FYI.

This story is over 5 years old.

Crime

Sans les « fixeurs », nous ne serions pas aussi bien informés

Le journaliste Mohammed Ismael Rasool, est toujours en prison en Turquie, arrêté alors qu’il était « fixeur » pour notre rédaction, c’est-à-dire un journaliste indépendant qui nous guide sur des terrains que nous ne connaissons pas ou peu.
Photo de Mohammed Ismael Rasool (à gauche) via VICE News

Photo de Mohammed Ismael Rasool (à gauche) via VICE News

Je vais vous confier un petit secret : nous autres journalistes, nous ne savons pas tout. Envoyez-nous dans une zone de conflit, en plein milieu d'une catastrophe naturelle ou dans un état totalitaire, et nous en reviendrons avec des informations. Mais si nous le faisons, ce n'est pas parce que nous sommes plus brillants ou courageux que les autres.

Publicité

Ce sera sûrement parce que nous avons travaillé avec un fixeur formidable.

À moins d'être journaliste, vous n'avez peut-être jamais entendu parler d'un « fixeur » et vous ne savez peut-être pas que ces journalistes indépendants jouent un rôle central dans l'accès et la diffusion des informations.

Le fixeur peut parfois se faire l'interprète de la langue, mais il est toujours l'interprète des moeurs locales, des conflits et des difficultés propres à chaque situation. Il peut prendre rendez-vous avec un dirigeant politique ou organiser une rencontre avec un groupe rebelle ennemi. En reportage, les journalistes étrangers dépendent particulièrement du journaliste fixeur pour leur sécurité. Dans les situations délicates, c'est le fixeur qui sait quand on peut faire tourner la caméra ou quand il faut partir en vitesse.

En un mot, les journalistes freelance fixeurs sont le poumon du journalisme indépendant. Malheureusement, ils sont souvent les premiers concernés par les emprisonnements, enlèvements et meurtres visant des journalistes.

D'après le Comité pour la Protection des Journalistes (Committee to Protect Journalists), 221 journalistes ont été incarcérés dans le monde en 2014.

À lire : J'ai laissé mon ami Rasool en prison. Il faut le libérer

Mohammed Ismael Rasool — plus connu sous le nom de Rasool — illustre à merveille le rôle crucial des journalistes indépendants. Rasool travaillait comme interprète pour une équipe de VICE News, en reportage dans le sud-est de la Turquie. C'est dans cette région que Rasool et ses collègues de VICE News Philip Pendlebury et Jake Hanrahan ont été arrêtés par les autorités et jetés en prison, accusés de travailler pour le compte d'une organisation terroriste — des accusations complètement absurdes.

Publicité

Jake et Philip ont été libérés par les autorités turques au bout de 11 jours de détention, mais Rasool est toujours en prison. Rasool est un journaliste expérimenté. Son éthique professionnelle est indiscutable. Il prépare actuellement un Master de relations internationales à l'université Faith d'Istanbul. Rasool consacre son temps aux autres et à raconter les histoires de ceux qui sont habituellement réduits au silence.

À VICE News, nous considérons les journalistes indépendants avec qui nous travaillons sur le terrain comme des membres à part entière de l'équipe. Ce principe s'est transformé cette année en un engagement, lorsque nous avons rejoint une coalition de grandes agences de presse internationales — y compris Associated Press, Reuters et Agence France-Presse — pour signer une charte collective sur les normes de protection pour les journalistes indépendants. Ces normes soulignent l'importance du travail effectué par les fixeurs et la responsabilité qui incombe aux organismes de presse de soutenir ces journalistes en période de crise.

Et nous sommes en période de crise.

Aujourd'hui, Rasool est enfermé dans une prison turque, pour avoir tout simplement fait son travail de journaliste. C'est-à-dire : pour avoir essayé de nous aider à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Nous ne ménagerons aucun effort pour obtenir la libération de Rasool, mais nous savons aussi que son emprisonnement touche un large nombre de personnes, bien au-delà de ses collègues et de ses proches. Son sort touche tous ceux qui s'intéressent à l'actualité et tous ceux qui pensent qu'un monde sûr n'est possible que lorsque l'information y circule librement.

Publicité

À lire : La Turquie libère deux journalistes de VICE News, un autre reste en prison

Sans les journalistes comme Rasool, nous sommes aveugles face aux événements qui marquent nos vies et dont nos existences dépendent. Sans les journalistes comme Rasool, tout ce qui reste, c'est de la propagande politique, des rumeurs et des informations soigneusement manipulées par les médias d'État. Sans les journalistes comme Rasool il n'y a pas de données vérifiables, recueillies par des journalistes professionnels.

Nous pouvons éviter cette crise.

Au nom de Rasool, au nom des nombreux autres journalistes actuellement incarcérés dans le monde, et au nom de l'information dont nous dépendons, je vous encourage à vous sentir personnellement concernés par cette situation. Contactez vos dirigeants et faites-leur part de vos pensées sur l'emprisonnement de Rasool en Turquie. Utilisez les réseaux sociaux pour sensibiliser les autres à l'injustice dont Rasool est victime et aux menaces contre la liberté de la presse dans le monde. Aujourd'hui, Rasool n'est plus en mesure de dénoncer cette injustice. Nous devons le faire pour lui.

Jason Mojica est le rédacteur en chef de VICE news.

Suivez-le sur Twitter :@elmodernisto