Sportif Lezbon : le club LGBT qui utilise le foot contre les discriminations en Turquie

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Sportif Lezbon : le club LGBT qui utilise le foot contre les discriminations en Turquie

Alors que la société turque est devenue de plus en plus conservatrice ces dernières années, le club LGBT de Lebzon se distingue par son ouverture et promeut un sport inclusif.

« Le football est l'un des emblèmes les plus forts de la masculinité, affirme Selin, joueuse star et co-fondatrice du club turc Sportif Lezbon. C'est donc un domaine où la communauté LGBT, et les femmes en particulier, ont du mal à se faire entendre. »

L'arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, et la domination de la scène politique par le Parti de la justice et du développement (AKP) qui s'en est suivie, a vu la société devenir plus conservatrice et l'Etat de plus en plus répressif.

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Malgré cet environnement hostile, le Sportif Lezbon cherche à lutter contre l'homophobie et la discrimination dans le pays. Se revendiquant comme le premier club de football ouvert à la communauté LGBT, à tous les sexes et toutes les orientations sexuelles, son histoire a commencé il y a quelques années lorsque des femmes homosexuelles et bisexuelles ont commencé à se rassembler à Ankara pour disputer des matches amicaux. Le club est le résultat d'une fusion de deux petites équipes : « Strapon » et « Elle » qui, après avoir organisé des matches dans leur banlieue pendant deux ans, ont décidé de joindre leurs forces pour former une seule entité. Le Sportif Lezbon est né.

L'équipe – dont le nom est une allusion taquine au club portugais le Sporting Lisbonne – a rapidement rejoint la Ozgür Lig, une ligue turque alternative supportant la lutte « contre le racisme, le nationalisme, l'homophobie et la transphobie. » Fondée à Ankara en mars 2015, la division est essentiellement composée d'étudiants et de militants LGBT.

La Ozgür Lig fait partie des nombreuses ligues de football alternatives ayant fleuri partout dans le pays ces derniers temps, qui prônent une nouvelle manière de combattre l'homophobie en Turquie. Parmi ces autres ligues, on peut citer la Gazoz Ligi, l'Efendi Lig et la Karsi Lig, toutes basées à Istanbul. Deux équipes LGBT se sont aussi formées dans la ville : les Queen Park Rangers et les Atletik Dildoa.

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L'importance culturelle et sociale d'une équipe de foot LGBT dans un pays aussi socialement conservateur que la Turquie est patente. Depuis juin 2015, lorsque le AKP a échoué pour la première fois depuis sa création à obtenir une majorité au parlement, le pays est devenu de plus en plus instable. Cette instabilité a abouti aux attentats à la bombe d'Ankara, le 10 octobre, qui ont fait plus de 100 morts et plus de 250 blessés parmi les civils.

Les restrictions strictes de la liberté d'expression et de la liberté de la presse ont été une conséquence directe de ce climat répressif. Rien qu'en 2015, trois journalistes ont été tués et 14 incarcérés.

La communauté LGBT a également été profondément affectée. Dans son rapport de Stratégie d'Elargissement de 2015, concernant la Turquie, la Commission européenne a écrit : « La Turquie […] doit garantir efficacement les droits des femmes, des enfants, et des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) […]. La violence basé sur le genre, la discrimination et l'incitation à la haine contre les minorités, ainsi que le respect pour les droits des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles, transgenres et intersexuées sont de forts sujets d'inquiétude. »

Selon un rapport du Bureau pour les institutions démocratiques et les droits de l'Homme (BIDDH) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe sur les crimes motivés par la haine, les préjugés sur la communauté LGBT sont à l'origine de 34 violentes agressions et 2 sérieuses tentatives d'intimidation contre le groupe LGBT. On compte parmi les exemples récents le cas d'une femme transgenre qui a été poignardée à mort alors qu'elle travaillait dans la rue, dans le quartier Avcilar d'Istanbul. En juillet 2015, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a également exprimé « une inquiétude profonde à propos des attaques et des incitations à la violence contre les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles, et transgenres en Turquie. » Ce communiqué a été publié peu de temps après que la police turque a utilisé des gaz lacrymogènes, des flash-ball, ainsi que des canons à eau, pour disperser la foule au moment de la parade de la gay pride d'Istanbul, et a interpellé plusieurs manifestants, créant ainsi le désordre et la panique dans les rues de la plus grosse ville du pays.

