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FRANCE

[Retour sur] L’assaut meurtrier du Tribal Kat par des pirates somaliens

Ce mardi s’est ouvert à Paris le procès de 7 pirates accusés d’avoir tué un skipper français et kidnappé sa femme.
Pierre Longeray
Paris, FR
L'otage française Évelyne Colombo (bras croisés) lors de l'opération de sa libération. (Image via ministère de la Défense espagnole)

Le carnet de bord est ouvert au 8 septembre 2011, cela fait désormais cinq jours que le couple navigue dans le dangereux golfe d'Aden. Christian est à la barre. Cet ancien infirmier dans la marine nationale a une expérience hors-norme de la mer. Parmi ces exploits, Christian compte le record du monde de vitesse en hobie cat, qu'il a battu avec un ami en 1997.

Mais peu après 13 heures, ses connaissances de la mer ne vont lui être d'aucune aide.

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Neuf assaillants armés de kalachnikovs et d'un lance-roquettes s'approchent du bateau à bord d'un skiff de bois bleu, et commencent à faire feu sur le Tribal Kat. À 13 heures 17, alors que Christian est allé chercher un pistolet d'alarme, Évelyne parvient à lancer un appel de détresse.

Ce mardi s'ouvre à Paris le procès de 7 pirates somaliens qui sont accusés d'avoir tué en 2011 Christian Colombo, un skipper français, et kidnappé sa femme, Évelyne, alors qu'ils naviguaient sur leur catamaran entre le Yémen et la Somalie.

Chasse aux requins

Coincé entre le Yémen, la Somalie et Djibouti, le golfe d'Aden est un passage obligé pour tous ceux qui veulent rejoindre l'océan Indien depuis la Méditerranée, après avoir emprunté le canal de Suez).

Pendant plusieurs années, les navigateurs ont craint cette traversée — non pas à cause des conditions météorologiques, mais en raison d'une menace plus pernicieuse : celle des pirates, qui pillent les navires et kidnappent ceux qui s'aventurent dans les eaux troubles de la baie de la corne de l'Afrique.

La ligne de défense de la plupart des prévenus jugés ce mardi est la même : ils ne savaient pas dans quoi ils s'embarquaient. Certains disent qu'ils pensaient participer à une « chasse aux requins », d'autres à un transport de clandestins. Ils auraient compris de quoi ils étaient question — à savoir, commettre un acte de piraterie — une fois en mer.

La cour d'assises de Paris a jusqu'au 15 avril pour juger ces hommes pour « détournement de navire ayant entraîné la mort ». Ils risquent la réclusion à perpétuité.

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Appel de détresse

Début septembre 2011, Christian et Évelyne Colombo sont conscients du danger quand ils décident de s'engouffrer dans le golfe d'Aden, à bord du catamaran que Christian a construit de ses mains, le Tribal Kat. Le danger est tel que, dans un premier temps, Évelyne avait refusé d'accompagner son mari.

Ces deux retraités varois d'une cinquantaine d'années — lancés dans un tour du monde à la voile depuis 2008 — ont la Thaïlande en prochain point de mire et espèrent faire une petite escale au Sri Lanka. Mais avant cela, il faut traverser au plus vite le golfe d'Aden.

Christian et Évelyne étaient censés faire la traversée avec trois autres bateaux, mais suite à une panne de pilote automatique, le couple reste à quai pendant trois semaines dans le port d'Aden. Ils partent finalement seuls, ou peut-être avec un autre bateau d'après les garde-côtes yéménites.

Touché coulé

Les assaillants montent sur le catamaran et arriment leur skiff au bateau, qu'ils fouillent et pillent. Évelyne découvre alors le corps de son mari gisant dans son sang. Les pirates ne s'embarrassent pas du corps du retraité et le balancent par-dessus bord. On ne retrouvera que ses lunettes dans une mare de sang.

Évelyne est alors faite prisonnière. Les neuf hommes la font monter sur leur embarcation après lui avoir intimé l'ordre de prendre des vêtements chauds et un matelas de transat. Ils l'installent à l'avant du skiff, cachée sous une bâche blanche. La nuit commence à tomber alors que l'exigu navire file à vive allure vers les côtes somaliennes.

