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Centrafrique

L'étrange accord de cessez-le-feu des factions ennemies de Centrafrique

Le projet signé à Nairobi entre les anti-balaka et les ex-Seleka a été écrit sans consulter le gouvernement de transition qui le refuse, compliquant le fragile processus de paix en Centrafrique.
Pierre Longeray
Paris, FR
Nairobi. Photo via Flickr / Demosh

Le gouvernement de transition centrafricain présidé par Catherine Samba-Panza a rejeté jeudi 29 janvier l'accord de cessez-le-feu signé la veille entre les deux principales forces qui s'opposent dans le pays — les anti-balaka d'un côté et les ex-Seleka de l'autre. Pourtant à l'origine des négociations, et médiateur officiel de celles-ci, le président du Congo Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, en a lui aussi dénoncé le contenu. Cet accord trouvé entre les rebelles à majorité musulmane de l'ex-Seleka et les milices principalement chrétiennes des anti-balaka est surprenant, aux vues des divergences qui existent entre les deux groupes rivaux.

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La Centrafrique est marquée depuis deux ans par des affrontements interreligieux de grande envergure, qui ont poussé la France à intervenir en décembre 2013. La Seleka, une alliance de milices à tendance musulmane, avait renversé François Bozizé et placé Michel Djotodia à la tête de la RCA début 2013. S'en est suivie une période de conflits ouverts avec un autre groupe dit des « anti-balaka » formé principalement de paysans chrétiens. La Seleka est en principe dissoute depuis janvier 2014, date à laquelle les anti-balaka chassent Michel Djotodia du pouvoir.

Le 17 janvier dernier, un communiqué du ministère des Affaires étrangères congolais saluait les « avancées enregistrées lors des discussions de Nairobi (capitale du Kenya). » Pourtant, dans un courrier daté du 29 janvier, adressé au président kényan, Uhuru Kenyatta, qui accueillait à Nairobi les négociations, Sassou Nguesso expliquait son retrait du processus, « Cet accord qui s'écarte du schéma de la médiation internationale ne saurait donc être validé. »

Joint ce vendredi par VICE News depuis Nairobi, Thierry Vircoulon, directeur de la région Afrique Centrale à l'International Crisis Group note que « cet accord a été conçu dans le dos de la plupart des parties prenantes : les Nations Unies, l'Union Africaine, les États-Unis, la France et évidemment le gouvernement de transition. » Les autorités centrafricaines ont immédiatement refusé l'accord, n'ayant jamais été consultées.

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Le ministre du Travail du gouvernement de transition de Centrafrique, Gaston Mackouzangba nous a confirmé que « Le gouvernement n'a pas été consulté, ni en amont, ni pendant les négociations. »

Un accord en catimini

À Nairobi, l'accord a été négocié en présence des deux anciens présidents centrafricains qui ne sont pas apparus publiquement. François Bozizé, soutenu par les anti-balaka, avait donc été chassé en mars 2013 de la présidence centrafricaine par Michel Djotodia qui mène l'ex-Seleka.

Au cours d'une conférence de presse tenue jeudi à Nairobi, Hilaire Youseft de la Seleka a déclaré, « En premier lieu laissez nous régler le problème de l'insécurité. Comment voulez vous organiser des élections dans ce cadre-là sinon ? » La Seleka et les anti-balaka, estiment qu'il est difficile de satisfaire cette exigence dans les temps du calendrier électoral, les prochaines élections sont prévues en août 2015. Dans un communiqué à quatre mains, les deux groupes ont estimé que ces accords de Nairobi étaient le seul espoir que le pays avait.

Thierry Vircoulon nous confie que « Les personnes rassemblées à Nairobi représentent en réalité une petite minorité des deux groupes [ex-Seleka et anti-balaka]. Ce sont des « seconds couteaux » qui sont apparus en conférence de presse. »

Les discussions ont été arbitrées et organisées par Denis Sassou Nguesso et Kenneth Marende, ancien président de l'Assemblée nationale et médiateur kényan. Ce denier a déclaré mercredi à l'AFP après l'adoption de l'accord que « Les parties ont adopté un cessez-le-feu, une cessation des hostilités et un accord de DDR (Désarmement, démobilisation, réintégration). »

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Pour Vircoulon, cet accord ne marque pas un tournant dans la résolution de la crise centrafricaine. Faisant référence aux précédents accords négociés à Libreville, N'Djamena, Brazzaville et donc Nairobi, Vircoulon constate qu'on « va pouvoir continuer à faire le tour des capitales africaines. »

Un cheval de Troie

La mesure phare mise en avant par les anti-balaka et ex-Seleka, c'est le « processus de DDR » qui signifie « Désarmement, Démobilisation et Réintégration ». Le ministre centrafricain Gaston Mackouzangba indique à VICE News que « Le DDR permettrait d'amener la paix. La paix dépend de deux choses : de la volonté des groupes armés de déposer les armes, et de l'effort du gouvernement de transition. » Si le document issu de cette « alliance contre-nature » selon le Ministre propose d'enclencher un processus de DDR, Mackouzangba doute de leur sincérité, « Les deux groupes sont encore dans une dynamique guerrière. »

Pour le ministre ce rendez-vous de Nairobi est « Un coup d'État contre le gouvernement de transition. »

Un des points centraux de l'accord de Nairobi — en plus de la promesse de cessez-le-feu — concerne la « révision de la Charte de transition, » les anti-balaka et ex-Seleka souhaitant « la reconstitution du gouvernement national de transition, » donc la mise en place d'un nouveau gouvernement de transition. Ce serait le troisième.

Autre disposition problématique selon Mackouzangba, l'amnistie générale réclamée par les deux parties pour « toutes les personnes et parties engagées ou impliquées dans des combats durant le conflit, » comme le précise l'article 20 de l'accord qui est publié par Le Point et lisible ici. Le ministre craint que les deux anciens présidents ne veuillent obtenir ces amnisties « pour pouvoir se représenter. »

« Cet accord est un Cheval de Troie pour revenir au pouvoir de manière contournée, » nous annonce le ministre, qui souhaite la tenue d'une consultation par la base du peuple centrafricain.

Thierry Vircoulon note que « cet accord n'engage que ceux qui l'ont signé, » c'est-à-dire peu de parties. « Il s'agit d'un accord parcellaire. Le Forum de Bangui [ NDLR, nouvelle réunion de toutes les parties le mois prochain] comptera plus de participants, par contre ceux qui étaient présents à Nairobi ne feront probablement pas le déplacement. »

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray

Photo via Flickr  / Demosh