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Drogue

Des propriétaires de dispensaires de cannabis veulent aller plus vite que la loi

Une brise verte déferle sur le Québec. Voici pourquoi.
Photo : Flickr/Dank Depot

On compte trois dispensaires de cannabis médical au Québec, et ils se font très discrets, par peur d'attirer l'attention de la police. Mais en Colombie-Britannique et en Ontario, ils sont des dizaines à avoir pignon sur rue. Pour les clients, bien souvent, même plus besoin de prescription pour avoir sa dose de weed. Le vent de l'Ouest serait-il sur le point de souffler sur le Québec?

On commence à sentir une petite brise verte en tout cas. La légalisation est tout près de nous au Canada, alors qu'un groupe de travail vient tout juste de déposer ses recommandations au gouvernement Trudeau.

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Le document souligne qu'une grande majorité des répondants sondés pour bâtir le rapport, ont affirmé que « le meilleur modèle de distribution consisterait en magasins privés ayant pignon sur rue ou en dispensaires ».

Mais certains acteurs de l'industrie semblent vouloir aller plus vite que les lois. Depuis un mois, deux géants du cannabis britanno-colombien ont annoncé leurs intentions d'investir le marché montréalais.

Cette semaine, l'activiste et homme d'affaires Marc Emery devrait ouvrir à Montréal de trois à cinq succursales de Cannabis Culture, sa chaîne de dispensaires récréatifs. Donc, pas question de demander de prescription aux clients. « Nous sommes comme les coffee shops d'Amsterdam, dit la copropriétaire du réseau de boutiques, Jodie Emery. Si vous êtes un adulte, vous avez le droit d'acheter et de fumer. »

De son côté, le « roi du cannabis » Don Brière nous a aussi annoncé à la fin du mois de novembre ses intentions d'ouvrir « aussitôt que possible » une nouvelle succursale de sa chaîne de dispensaires, boulevard Décarie. Il aurait déjà signé son bail.

L'homme d'affaires de 65 ans ne vendra aucun cannabis sur place. Les clients pourront s'en faire livrer par la poste du siège social de Weeds, Glass and Gifts, à Vancouver. Et Brière ne demandera pas de prescription de cannabis médical. Une preuve de diagnostic ou une ordonnance montrant que le patient est bien malade suffiront.

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« On ne veut pas faire perdre leur temps aux médecins, dit-il. Si vous pouvez prouver un mal d'estomac ou une migraine sévère, c'est bon pour nous. »

Nouvelle législation

Le concept d'Albert Krespine, un entrepreneur montréalais dans les domaines du cannabis et du vapotage, s'apparente à celui de Don Brière. Il y a trois mois, Krespine a ouvert deux succursales de 710 Smokes and Vapors, à Montréal et à Saint-Constant. Et il s'apprête à en inaugurer une troisième à Laval.

Une grosse feuille de pot est bien en vue sur la devanture de sa boutique montréalaise. Les boiseries et les bongs à l'intérieur rappellent beaucoup plus l'ambiance d'un coffee shop hollandais que celle d'une clinique.

En entrant, je lui demande s'il vend du weed. Il me dirige tout de suite vers un ordinateur, devant lequel je pourrais avoir une rencontre virtuelle avec un médecin en Ontario, en Colombie-Britannique ou au Nouveau-Brunswick, trois semaines plus tard. « Au Québec, les médecins donnent peu de prescriptions, dit-il. Ils ont tué leur propre marché. »

Une fois la prescription obtenue, j'aurais le choix d'acheter ma dose directement de producteurs autorisés par Santé Canada ou auprès de mariculteurs indépendants désignés.

À travers l'Association des consommateurs de cannabis médical du Québec, qui devrait officiellement voir le jour en décembre, il souhaite mettre en relation des producteurs et des consommateurs. Depuis le mois d'août dernier, la loi permet aux patients de cultiver eux-mêmes ou de mandater un tiers. Ce producteur artisanal désigné est limité à un maximum de deux patients.