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Quelques heures après l'assaut contre le Tribal Kat, un navire allemand de la force internationale Atalante (chargé de la lutte contre les pirates dans la région) retrouve le catamaran d'Évelyne et Christian. Le bateau est vide et criblé de balles. Les recherches s'intensifient pour retrouver ses occupants.

Ce n'est que deux jours plus tard, qu'un hélicoptère espagnol de l'opération Atalante va repérer le skiff qui se dirige vers les côtes somaliennes. Évelyne subit la houle du golfe d'Aden depuis 48 heures, est trempée jusqu'aux os et n'a mangé qu'une boîte de thon — il faut agir vite.

Un navire espagnol est envoyé sur place, mais les pirates commencent à faire feu et à exhiber Évelyne pour signifier qu'ils ont un otage. Suite à un échange de tirs nourris, les militaires espagnols parviennent à éliminer deux pirates et à faire couler le skiff — ce qui facilite l'arrestation des pirates et la libération de l'otage. Évelyne est rapidement transférée sur un navire français par hélicoptère.

Alors qu'Évelyne rentre en France, les 7 pirates encore vivants et arrêtés par les militaires espagnols font le même chemin et rallient la France depuis le sultanat d'Oman à bord d'un vol militaire, dès septembre 2011.

Des pirates devant la justice française

En effet, depuis début 2011, une nouvelle loi permet de mieux encadrer l'arrestation des pirates : leur garde à vue ne commence désormais qu'à leur arrivée sur le territoire français. Un ajustement de la loi opéré suite à la multiplication des jugements de pirates somaliens en France.

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À lire : Les pirates somaliens sont des justiciables comme les autres

Trois procès de piraterie se sont déjà tenus en France ces dernières années : ceux de trois autres navires attaqués en 2008 et 2009, le Ponant, le Carré d'As et le Tanit. Mais, celui du Tribal Kat est le seul où il est question du meurtre d'un otage. (Le skippeur français du Tanit avait été tué par une balle française lors de l'assaut).

Cela fait près de 5 ans que les 7 pirates accusés d'être responsables de la mort de Christian Colombo sont emprisonnés. À partir de ce mardi, les juges vont devoir établir qui est responsable de quoi, alors que les avocats des prévenus vont s'employer à faire comprendre comment leurs clients ont été « contraints » de devenir pirates.

« Il faut expliquer ce qui pousse des Somaliens soit à quitter leur pays, soit à attaquer des bateaux. Quand on ne mange pas, la promesse de 100 dollars [NDLR, la somme promise aux pirates] ne se refuse pas, » explique à Libération Me Élise Arfi, une des avocates des prévenus.

Établir le niveau de responsabilité de chacun ne va pas non plus être une mince affaire.

Lors de leurs auditions, les prévenus avaient tous chargé les deux pirates tués lors de l'assaut ayant mené à la libération d'Évelyne Colombo. « Shine » et « Abdullahi Yare » ont été respectivement désignés comme le chef de l'expédition et son adjoint. Ce serait « Shine » qui aurait tué Christian Colombo, mais des traces de poudre ont été retrouvées sur plusieurs pirates.

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Il pourrait bien s'agir du dernier procès de pirates somaliens en France, puisque le phénomène a quasiment disparu ces dernières années grâce à l'action de l'opération Atalante — qui doit s'achever en fin d'année.

En 2011 (l'année de l'attaque du Tribal Kat), on recensait 176 attaques de navires dans le golfe d'Aden. En 2015, aucune attaque n'a été recensée. D'autres rapports estiment dans le même temps que les facteurs qui ont mené à la piraterie n'ont pas disparu et pourraient conduire à une reprise de ces activités.

À lire : Les pirates somaliens sont sur le point de revenir


Image :L'otage française Évelyne Colombo (bras croisés) lors de l'opération de sa libération. (Image via ministère de la Défense espagnole)

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