L’Art contemporain n’a pas toujours besoin d’être chiant
La performance expérimentale de Marina Abramović au MoMA. Photo : Shelby Lessig.

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Culture

L’Art contemporain n’a pas toujours besoin d’être chiant

Comment Ossian Ward m'a appris à apprécier ces gens qui touchent une année de SMIC en s'asseyant sur une chaise toute la journée.

Cet article est paru en premier lieu sur VICE.

Ossian Ward est l'un des plus éminents critiques d'art de Grande-Bretagne – même si son dernier livre, Ways of Looking, peut paraître quelque peu condescendant au vu de son titre, étant donné que n'importe quel individu doté d'une paire d'yeux est censé maîtriser ce genre de choses. Néanmoins, sa lecture fournit un guide très pratique pour comprendre l'art contemporain, domaine qui – pour moi, en tout cas – semble souvent aussi vain et inutile qu'une personne au milieu d'une galerie allumant et éteignant sans cesse la lumière. Ossian rejette le jargon prétentieux de l'art, suggérant que la seule manière d'approcher l'art contemporain est de s'armer d'un esprit clair et ouvert. Puisqu'il semblait tellement sympa et obligeant, j'ai décidé de lui poser quelques-unes des questions embarrassantes qui me viennent à l'esprit quand je me trouve dans une galerie d'art contemporain.

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Est-ce que, finalement, l'art contemporain, ce n'est pas simplement avoir les couilles de faire un truc tellement scandaleux ou tellement naze que c'en est choquant ?
Ossian Ward : L'art contemporain n'est pas encore doté de parties génitales masculines – bien que je sois certain que Tracey Emin me contredirait là-dessus. Mais parfois, il peut être provocateur, éprouvant, voire effrayant. Je me suis retrouvé dans des pièces réaménagées en une scène de meurtre, en un bordel ou en une cachette de terroriste. J'ai aussi marché sur des pièges et risqué de sévères brûlures en me faisant accueillir dans une galerie par un lance-flammes. On m'a demandé de ne pas boire une eau prétendument blindée de LSD et averti qu'une petite boule contenait une bombe qui exploserait d'ici des siècles… Je pourrais continuer longtemps. L'art de la confrontation est devenu naturellement un moyen dont usent les artistes pour avoir notre attention.

Pensez-vous parfois que la Tate ou le MoMA sont les galeries marchandes de l'art contemporain ?
Il y a tellement d'œuvres différentes. Si ces œuvres étaient soldées, ça me plairait. Mais oui, en effet, les grandes institutions artistiques peuvent être parfois déconcertantes, avec leurs tas d'objets mystérieux et exotiques. C'est la raison pour laquelle j'ai écrit mon livre.

On ne devrait pas craindre la complexité, l'abstraction, le côté brouillon de l'art contemporain, mais au contraire les épouser comme les reflets de notre culture. Dans mon essai, je fais souvent référence à des blockbusters hollywoodiens ou à des attractions de parcs à thèmes et à d'autres formes de divertissements plutôt qu'à des mouvements artistiques ou philosophiques, car tout le monde n'a pas forcément ce niveau d'intérêt ou de connaissance.

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Quel est l'intérêt des performances expérimentales ? Comment le simple fait d'être peut constituer une forme d'art ?
Ce genre de travaux – les performances de Marina Abramović ou les vidéos de 24 heures de Christian Marclay ou de Douglas Gordon – portent autant sur le fait de les regarder que sur la question de déterminer ce qui est ou non de l'art. Assez souvent, l'anxiété qui en ressort n'est pas seulement due à la question de savoir si être est une forme d'art, mais de savoir si être impliqué ou présent en fait partie ; en d'autres mots, cela porte sur nos réactions et nos interactions avec ces œuvres. « Combien de temps suis-je censé rester ? Où devrais-je regarder ? Est-ce que je participe ? » Ce sont des éléments pour comprendre l'art contemporain, et ils ne devraient pas former des barrières à l'appréciation ou à la compréhension de l'art.