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Donc, bien que la communauté LGBT de Turquie ait gagné en visibilité et que les organisations LGBT aient considérablement augmenté en nombre (il existe aujourd'hui plus de 40 groupes différents), la violence et la discrimination ont indéniablement regagné du terrain sous la gouvernance de l'AKP.

« Le gouvernement a toujours considéré les membres de la communauté LGBT comme des nuisants, des déviants, explique Secin Tuncel, membre du KAOS GL, un des plus gros défenseurs et un des plus grands groupes de recherche de la communauté LGBT du pays, ainsi qu'un supporteur invétéré du Sportif Lezbon et de la Ozgûr Lig. Ils génèrent beaucoup d'homophobie, laquelle se reflète dans notre société. »

Bien qu'il n'y ait aucune loi spécifiquement anti-LGBT en Turquie, il n'y en a aucune qui les protège contre la violence et la discrimination non plus. En février 2015, l'opposition, le Parti populaire républicain (CHP), a proposé un projet de loi visant à interdire la discrimination basée sur le genre et l'orientation sexuelle. Bien qu'elle ait été signée par dix parlementaires, la loi n'est pas passée.

Le football demeure dans le monde entier un sport dominé par les hommes. Mais en Turquie cela semble avoir un impact particulièrement fort. Dans le pays, les matches sont trop souvent marqués par la violence et les affrontements entre supporters dans les tribunes, à tel point que ça menace de tuer le sport. Le stade est devenu un endroit où les hommes turcs aiment étaler leur force et leur virilité et, donc, un endroit où ni les femmes ni les homosexuels sont les bienvenus, ni même tolérés.

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Selin, 25 ans, une star du Sportif Lezbon, est étudiante à la Middle-East Technical University à Ankara. Elle a commencé à jouer au foot dans les rues d'Istanbul quand elle était petite, surtout contre des garçons. Bien des années plus tard, elles et ses coéquipiers ont eu l'idée de former un club de foot alternatif.

Photo Antonin Weber

« On cherchait des moyens d'unir les femmes qui n'osent rien dire face aux violations évidentes de leurs droits les plus basiques », explique-t-elle.

Comme le Sportif Lezbon met un point d'honneur à inclure tout le monde, l'équipe est aussi ouverte aux hommes. Mais l'objectif premier, insiste Selin, est de donner aux femmes et aux membres de la communauté LGBT une chance de faire partie d'un monde dont elles sont généralement exclues. Le club ne limite pas son action au football. Il participe régulièrement aux manifestations – en mai 2015 il était avec les travailleurs turques – et il organise des événements de solidarité.

Selin se rappelle comment, quelques mois plus tôt, des supporters masculins ont mis le feu au mannequin d'une femme habillé d'une robe moulante rouge – mettant en exergue à quelle point certains hommes ont une image dégradante de la femme – dans les tribunes à la suite d'un derby Fenerbahce – Galatasaray à Istanbul. L'incident a provoqué une réaction violente, amenant des femmes à s'exprimer sur les réseaux sociaux pour dénoncer l'étalage de violence et de sexisme pendant les matches, ainsi que pour qualifier ce geste d' « insulte ».

« Ce qui se passe pendant les matches de foot n'est rien d'autre que le reflet de tous les autres abus que nous subissons dans les autres aspects de notre vie », dit Selin.

Ce que le Sportif Lezbon, la Ozgûr Lig, ainsi que les autres clubs de football turques alternatifs, ont entrepris n'est pas une mince affaire : ils essaient de combattre des comportements profondément enracinés et des valeurs culturelles qui ont fait partie de la société turque depuis des années. Leurs actions vont-elles apporter du changement ou pas ? Seul l'avenir nous le dira. Mais quoi qu'il arrive, leur travail et la façon dont ils le font ont beaucoup de mérite.

« Le Lezbon entre sur le terrain pour mener un combat contre l'hétéronormativité et le machisme, dit Selin. C'est une arme puissante contre le sexisme. Avec elle, on a réalisé qu'il y avait un nouveau champ de bataille où l'on pouvait faire entendre notre voix et nous battre. »