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Culture

Drogue, thunes, sexe, racisme et politique : à la gloire de « Descente de Police »

Noyade à peine simulée, appart d'Yves Simon retourné, Karen Cheryl menacée avec un tesson de Kro : bienvenue dans la première émission de Thierry Ardisson.

Tout au long de cette année, VICE et l'INA se penchent sur les archives télé des émissions marquantes du PAF. Ça s'appelle « Le guide VICE de la télévision française » et vous pouvez retrouver tous nos articles en cliquant ici.

Pour ce premier épisode, nous revenons sur une des émissions les plus graves jamais vues à la télé. Dans « Descente de Police », Thierry Ardisson et son pote Jean-Luc Maître jouent les mauvais flics et défoncent littéralement leurs invités. Noyade à peine simulée, appart de Yves Simon retourné, Karen Cheryl menacée avec un tesson de Kro : bienvenue dans le premier show d'Ardisson !

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Malheureusement, les jeunes pubards se feront vite engueuler par le CSA et virer au bout de six numéros. Mais le mal est fait. Drogue, thunes, sexe, racisme et politique sous une avalanche de vannes : dès 1985, « Descente de Police » relève le talent créatif de l'homme en noir et – pire – pose les jalons et obsessions de la télévision moderne.

Scoop à la une », « Bains de minuit », « Lunettes noires », « Télé Zèbre », « Double jeu », « Autant en emporte le temps », « Frou-Frou »… En plus de 30 ans de télévision, de TF1 à la 5, Thierry Ardisson a vu défiler les patrons de chaînes et n'a écouté que lui. Et pas toujours que ses bonnes idées. Les ventes de Soral, les théories de Thierry Meyssan, l'expression « Est-ce que sucer c'est tromper ? », de bons gros démontages en faux direct, nombreux et copieux, de Milla Jovovich à Vergès, c'est lui.

Mais Ardisson, c'est aussi un entretien sur le marché de l'art contemporain avec Keith Haring moins d'un an avant sa mort, une auto-interview de John Cale, l'intégrale des attaques verbales de Baffie ou la « Bushologie » selon Tom Wolfe. « "Tout le monde en parle" était l'émission qui vendait alors le plus de livres en France. Une émission qui programmait Sirin Ebadi ou Elie Wiesel le samedi soir face à quatre séries américaines bien trash sur TF1… Et qui terminait en raflant 27 % de parts de marché* », se souvient l'homme en noir.

Si vous cherchez du Ardisson chimiquement pur – avec ses tablées composées de putes et de baronnes –, jetez-vous sur « Descente de Police », sa toute première émission, sur TF1. Le jeune Ardisson et Jean-Luc Maître, ex-DA dans la pub, y campent deux inspecteurs de police fafs et vicelards, qui font subir des interviews nocturnes sous forme d'interrogatoire super-tendus à leurs invités.

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Yves Simon, Jeanne Mas, Michel Boujenah, Sophie Marceau, Karen Cheryl ou Farid Chopel auront ainsi fait les frais de « l'imper mastic, le plus mastoc » (Ardisson) et de « l'imper vert, le plus pervers » (Maître).

« La gérontophilie, tu sais ce que c'est ? », « La zoophilie, tu vois ce que ça peut être ? », « Tu préfères l'herbe ou le shit ? », « La coke, ça te fait quoi ? », « T'es plutôt vaginale, clitoridienne ou anale ? » : voilà le genre de questions que l'on pouvait alors poser à Jeanne Mas chez Ardisson.

« À l'époque, les chaînes étaient en demande d'univers, de créations. Moi, j'avais plein d'idées, je proposais plein d'émissions et on nous offrait les moyens de les faire. Ça m'a pas empêché d'en planter quasiment une sur deux », explique aujourd'hui Ardisson. « Descente de Police » s'arrêtera au bout de six épisodes. Entretemps, Karen Cheryl aura le doigt coupé et les deux journalistes-ripoux saccageront l'appartement d'Yves Simon, qui finira d'ailleurs en sang au dessus de sa baignoire : « On lui a même fêlé deux côtes ce jour-là, se souvient l'animateur. En fait, je me suis fait virer au bout de six émissions. Mais à l'époque, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle m'aurait arrêté avant s'ils avaient vu les émissions précédentes. »

