (RC) et la défonce légale n’arrivent sur le devant de la scène, en 2008, l’ONU définissait déjà les analogues comme de nouvelles substances aux effets et à la structure proches d’une drogue illégale. Ce qui est marrant, c’est que cette légère modification peut se révéler beaucoup plus dangereuse pour le consommateur que la drogue d’origine. Et pourtant, pour faire simple, les analogues sont légaux.

Enfin, plus ou moins. Les États-Unis ont tenté de mettre un terme à cette entorse à la loi en 1986, avec le Federal Analog Act, qui amendait le Controlled Substance Act de 1970 : tout analogue d’une drogue de première catégorie (c’est-à-dire à laquelle on ne reconnaît aucune vertu médicale et qui peut susciter des abus) est automatiquement considéré comme une drogue de première catégorie. Beaucoup d’autres pays ont adopté des lois similaires depuis. Aujourd’hui, les contournements de ces lois sont de plus en plus fréquents et la défonce légale quitte le monde souterrain pour planer à des altitudes vertigineuses. Pour les fabricants, les dealeurs et les consommateurs de ces drogues sur mesure, les analogues font office d’atouts.

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Tiens, l’ONU vient d’interdire telle drogue ? C’est mignon. Dans une semaine, quatre, cinq, voire une demi-douzaine de « nouvelles » substances vont faire leur apparition.

LA BASE NAVALE DE NORFOLK

Lieu d’une célèbre débauche de grande ampleur en 2004, au cours de laquelle quelques marins dealeurs ont été arrêtés. Quand la Drug Enforcement Administration a découvert que les grosses quantités de drogues saisies avaient été achetées sur Internet, elle a mis en place une opération dans plusieurs États. L’Opération Web Tryp a ciblé des revendeurs en ligne de phényléthylamines et de tryptamines (voir plus bas) et s’est soldée par l’arrestation de 10 personnes, gérant cinq des plus gros sites de vente de drogue.

BENZODIAZÉPINES

En gros, c’est des tranquillisants. Vous connaissez probablement les classique, genre Valium, Xanax et Ativan, mais on trouve des dizaines d’analogues. Et il doit bien exister des centaines de variations possibles des benzos.

CATHINONES

Les drogues à base de cathinone sont des excitants aux effets comparables à ceux des amphétamines. Leur composé principal est extrait du khat (Catha edulis), un arbrisseau originaire d’Afrique orientale. Beaucoup de drogues légales vendues aux États-Unis sous le nom de « sels de bain » sont à base de cathinone de synthèse, tout comme la méphédrone (ou Mcat) et ses dérivés.

GROUPES FONCTIONNELS

Groupes d’atomes hébergés dans des molécules, qui jouent un rôle prépondérant dans les réactions chimiques des molécules en question. À ne pas confondre avec groupement.

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«  JE TUE VOS ENFANTS » (OU : « VENDEUR DE MORT »)

C’est ce que des gangs russes (nationalistes ?) ont taggué devant des headshops, après avoir suivi, harcelé et affiché publiquement leurs propriétaires, qui vendaient de l’herbe de synthèse.

LEO ZEFF

Le vrai ambassadeur de l’ecstasy. Quand Shulgin lui a fait découvrir la MDMA en 1977 – elle était encore légale, à l’époque – Zeff, un psychologue et psychothérapeute d’Oakland, en a été profondément bouleversé. Il a annulé son plan retraite et a pris la route, refilant de la MDMA à des milliers de psychonautes, persuadé que la manière dont la drogue abolissait les frontières personnelles permettrait au thérapeute et au patient d’accéder aux sources de la souffrance. Zeff était persuadé que cette drogue empathogène pouvait restaurer l’innocence originelle d’une personne, et a donc rebaptisé la MDMA « Adam ».

MASKING

C’est l’équivalent de la technique des analogues mais pour les précurseurs. Par exemple, l’an dernier, des chimistes danois ont balancé une MDMA surpuissante en Europe. Au lieu d’utiliser du PMK, un précurseur de la MDMA étroitement surveillé, ils ont importé un analogue légal de Chine, le PMK-glycidate solide. C’est ce genre de subtilités qui alimente le « cercle sans fin des analogues », comme l’écrit le journaliste britannique Mike Power dans Drugs 2.0.

MÉTAMPHÉTAMINES

Stimulants aux effets et à la structure proches des amphétamines, mais qui durent généralement plus longtemps. Le genre de truc qui vous ronge le cerveau.

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LES NBOME

C’est la nouvelle génération d’excitants psychédéliques. Ce sont des variations des structures des phényléthylamines substituées de la classe des 2C de Shulgin (en gros, des composés naturels à base de phényléthylamine). Selon Power, ces drogues sont « au moins 50 fois plus puissantes » que les 2C.

