De pub décrépit à meilleur restau du Royaume-Uni
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De pub décrépit à meilleur restau du Royaume-Uni

En 18 ans, Stephen Harris a transformé le Sportsman, un pub laissé à l'abandon, en restau étoilé à la cuisine de terroir reconnue.

Le Sportsman est un pub situé au milieu de nulle part. Nulle part ressemblant quand même pas mal à la côte nord du Kent. Les villes les plus proches, Whitstable et Faversham, se trouvent à plus de 6 km.

Seul lien vers la civilisation, une petite route de campagne battue par les vents qui mène jusqu'à un long bâtiment blanchi à la chaux et sa véranda sobrement meublée de tables et de chaises en bois, légèrement en retrait.

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Le voyage jusqu'au pub prend fin sur un parking de graviers, derrière une petite dune herbeuse. Si vous vous aventurez quelques mètres plus loin, vous avez de fortes chances de tomber sur une jolie plage de galets.

C'est là que j'ai rencontré Stephen Harris pour la première fois. On était en août et la journée s'annonçait étouffante. La silhouette de Stephen se détachait sur fond d'épais nuages fades survolant la mer du Nord. La plage est jonchée d'algues et, à intervalle régulier, on tombe sur des épis s'avançant vers le large.

Harris est à la tête du Sportsman depuis 18 ans. Mais si on le cherche, c'est ici ou dans les champs alentour qu'on a le plus de chance de le trouver : la zone autour du pub est un peu son garde-manger.

Le Sportsman entre Whitstable and Faversham. Toutes les photos sont de l'auteur.

« Entre 80 et 90 % des produits servis au restaurant ont été récupérés dans les parages », explique Harris. Il regarde au sol et ramasse une poignée d'algues. « Regarde. Ça, c'est l'ingrédient principal du beurre d'algue qu'on produit ici. Et ce beurre est ensuite utilisé pour cuisiner le filet de sole. D'ailleurs, le poisson vient aussi d'ici. Comme l'eau de mer qu'on transforme en sel. En fait, on retrouve tout le coin dans l'assiette. »

C'est cette attention particulière donnée à l'hyper-local, aux ingrédients de saison et aux produits artisanaux qui a rendu le Sportsman célèbre. En 2008, l'établissement a obtenu une étoile Michelin et, ces deux dernières années, il a été couronné meilleur restaurant d'Angleterre aux National Restaurant Awards. Pas mal pour un vieux pub décrépit – comme le dit Harris.

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Stephen Harris, le chef du Sportsman. Toutes les photos sont de l'auteur.

Un des ingrédients utilisés dans le beurre d'algues.

« Quand Twitter a débarqué, j'ai vu dans le réseau social l'opportunité de devancer les critiques qu'on aurait pu nous formuler. J'ai par exemple ajouté 'pub miteux de bord de mer' dans la biographie du restau. »

« On savait que le lieu était un peu délabré. Du coup les gens ne pouvaient pas trop se plaindre », me confie Harris. « Le président du Shepherd Neame, à qui appartient le pub, était certes un peu embarrassé, vu qu'il avait refait les toilettes et la verrière. »

C'était un drôle de bâtiment en bordure de la ville. Je me souviens d'un endroit assez triste et qui avait connu des jours meilleurs.

Les quelques touches haut de gamme visibles aujourd'hui, tels que les savons de luxe et les serviettes à main en coton dans la salle de bains, n'ont rien à voir avec le Sportsman qu'Harris a connu. Dans le livre de recettes qu'il a récemment publié, The Sportsman, il parle de son enfance à Whitstable et du Sportsman tel qu'il le connaissait.

« C'était ce drôle de bâtiment en bordure de la ville. Le Sportsman était un peu bizarre. Je me souviens d'un endroit assez triste. Un endroit qui avait connu des jours meilleurs », raconte Harris en remontant de la plage vers le pub. « Mais j'y suis très attaché. »

Des champs entourent le pub.