Vous pouvez me parler de Spartacus Chetwynd, nominée au Turner Prize ? Je n'y comprends rien. Est-elle tellement nulle que ça en devient bien ?
Spartacus Chetwynd n'existe plus. En fait, elle a changé de nom et se nomme désormais Marvin Gaye Chetwynd, ce qui démontre bien à quel point l'art contemporain peut être un terrain glissant. Mais vous avez raison ; de bien des manières, son style à la ramasse, DIY – sa nullité, comme vous dites – est en effet sa marque de fabrique en tant que performeuse, et pour certains l'une de ses plus grandes qualités. J'ai participé à plusieurs de ses performances et j'en suis sorti converti, ainsi que convaincu de ses qualités. Les situations et créatures étranges qu'elle crée peuvent avoir le parfum du cinéma amateur, mais c'est aussi leur charme. Et elle est souvent drôle – une qualité souvent négligée et dénigrée dans l'art contemporain. Généralement, les gens n'aiment pas quand vous riez dans un musée, mais pas elle.

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À ce propos, est-ce que Martin Creed rit de nous, avec nous ou parce qu'il s'est fait plein de fric grâce à nous ?
Son Lights Going On and Off demeure un bon exemple du genre d'œuvres qui irritent les gens. Je l'ai analysé de nombreuses manières, mais pour faire simple et de la façon la moins prétentieuse qui soit, je le vois comme une représentation des conditions minimales pour produire de l'art – une idée brillante qui ne demande qu'à être matérialisée. Toutes les productions de Martin Creed ont cette clarté. Bien sûr, l'ampoule s'éteint ensuite, mais c'est une lecture mélancolique. Je préfère le voir comme un homme optimiste, qui rit clairement avec nous.

Combien de temps l'art contemporain reste-t-il « contemporain » ?
Peu de temps, bien que les sociétés de ventes aux enchères tentent de faire remonter certaines œuvres des années 1950 à ce courant afin de profiter de cette tendance. Pour les besoins de Ways of Looking, j'ai défini ce point au nouveau millénaire. Effectivement, certains des travaux que j'ai inclus semblent déjà résolument appartenir aux années 2000, mais j'ai fixé cette limite pour éviter un débat passablement ennuyeux et infini.

Est-ce que prendre des selfies dans une galerie d'art est stupide, ou bien est-ce que chacun d'entre eux représente une sorte d'affirmation importante sur la reproduction culturelle ?
C'est stupide. Mais tout autant que les musées et galeries qui ne laissent pas les gens en prendre. Car malheureusement, de nos jours, on a tendance à prendre des photos sur nos téléphones pour répondre à tout et n'importe quoi. Il est évident que je ne suis pas très excité à l'idée de visionner de l'art via ces petits écrans alors que l'œuvre se trouve juste devant moi, mais essayer d'interdire cette pratique n'est pas réaliste.

Si l'art est subjectif, qu'est-ce qui fait le bon critique d'art ?
Je ne sais pas si je suis le meilleur critique d'art qui existe ; j'ai plus souvent été impartial que complètement pompeux ou blessant dans mes critiques. Cependant, je pense qu'un bon journaliste devrait être capable d'expliquer simplement ou de donner des pistes même aux travaux les plus complexes sans utiliser de jargon spécialisé. Le livre est essentiellement un hommage à mon activité de critique, qui consiste à entrer dans une pièce et à demander « C'est quoi ça ? », puis à y trouver un sens et à rédiger une pensée. La seule différence, c'est que, dans ce livre, je ne juge pas. Je laisse cette dernière tâche que j'appelle l'évaluation aux lecteurs, qui devraient avoir le droit de se faire leur propre idée sur le caractère bon ou mauvais d'une œuvre.

Merci, Ossian.

Amelia Abraham est sur Twitter.