Le cul entre une pensée conservatrice**, réactionnaire – carrément misogyne voire obsédée pour l'argent ou le FN pour certains –, et la volonté de se faire le porte-voix d'une certaine jeunesse de France – celle qui matte Ovidie, écoute Mc Jean Gab'1 et lit Bret Easton Ellis –, Ardisson continue de concevoir ce qu'il appelle ses « produits culturels » comme un bon gros tripier de Rungis : avec du maigre de qualité, mais aussi pas mal de gras et un léger fumet de pisse. « On n'attrape pas les mouches avec du miel, s'est toujours défendu Ardisson. Ces moments magiques ont aussi eu lieu parce qu'on avait Eve Angeli sur le plateau. »

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Selon Philippe Collin (« Panique au Mangin Palace », « Personne ne Bouge ! »), « le direct freine la créativité, même si j'ai vachement de respect pour les gens qui en font. Pour le dire vite, en France, le direct, c'est le mythe réinventé de la transparence, donc la vérité, donc la modernité. Moi, je ne partage pas du tout cette vision très française de l'audiovisuel. Avoir la possibilité de monter, c'est amplifier des potentiels créatifs majeurs à l'écran. Dans le cadre d'un entretien, c'est pouvoir améliorer des propos. Ça amène une dimension de synthèse dans les discours. Et ça permet de les rendre plus clairs, de leur donner plus d'impact. » Ou plus drôles dans le cas d'Ardisson. Interrogé sur sa manie du montage, l'homme a toujours pris soin d'expliquer « qu'il faut toujours poser trois fois la même question pour obtenir une réponse correctement formulée. Or, la bonne réponse, c'est généralement la troisième. Au montage, on fait juste la jointure entre la première question et la dernière réponse, c'est tout ! On ne manipule ni propos ni idées. »

« Ardisson a amené un rythme en télévision qui n'existait pas auparavant, confie un programmateur de Canal +. Monter ses interviews pour aller à l'os des réponses, c'est rendre service aux invités côté émission du message, mais aussi au public côté réception. J'ai jamais compris qu'on puisse lui reprocher cette technique. Technique de cut qui s'est d'ailleurs depuis largement répandue sur toutes les chaînes. Par contre, dans la quête impossible au talk show à l'américaine que se livre le PAF hexagonal***, je trouve que la surexploitation des vannes des auteurs d'Ardisson se ressent vachement à l'antenne. On le sent moins instinctif, moins vif. La provoc' et l'indécence sur fiche et sur commande, ça ne marche plus. » D'autant que la direction de Canal avait demandé à Ardisson de se séparer de son sidekick Baffie, énorme sniper à invités.

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Strass et crasse, le combo poudreux et visqueux qui a fait la gloire et la sulfure des débuts de Thierry Ardisson semblent s'être dilué à grande eau « black-blanc-beur » dans l'humour Comedy Club, signé entre autres par Kader Aoun, un des auteurs phares d'Ardisson (de Jamel aussi), qui a également signé « H », « Burger Quiz », « le Visiophon » d'Omar et Fred, scénarisé « La Tour Montparnasse infernale » et gratté des vannes pour Tomer Sisley, Thomas VDB, « Le Grand Journal », « Salut les Terriens » et plus récemment pour le spectacle de Norman.

Pour Maxime Saada, un des boss de Canal, Ardisson est carrément devenu, avec la dixième saison de SLT, un véritable « pôle de stabilité ». Le genre de compliment sûrement pas prévu lors de sa première apparition à la télévision en 1980, où il réussissait déjà à glisser le buzzword « amphétamine » en moins de deux minutes et vingt secondes d'entretien.

@theopillault

* Extraits de C'est un miracle que tu fusilles, lettre d'Ardisson adressée il y a dix ans à Patrick de Carolis alors fraîchement élu président-directeur général de France Télévisions.

** Salué par exemple ici pour son « extraordinaire constance » face à l'idée de Monarchie.

*** Avec plus ou moins de succès. Dans le genre, la Palme du fail revient à Arthur.