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Etat Islamique

Pourquoi un djihadiste suisse est condamné à faire un reportage photo sur le thème de la paix

L’« ordonnance pénale » de la justice suisse que VICE News s’est procurée retrace son parcours aux cotés de l’organisation État islamique.
Image via Flickr

Par une décision de justice datée du 24 novembre, le ministère public de la Confédération (MPC) a reconnu coupable un de ses ressortissants, dont on ne connait pas le nom, de deux délits. D'abord de « participation à une organisation criminelle » et ensuite de « service militaire étranger », un délit de loi militaire qui condamne les mercenaires. Cette condamnation d'un djihadiste rentré au pays est une première en République helvétique.

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L' « ordonnance pénale » - jugement rendu par le MPC dans le système judiciaire suisse - condamne cet ex-djihadiste à payer 4 700 francs suisses - environ 3 900 euros, - et à 600 heures de travail d'intérêt général avec sursis. L'ordonnance décrète aussi que le prévenu devra être suivi par un psychiatre, et « Réaliser un documentaire photographique sur le thème « Signes de paix » », et ce en dehors de ses heures de travail.

L'homme serait parti trois mois, de décembre 2013 à février 2014, mais ne serait resté que deux semaines dans les camps d'entraînements de l'organisation État islamique (EI). Le site de la radio suisse RTS indique que cet homme serait âgé de 30 ans, et originaire du canton de Vaud, en Suisse romande - partie du pays attenante au lac Léman et francophone.

D'après l'ordonnance pénale à laquelle VICE News a accédé et qui s'appuie sur une enquête policière et sur des auditions du prévenu et de sa famille, le djihadiste suisse s'est dans un premier temps envolé vers Istanbul, en Turquie, depuis Lyon, en France, puis s'est rendu en bus dans la province turque de Hatay, limitrophe de la Syrie. C'est à ce moment qu'il passe la frontière au sein d'un groupe d'une quinzaine de personnes.

Mais à son arrivée dans un camp d'entraînement de l'EI, c'est la désillusion. Affecté à des « tâches sanitaires » et effectuant « deux à trois services de garde » en plus de sa formation au maniement d'armes, il est « choqué de constater que ce groupe prépare des attentats suicides en utilisant notamment des ambulances ». Il reste deux semaines dans ce camp au sud-ouest d'Alep, qui compte une filière francophone.

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À lire : Djihadistes français, comment quitter l'organisation État islamique

Puis les choses se gâtent pour l'aspirant djihadiste suisse. Selon ses dires, il est trouvé en possession « d'images à caractère homosexuel » par les autorités du camp. Interrogé et battu, il passe 54 jours en prison à Racca, avant de repasser la frontière et d'être interpellé par la police turque.

VICE News a contacté Jean-Paul Rouiller, spécialiste suisse du terrorisme et directeur du Geneva Centre for Training and Analysis of Terrorism (GCTAT). Pour cet expert, la peine relativement légère du MPC est appropriée dans ce cas très particulier. Il explique : « On a une ordonnance qui tient parfaitement compte de la personnalité du jeune homme. C'est quelqu'un de particulier, il a un parcours très surprenant. Je trouve que c'est un jugement assez fin, compte tenu de ses possibilités de réinsertions. »

Jean-Paul Rouiller indique qu'environ une trentaine de citoyens suisses sont actuellement engagés dans le djihad aux côtés des islamistes sur l'ensemble de la zone syrienne. Il précise qu'une proportion vraisemblablement similaire a également rejoint les rangs des forces kurdes qui luttent contre les islamistes.

Au delà de ce cas particulier, le directeur du GCTAT prévient que les peines suisses, qui prévoient un maximum de cinq ans de prison pour l'appartenance à des organisations criminelles accompagnée d'actes de préparation en vue d'une action criminelle, ne sont pas suffisantes et, surtout, pas adaptées au terrorisme.

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Rouiller explique : « La réintégration d'un ancien djihadiste est compliquée. Le suivi psychologique est essentiel, les gamins qui reviennent sont souvent en état de choc post-traumatique. Ensuite, ce sont des réponses sociales qu'il faut apporter. Comment les réinsérer, leur donner un but, un objectif, des raisons de ne pas rebasculer. » Il poursuit : « Ces gosses, quand ils partent, c'est des gamins en mal d'idéal et d'objectifs et c'est ce qu'on prétend leur donner là bas. Ils ont le sentiment d'appartenir à quelque chose de plus grand, d'important. »

Le jugement rendu par le MPC semble aller dans le sens des propos de Jean-Paul Rouiller. Selon les mots de l'ordonnance pénale, le Suisse condamné aux travaux d'intérêt général aurait « agi par recherche d'une forme de fraternité d'armes au sein d'une communauté masculine qu'il idéalisait, par faiblesse de caractère, naïveté et fragilité alors qu'il rencontrait certaines difficultés adaptatives et identitaires dans sa vie en Suisse et cherchait un sens à sa vie ».

La peine du premier djihadiste suisse condamné en Suisse peut paraître légère comparée à celles prévues dans les autres pays européens. C'est que, par rapport à ses voisins européens, la Suisse semble privilégier la réinsertion à la répression. Le 17 octobre dernier, Flavien Moreau, un jeune Français de retour de Syrie affirmant ne pas avoir participé aux combats avait par exemple été condamné en France à sept ans de prison ferme par le tribunal de Paris.

Suivez Virgile dall'Armellina sur Twitter : @armellina

Photo via Flickr/Gideon