« Mon frère, Phil, a bu son premier verre d'alcool ici, quand il avait 14 ans ou un truc du genre. En suivant cette route, on tombe sur une petite mairie où je me planquais avec mon groupe punk et l'on peaufinait notre album. Notre producteur, s'était Stuart Copeland. Il n'était pas connu à l'époque mais il l'est devenu ensuite en tant que batteur de Police. On avait l'habitude de se rendre au Sportsman après nos répét' pour parler de nos projets. »

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Les années ont passé et le pub a connu un lent déclin.

« Quand on a repris l'affaire en 1999, c'était un dépotoir. Les tapis collaient, tout était cheap. Il y avait même une pancarte qui indiquait que si vous parveniez à manger en entier un steak de 1 kg, il était offert par la maison. C'était ce genre de bouffe là. La cuisine était juste à base de grosses frites grasses et de micro-ondes. Ça vous donne une idée de l'ambiance. »

En approfondissant mes recherches, j'ai découvert que le terrain au milieu duquel se trouve le pub, appartenait aux cuisines de l'Archevêque de Canterbury

Harris avait commencé à travailler en tant que cuisinier professionnel seulement 4 ans auparavant. Il venait du monde de la finance. Dans son livre, il écrit avoir été influencé par les meilleurs restaurants de Londres. Alors comment a-t-il fait pour passer d'amateur « de bonne bouffe locale », selon ses propres mots, à collectionneur de trophées ?

« Après 4 ans ici, j'ai dû prendre une semaine de congé parce que je ne me sentais pas très bien. J'avais passé la semaine précédente à tourner en rond. J'ai commencé à m'intéresser à l'histoire du coin et j'ai contacté un de mes potes archéologue. J'ai appris que cette région avait une identité culinaire assez spéciale », poursuit Harris. « En approfondissant mes recherches, j'ai découvert que le terrain au milieu duquel se trouve le pub, appartenait aux cuisines de l'Archevêque de Canterbury, selon Le Livre du Jugement dernier de 1086. »

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Un bouton de rose.

Harris fait alors une pause dans son récit pour me montrer un bouton de rose qui pousse près du parking. Ce petit fruit rouge et brillant sera servi en sirop avec le gibier une fois la saison arrivée.

« J'ai commencé à lister tout ce qui poussait ici et je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'un garde-manger à ciel ouvert. Je tenais mon menu. La mer fournit du turbot, du bar, du maquereau, de la sole et de la morue. Tous les poissons les plus savoureux d'Europe du nord. Dehors, dans les marais, il y a des agneaux qui broutent. Dans la ferme là-haut, il y a des cochons, des poulets et des canards. En venant, vous avez dû passer par la gare Faversham et vous avez sûrement vu du houblon, des pommes, des poires, des cerises et des prunes. Il y a aussi du sureau, des mûres, des fraises, des framboises et des prunelles. Juste derrière vous, il y a un pommier. Et juste à côté un poirier. Et encore à côté, un cognassier. Et si vous suivez cette route, vous trouverez des pommiers sauvages et des cerisaies. »

« Ça paraissait donc logique que ses terres appartiennent aux cuisines de la Cathédrale de Canterbury. »

Des pommiers.

Ici, rien n'est gaspillé. En pointant du doigt quelques pommes tombées sur le sol, Harris m'explique : « Celles-ci, je les garde pour les cochons de la ferme. »

Une fois arrivé au pub, on s'installe à une table dans le coin de la véranda, où l'on nous sert un peu de pain et de beurre (au sel fait maison).

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Je suis dans cette idée de 'cuisine de terroir'. Une nourriture qui est le reflet du paysage local. Si des agneaux broutent dans les marais salants, vous aurez de l'agneau au menu.

Harris raconte : « Je suis dans cette idée de 'cuisine de terroir' [en français dans le texte], d'une nourriture qui peut être le reflet du paysage local. Si des agneaux broutent dans les marais salants, vous aurez toujours de l'agneau au menu. »

Mais pense-t-il que des ingrédients comme le sel sont meilleurs quand ils viennent du coin ?

