L’immigration en Israël, vue par deux projets photo controversés
Toutes les images sont publiées avec l'aimable autorisation des artistes et de l'Israel Museum.

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L’immigration en Israël, vue par deux projets photo controversés

Les réfugiés africains de Ron Amir dialoguent avec les Black Panthers juifs de Yaakov Shofar à l’Israel Museum, à Jérusalem.

Pour sa dernière exposition, l’Israel Museum a choisi un thème délicat : celui de l’immigration. Le musée, basé à Jérusalem, a décidé de confronter deux regards, très différents, à travers le projet de deux photographes. Le premier est contemporain, le second remonte aux années 70. Tous les deux mettent en lumière le mélange entre immigration mondiale et identité nationale en Israël. Et n’ont pas manqué de créer la polémique.

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À première vue, Doing Time in Holot de Ron Amir semble être d’innocentes images de paysages avec des installations humaines. Ces installations s’avèrent être en réalité des maisons, très rudimentaires. Les 40 photos couleur et les cinq vidéos d’Amir rendent compte, sans pathos, de la situation tragique des quelque 3500 réfugiés soudanais et érythréens, actuellement détenus dans le centre de détention de Holot en Israël.

Ron Amir, Aboud’s Bed, série “Doing Time in Holot”, 2014

Les réfugiés à Holot n’étant techniquement pas autorisés à vivre là, ils sont tenus de pointer tous les matins et tous les soirs. Pouvant se déplacer librement seulement en journée, les réfugiés ont développé une culture propre au sein du centre, reproduisant leur lieu d’origine dans le désert du Néguev. Les clichés d’Amir sont intitulés simplement d’après les espaces qu’ils représentent. Chaque bout de cuisine, de salon de thé ou de salle de gym improvisée recrée une pièce traditionnelle de la communauté soudanaise ou érythréenne — avec une touche israélienne. Ce qui n’a pu être emporté a été reconstruit.

Ron Amir, Oven, série “Doing Time in Holot”, 2015

Dans une vidéo d’Amir, on a un aperçu des hommes derrière ces espaces de vie. Celle intitulée Don’t Move montre Amir tentant de photographier des réfugiés assis devant lui, mais ils ne parviennent pas à rester en place. Les sujets finissent même par sortir leur téléphone et photographier à leur tour le photographe, montrant la relation particulière du photographe avec ses sujets.

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Ron Amir, Mosque, série “Doing Time in Holot”, 2016

Dans un style très différent, Ya’akov Shofar s’intéresse à un autre type de communautés : les Black Panthers israéliens, un groupe d’immigrants juifs de seconde génération originaires de pays arabes et vivant à Jérusalem dans les années 70 et 80. Pris entre 1978 et 1982, les portraits en noir et blanc de Shifar n’avaient été exposés qu’en 1983, au Haifa Museum of Art. Peu de temps après, Shofar abandonnait sa carrière de photographe.

Ya'akov Shofar, B15.0352., série “Born in Israel”, 1978-1982

La trentaine d’images intimes de Born in Israel montre des militants, inspirés par le Black Panther Party américain, qui ont décidé de protester contre les tensions ethniques et la discrimination politique envers les immigrés du Moyen-Orient.

Ya'akov Shofar, B15.0321, série “Born in Israel”, 1978-1982

Il n’a pas fallu longtemps pour que l’exposition crée la polémique. « Des réponses viennent déjà de toutes parts, apportant des messages et des opinions très différents », rapporte Noam Gal, commissaire photo de l’Israel Museum, à The Creators Project. « Il y a quelques jours, l’un des anciens leaders des Black Panthers israéliens des années 70 était invité sur une chaîne de télé pour parler de l’exposition de Shofar. Il n’était pas dans les portraits de Shofar mais il connaissait bien la plupart des gens photographiés. Il est furieux qu’il n’y ait pas le nom des membres photographiés sur les cartels, même si c’était le vœu de Shofar qu’il en soit ainsi. En retour, le journaliste a essayé de le convaincre de prendre en compte l’intégration tardive des portraits de Mizrahi sur les murs d’une autre institution artistique israélienne — et cet échange a conduit à un débat houleux sur Facebook par la suite. »

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Ya'akov Shofar, B15.0323, série “Born in Israel”, 1978-1982

Gal continue : « Le droit de l’artiste contre le droit de la personne photographiée : c’est vraiment au cœur d’un débat éthique depuis une cinquantaine d’années. On réalise, encore maintenant, combien ces problématiques demeurent pour la génération actuelle et les systèmes de communication mondialisée et les médias en ligne, elles ont même été amplifiées avec le rôle des musée dans une relation tumultueuse entre l’appareil et le public. »

Ya'akov Shofar, Born in Israel, 1978-1982

« Je m’attendais à ce qu’un débat public émerge, et j’espère que ce n’est que le début », renchérit Gal. « J’espère que les visiteurs de l’exposition ne vont pas voir seulement les dénominateurs communs à ces deux épisodes historiques — les vagues d’immigration actuelle en provenance de l’Afrique et l’immigration dans le jeune état d’Israël depuis les pays arabes il y a un demi-siècle — mais aussi les tenants et les aboutissants d’une photographie engagée. »

Ya'akov Shofar, Born in Israel, 1978-1982

Vous pouvez voir « Doing Time in Holot » et « Born in Israel » à l’Israel Museum, à Jérusalem, jusqu’au 22 avril 2017. Toutes les infos en cliquant ici.