Le Red Star et l’épreuve du temps

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Sport

Le Red Star et l’épreuve du temps

Une étude photographique sur le long terme du club de l'étoile rouge, avant et après son passage en Ligue 2.

À la fin de la saison 2013-2014, nous avons assisté à plusieurs matchs du Red Star à domicile, au Stade Bauer situé à Saint-Ouen. Très vite, nous avons senti quelque chose de particulier se dégager des supporters exaltés, de ce stade mythique digne d'un décor de cinéma et de ce groupe sportif plein d'ambitions pour la saison à venir. Nous nous sommes alors dit qu'il nous faudrait passer du temps sur place pour réussir à saisir les enjeux, les tensions, l'intimité d'un groupe et d'un club tout entier. Nous sommes parvenus à obtenir carte blanche pour toute la saison. Il ne nous restait plus qu'à nous faire accepter – plutôt que de reportage sportif, nous pensions davantage à réaliser un travail d'introspection.

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Au départ, nos rapports étaient très courtois avec le club, les joueurs et l'encadrement technique, mais nous étions avant tout observateurs. Durant l'hiver 2014, après plusieurs mois sur place, les joueurs se sont habitués à nous voir à chaque entraînement et nous avons fini par développer une familiarité avec eux. On entrait alors dans le moment décisif de la saison, où chaque point compte. Nous avons donc été écartés du vestiaire à plusieurs reprises afin de ne pas interférer dans la concentration mise en place. Le rapport des joueurs à l'image peut très vite les sortir de leur bulle. Cependant, nous avons progressivement réussi à devenir invisibles, à faire aussi bien partie du décor que du groupe.

Le processus a été le même avec les supporters. Pour commencer, nous avons fait en sorte qu'ils mémorisent nos visages. Les premières tentatives de prises de vue se sont soldés d'échecs cuisants. Leurs refus – parfois violent – d'être pris en photo se comprend : toute image constitue une preuve. Pourtant, après leur avoir détaillé notre projet et passé une bonne dizaine de matchs à leurs côtés, nous sommes devenus crédibles, sincères, à leurs yeux. Après tout, nous étions aussi des supporters de l'équipe. En France, le nombre de supporters du Red Star avoisine la dizaine de milliers. Les vrais de vrais, de la Tribune Rino della Negra, du Collectif Bauer, sont un peu plus de mille. C'est eux qui ont permis au club d'arriver jusqu'ici. Leur amour du football les a emmenés dans chaque déplacement sur une décennie et les joueurs ont notamment cru en leurs chances grâce à eux. Positionnés très à gauche, antifascistes pour la plupart, ils se singularisent en ce sens un peu plus encore dans le paysage des supporters.

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Bâti au début du XXème siècle, le Stade Bauer est resté dans son jus. Les tribunes sont épurées, sans couleur criarde ou sponsor pour le défigurer. Il en va de même pour les vestiaires. On se croirait dans les années 1970, dans une ambiance similaire à celle du film Coup de Tête. Situé dans un quartier populaire, le stade est cerné par de grandes barres d'immeubles qui installent un peu mieux le décor. Durant les matchs, le stade devient un véritable volcan, grondant dès que les chants de supporters résonnent.

À domicile, le stade a une capacité maximale de 10 000 spectateurs. Les visiteurs, assis en tribunes, sont toujours très rares. En face, le Kop constitue le cœur du stade. C'est ici qu'on peut vraiment respirer l'âme du Red Star. Les autres tribunes sont plus familiales, toujours populaires. Elles accueillent les Audoniens, les jeunes du quartier et du centre de formation voisin. Nous avons également pu témoigner de la naissance d'une nouvelle « race » de supporters – les jeunes du club qui reprennent à tue-tête les chants de leurs aînés. Néanmoins, l'encadrement pédagogique mis en place par le club les a incités à développer leur propre style. Les influences culturelles venues du Maghreb, d'Afrique noire et d'ailleurs donnent une toute autre teinte à ces chants.

Les joueurs du Red Star et l'équipe qui les entoure se plaisent à exercer ce métier, et ça se sent. À l'entraînement, l'ambiance est studieuse. Un silence religieux règne avant chaque intervention des techniciens. Tous savent que les choix du coach se font sur la longueur, sur l'implication quotidienne. Ce sont aussi des moments de vie commune où l'humeur est à la rigolade.

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Bien entendu, l'ambiance des matchs dépendait essentiellement des résultats. Chaque match avait son importance. Pour une défaite, les mots pouvaient être durs, les regards fuyants. Pour une victoire, les discours étaient au contraire élogieux et euphoriques – il arrivait même que le coach accorde à ses joueurs un jour de repos supplémentaire. Cependant, il faisait en sorte que le groupe garde la tête froide, sans triomphalisme précoce. Quand le match était serré, à la mi-temps, l'enjeu pouvait l'emporter sur notre démarche artistique. On nous raccompagnait dans le couloir. Aucun élément extérieur ne devait venir perturber la concentration des joueurs.

Sébastien Robert

En première partie de saison, les premiers matchs n'étaient pas encourageants. La tension se faisait systématiquement sentir, aussi bien dans les tribunes que dans les vestiaires. Nous étions alors seuls durant tout l'hiver, sous des torrents de pluie, les doigts et les pieds engourdis par le froid, en compagnie des photographes sportifs qui couvrent le championnat national et les photographes attitrés du club. À la trêve hivernale, un déclic a eu lieu. L'équipe est parvenue à imposer son jeu séduisant, tourné vers l'attaque et surtout à gagner des matchs qu'elle dominait largement.

Les ambitions du Red Star étaient affichées depuis longtemps : tous souhaitaient retrouver l'élite professionnelle du football. Pour autant, il était strictement impossible d'anticiper leur montée en ligue 2. L'équipe travaille match après match. Il ne s'agissait pas de s'enflammer et de prendre la confiance trop vite. Nous avons donc continué à nous intéresser au sérieux déployé par chacun, à cette rigueur qui a amené ce succès. La montée en Ligue 2 fait date et inscrit donc notre projet dans la couverture d'une épopée, mais là n'était pas l'angle que nous avions choisi – nous étions simplement au bon endroit, au bon moment. Le match de la montée en Ligue 2, à domicile, restera gravé dans nos mémoires. L'émotion se lisait sur tous les visages, et l'espace d'un instant, la liesse était aussi palpable qu'en juillet 1998.

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Le vernissage de l'exposition LA VICTOIRE DU TEMPS consacrée au Red Star en partenariat avec ADIDAS aura lieu le 17 septembre et se tiendra jusqu'au 20 septembre à la galerie Joseph, dans le 2ème arrondissement de Paris. Projet soutenu par Premiere Heure. Plus de photos ci-dessous.