« Non, pas spécialement. Et je ne l'ai jamais revendiqué. Du sel, c'est du sel. Je n'ai jamais dit qu'il serait meilleur ici ou qu'il aurait un autre goût. Mais ça en dit long sur le restaurant et les environs. Je pense aussi que ça aide à donner une direction et un objectif à la cuisine. »

Des poiriers.

Plus Harris me parle des environs, plus je comprends que le Sportsman n'est pas destiné aux gens du cru. Quand j'ai annoncé au chauffeur de taxi qui m'a pris en charge à la gare de Faversham que je me rendais au pub, il m'a répondu que le Sportsman avait l'air d'être un endroit sympa mais qu'il n'y avait jamais mangé. « Un peu cher », selon lui.

Harris lui-même admet que bon nombre de ses clients viennent de Londres. Des petites villes comme Whitstable ont connu une gentrification croissante au cours de ces dernières décennies mais les villes de bord de mer figurent toujours parmi les communautés les plus défavorisées du Royaume-Uni.

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« Whitstable est une ville vraiment différente. Et j'insiste sur ce point. C'était une ville d'ouvrier et ça se voyait. Quand j'étais enfant, on jouait sur la plage et tous les bâtiments du front de mer tombaient en ruine quand ils n'étaient pas dédiés aux chantiers navals. L'ostréiculture était morte », ajoute Harris.

« Puis la Whitstable Oyster Company s'est installée. C'est un restaurant sur la plage. Et une famille s'est remise à produire des huîtres de nouveau. Pas grand monde les appréciaient à Whitstable mais les gens de Londres ont commencé à débarquer pour la journée vers la fin des années 1980 et le début des années 1990. »

Maquereau sur une tranche de pain de seigle.

Filet de sole sauce au beurre d'algues.

« J'adore les Londoniens. Désolé, j'ai une opinion un peu différente de celle des locaux. Tout le monde pleurniche. Pas moi. J'aime vraiment bien l'idée qu'ils viennent jusqu'ici avec leurs manières si sophistiquées. Je préfère le Whitstable de maintenant. Il se trouve qu'on est un peu en dehors de la ville. Je n'ai jamais voulu être au milieu de nulle part. On n'a jamais fait de publicité. Le livre nous met un peu dans une situation inconfortable car il nous expose. J'ai toujours pensé que je cuisinerai et que ce qui devra se passer, se passera », poursuit Harris.

Mais l'avalanche de récompenses mentionnées ci-dessus ne s'est pas déclenchée toute seule admet-il. Les éloges reçus ne sont pas anodins non plus.

Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j'étais ambitieux. Je voulais en faire le meilleur restaurant du pays. Et j'allais y consacrer toute ma matière grise

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« Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j'étais ambitieux. Je voulais en faire le meilleur restaurant du pays. Et j'allais y consacrer toute ma matière grise », justifie Harris. « Je suis entré dans le monde de la cuisine grâce aux filles du River Café ou Alice Waters. Et elles ne cuisinaient qu'avec des aliments de saison et des produits aussi frais que possible. »

Et Harris a conservé ce petit quelque chose qu'il trouvait au Sportsman au cours de ses premières visites.

« Je me suis dit : pourquoi ne pas faire ce que nous faisions avec mon groupe de punk ? C'est à dire, de tout faire nous-mêmes. On a trouvé un bâtiment avec 4 murs et un toit. On a emprunté 20 000 £ à mon frangin qui tenait une maison de disques pour tout refaire. On a acquis l'endroit le 1 er novembre et le 8, on servait ! »

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« Et l'endroit ressemblait déjà à ça. Sans chichis. On a ouvert les portes et on s'est lancé direct dans le grand bain. Je fonctionnais de la même manière quand j'étais gosse. Trouver une guitare, apprendre à jouer, écrire quelques chansons et monter sur scène. »

Quand on vous disait que les chefs étaient les nouvelles rock stars.