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« Par exemple, chaque patient a le droit d'obtenir 150 grammes par mois, dit Albert Krespine. Si je m'occupe de 20 d'entre eux, j'ai le droit d'avoir 3000 grammes derrière le comptoir pour le redistribuer. C'est un prêt, et je charge un frais de service et de transformation. »

Zones grises du marché vert

Si 710 Smokes and Vapors semble avoir trouvé la bonne combine pour rester ouvert, rien n'est moins sûr pour Don Brière et Marc Emery, qui risquent de recevoir rapidement la visite des forces de l'ordre.

Au mois d'août, Don Brière a d'ailleurs été forcé de fermer sa succursale de Québec après une descente policière.

En 2015, la compagnie Eden Medicinal Supplies, basée en Colombie-Britannique, a tenté d'avoir pignon sur rue dans la métropole québécoise. L'aventure n'a pas fait long feu. Leur boutique de la rue Amherst à Montréal n'a été ouverte que quelques semaines.

John Vergados, activiste procannabis et éditeur du magazine Skunk, croit que pour réussir au Québec dans cette industrie, la discrétion est de mise. « La police s'attaque à ceux qui viennent de l'extérieur, remarque-t-il. Ceux qui ne veulent pas conquérir le monde n'ont pas de problème. Don Brière fait beaucoup trop de bruit. »

À la barbe de la police

Deux dispensaires semblent échapper à la répression policière depuis quelques années. Située dans le quartier Centre-Sud à Montréal, La Croix verte s'apprête à déménager dans de plus grands locaux et vient tout juste d'ouvrir une nouvelle succursale dans la Capitale nationale. De son côté, le Centre compassion de Montréal, situé sur le boulevard Saint-Laurent, continue de fournir plus de 2000 patients, et ce, depuis 1999.

Pourtant, en 2010, la police a arrêté 38 personnes à Montréal et à Québec dans le cadre d'une vaste opération contre les dispensaires qui pullulaient dans la province. On s'explique mal pourquoi aujourd'hui la police tolère certains établissements et d'autres non. Vendre du cannabis, même médical, demeure un acte illégal s'il n'est pas encadré par Santé Canada. Le weed proposé dans ces dispensaires n'est pas soumis aux mêmes tests que celui des producteurs autorisés par le gouvernement. C'est le Far West.

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Du côté du Service de police de la Ville de Montréal, on nous confirme par courriel que les policiers ont le rôle d'intervenir si les dispensaires s'adonnent à des activités illégales.

« Les comptoirs de service qui vendent de la marihuana, communément appelés "dispensaires" et "clubs de compassion", ne sont pas autorisés à vendre du cannabis à des fins médicales ou autres. Ces commerces sont approvisionnés illégalement et fournissent des produits non réglementés qui peuvent être dangereux. La distribution et la vente de cannabis dans des comptoirs de service illégaux au Canada sont interdites. »

Copropriétaire de la Croix verte, Shantal Arroyo opère avec un permis d'occupation pour un commerce qui propose des soins de santé naturelle. Dans son dispensaire, des thérapeutes spécialisés et des infirmières rencontrent les patients à qui elle vend du cannabis. « On est les voisins de la Sûreté du Québec depuis trois ans! dit-elle. On est différents des Don Brière de ce monde parce qu'on ne fait pas semblant de faire du médical, on le fait pour vrai. »

À la Croix verte et au Centre compassion, les patients doivent montrer une preuve de diagnostic signé de la main d'un médecin pour avoir accès à la drogue douce. Mais Santé Canada demande plutôt une prescription de cannabis, ce que les médecins québécois sont généralement frileux de fournir, puisque, selon le Collège des médecins, il ne s'agit pas d'un traitement reconnu. « On offre un service, poursuit Shantal Arroyo. Et je crois que c'est pour ça qu'il y a une petite tolérance envers nous. Y a pas grand monde avec notre expertise, notre expérience, sans dossier criminel. »

Activiste, lobbyiste et propriétaire du Centre compassion de Montréal, Boris Saint-Maurice a été arrêté et condamné deux fois depuis 1999. Mais il est toujours ouvert sur la Main. « Je ne sais pas pourquoi la police me laisse faire, dit-il. On a gagné un certain respect grâce à notre rigueur. Mais, honnêtement, je ne cherche pas à savoir. »

Avec Laurent K. Blais

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