PHÉNYLÉTHYLAMINES

Composés naturels connus pour leurs effets stimulants et psychédéliques, comme la mescaline, le sang de cactus. Shulgin, qui en a développé certains, s’est évertué à répertorier leur structure moléculaire et la grande variété de leurs effets dans son ouvrage culte, PiHKAL. Certaines phényléthylamines – comme le DOB et le DOM, par exemple – sont très actives à des doses inférieures au milligramme. On les trouve abondamment dans le milieu toujours changeant des drogues sur mesure, dans la catégorie des 2C.

PIPÉRIDINES

Ou parachutes. Des stimulants puissants longue-durée, même à faible dose, comme par exemple la Ritalin, l’Aderall ou n’importe quelle autre drogue utilisée pour traiter les troubles de l’attention ou l’hyperactivité. Elles sont largement étudiées et prescrites dans la vie de tous les jours.

POLITIQUE INTERNATIONALE

À l’heure actuelle, la politique internationale en matière de drogues est régie par trois traités des Nations unies : la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 (pdf), la Convention sur les substances psychotropes de 1971 (pdf) et la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988 (pdf). Cette dernière a rendu illégaux certains des précurseurs chimiques les plus fréquemment utilisés dans l’élaboration de drogues illégales. La plupart des États membres de l’ONU ont ratifié cette troïka de la lutte contre la drogue et sont donc légalement tenus de poursuivre toute personne fabricant, vendant ou en possession de l’une de ces centaines de substances, que ces traités considèrent dépourvues d’intérêt scientifique ou médical.

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La deuxième convention, celle de 1971, a inspiré les politiques répressives des États-Unis et du Royaume-Uni, les deux plus gros acheteurs des nouvelles drogues psychoactives. Deux lois britanniques (le Medicines Act de 1968 et le Misuse of Drugs Act de 1971) fixent le cadre juridique en répartissant les drogues en trois classes : A, B et C. Aux États-Unis, c’est le Controlled Substance Act de 1970 qui classe les drogues en cinq catégories. Et dans les deux pays, la classe ou la catégorie la plus proche du début correspond à la sanction la plus sévère.

PRÉCURSEURS

Substances brutes permettant de créer d’autres substances. Dans le monde merveilleux de la défonce légale, ce sont les matières premières des drogues sur mesure. Imaginons que vous vouliez créer un paquet de MDMA. Vous devrez d’abord vous procurer un tas de safrole ou de méthylamine.

LE RAPPORT MIAOU

C’est suite au rapport 2010 de l’Advisory Council on the Misuse of Drugs que la méphédrone a été interdite au Royaume-Uni. La méphédrone et l’engouement qu’elle a suscité en 2010 resteront dans les annales de la défonce légale comme la première drogue sur mesure vraiment cool. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que  son interdiction n’a pas endigué le développement des drogues de synthèse. Dès l’instant où elle est devenue illégale, « consommateurs et dealers ont redoublé d’ingéniosité et d’avidité » pour mettre au point sa remplaçante, comme le dit M. Power, dont la passionnante enquête au croisement du e-commerce et de la défonce légale a mis le phénomène miaou miaou sur le devant de la scène pour la première fois.

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RÉACTIF

Substances qui déclenchent une réaction chimique. Elles sont surtout utilisées par les dealers et les consommateurs qui veulent tester la qualité d’un produit et s’assurer qu’ils ne se font pas rouler. Pour confirmer ou infirmer la présence de MDMA dans l’ecstasy, par exemple, vous pouvez acheter du Marquis.

REMPLACEMENT DE SUBSTANCES

C’est la loi de l’offre et de la demande qui sous-tend l’économie de la drogue : dès qu’une substance disparaît (parce qu’une loi adoptée à la hâte la rend illégale ou suite à une pénurie de son précurseur), une autre substance (voire, une tripotée de nouvelles substances) prend rapidement sa place. C’est la dure réalité sur laquelle repose le paysage psychotropique actuel.

SUBSTITUTION ÉLECTROPHILE

Quand les atomes d’une structure moléculaire donnée sont remplacés par réaction chimique. C’est comme ça qu’on produit des analogues. Les chimistes de la défonce légale s’en servent pour modifier la structure d’une drogue pour altérer sa puissance psychotropique, son statut légal ou les deux.

TOR

Soit le routeur oignon. Logiciel gratuit qui permet de naviguer sur Internet de façon anonyme. Il est massivement utilisé par les citoyens qui cherchent à déjouer la censure des régimes autoritaires – c’est d’ailleurs pour ça que les grandes puissances mondiales ne pourront sans doute jamais l’interdire – mais est aussi au centre du marché de la défonce légale. C’est grâce à lui que fabricants, acheteurs et consommateurs de nouvelles substances psychoactives restent sous le radar. Et comme de nombreux outils récupérés par le peuple, devinez qui a développé ce logiciel ? L’armée américaine.

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TRYPTAMINES

Psychédéliques naturels ayant des effets comparables à ceux provoqués par les champignons riches en psilocybine.

Bon, on a dû oublier un paquet de choses. Dites-nous lesquelles.

Vous pouvez écrire à Brian ici brian@motherboard.tv ou le suivre sur Twitter : @thebanderson

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