L'homme qui voulait soigner sa maladie génétique dans son garage
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L'homme qui voulait soigner sa maladie génétique dans son garage

Chris souffre de rétinite pigmentaire, une maladie génétique incurable. Dans cinq à dix ans, il sera aveugle. Sans formation médicale, et avec le seul aide d'Internet, il a décidé de créer son propre traitement à coups de manipulations génétiques.

Quand il était petit, Chris apercevait parfois des flashes. Il ne s'en souciait pas vraiment. Il a grandi, est devenu ingénieur en mécanique, a fait des voyages. Une vie ordinaire pour un jeune américain. Et puis, il y a deux ans, à l'aube de la vingtaine, il est tombé malade. Un virus, rien de grave, mais la fièvre a déclenché quelque chose. Quelques mois plus tard, les flashes qui parasitaient sa vue sont devenus plus fréquents, plus intenses, plus longs. Très vite, sa vision périphérique a diminué, jusqu'à disparaître. Il a fallu deux ans aux médecins pour poser le diagnostic : rétinite pigmentaire de type 25, une maladie rare qui ronge les photorécepteurs, ces cellules qui tapissent la rétine et nous permettent de voir.

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Depuis, Chris vit cloîtré dans le noir de peur que la lumière et l’activité physique n’aggravent son mal. « J’ai dû mettre une grande partie de ma vie entre parenthèses et laisser tomber la plupart des choses qui me tiennent à coeur, explique le jeune homme, qui n'a pas souhaité dévoiler son nom de famille, dans un mail à Motherboard. J’ai été contraint de refuser des opportunités de travail et d’études supérieures incroyables parce qu’elles auraient été trop fatigantes pour mes yeux. » Il a même adapté son cycle de sommeil pour vivre la nuit. Malheureusement, ces sacrifices ne lui permettront pas d’échapper au diagnostic de cécité : « Si rien n’est fait, poursuit-il, je serai sans doute aveugle dans cinq à dix ans. » Et c’est pour cela qu’il a décidé de créer son propre traitement. Nom de code de l’opération : OpenEYS.

Les rétinites pigmentaires - une étude de 2006 estime que plus d’un million de personnes dans le monde sont atteintes - sont des maladies génétiques. En dépit des nombreuses recherches dont elles font l'objet, elles sont toujours considérées comme incurables. Le type de rétinite pigmentaire dont souffre Chris est causé par une mutation du gène EYS. Chez les personnes saines, ce gène est responsable de la production de la protéine du même nom, qui a elle-même un rôle de protection des cellules nerveuses de la rétine. La manière dont la protéine EYS agit sur les cônes et les bâtonnets est encore mal connue, mais les mutations du gène EYS ont été associées aux rétinites pigmentaires à plusieurs reprises, chez l’homme comme chez le poisson zèbre, le cobaye préféré des généticiens.

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Chris travaille sur OpenEYS depuis un peu plus d'un mois. « Ce que nous allons faire, détaille-t-il, c’est modifier génétiquement des cultures cellulaires pour qu’elles fabriquent de la protéine EYS, faire croître ces cultures en cuve, purifier les protéines produites, puis les injecter dans l’oeil. (…) Nous sommes en mesure de procéder ainsi car l’EYS est naturellement sécrété en dehors de la cellule. Avec d’autres formes de mutations qui causent des rétinites pigmentaires, il aurait fallu bricoler à l’intérieur de la cellule. » Le jeune homme compare son traitement aux piqûres d’insuline des diabétiques : si le corps est incapable de produire de l'EYS, autant le lui fournir. Il estime qu’une injection tous les 6 à 18 mois pourrait suffire à le soigner.

Chris a déjà remanié son projet à plusieurs reprises. À l'heure actuelle, il prévoit de confier la production de l'EYS à des cellules rénales embryonnaires humaines qu'il aura modifiées à l'aide de l'outil de génie génétique CRISPR-Cas9. Dans l'idéal, l’administration de l’EYS sera réalisée à l’aide d’une injection intravitréenne - une piqûre dans le blanc de l’oeil. Une fois injectée, la protéine sera amenée et diffusée dans la rétine par un mécanisme encore indéterminé, peut-être « des détergents ou un système de nanoparticules. » En cas d’échec, Chris se rabattra sur une injection sous-rétinienne, une technique explorée dans le traitement expérimental d’un autre type de rétinite pigmentaire.

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« Si rien n’est fait, je serai sans doute aveugle dans cinq à dix ans. »

Le projet se déroulera en trois phases, explique Chris : preuve de concept, essais pré-cliniques, essais cliniques et scaling up. Toutes devront être conformes aux directives de l'Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) sur le développement thérapeutique ; le jeune homme tient à ce que son traitement soit approuvé officiellement. Il détaille : « Nous sommes actuellement sur la preuve de concept. Pendant cette phase, notre but est de montrer que le traitement est possible de manière aussi simple et économique que possible. » Il a prévu de démontrer la « capacité thérapeutique » de son traitement « quelque part au mois de juillet. »

Les premières expériences du projet doivent avoir lieu dans « un espace de travail aménagé dans [le] garage » de Chris. Objectif : montrer que son idée peut marcher en injectant de l’EYS achetée sur Internet dans les yeux de poissons zèbres dont le gène EYS aura été désactivé à l’aide de CRISPR-Cas9. S’ils sont couronnés de succès, ces débuts DIY lui permettront peut-être d’attirer des investisseurs qui lui ouvriront les portes de laboratoires adaptés ; là, il pourra tenter de produire sa propre EYS. En dépit des apparences, pas question de s’auto-administrer une mixture sortie de cuves installées à côté de la tondeuse à gazon. Ce qui n’enlève rien aux difficultés qui attendent OpenEYS.

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La plus grande faiblesse du projet est sans doute son propre créateur. Chris est scientifique mais il n’a aucune formation en génie génétique, en biologie ou en ophtalmologie : « Je suis le premier à avouer que je ne suis absolument pas qualifié pour faire ça », admet-il. Tout son plan repose sur les articles scientifiques qu’il lit sans relâche depuis quelques semaines. En dépit de sa rigueur et de sa motivation, ses bases sont instables.

Représentation d'une rétine atteinte de rétinite pigmentaire. Image : Internet Archive

La bonne nouvelle, c'est que Chris n'est pas seul. En ligne, son projet intrigue et fédère. Sur la catégorie scientifique du forum 4chan, des dizaines d'internautes participent aux threads dans lesquels il détaille ses progrès sous le pseudonyme « Genetic Eng ». Certains l'encouragent, (« Laisse tes rêves te porter »), d'autres s'occupent de la création du logo et du site officiel d'OpenEYS, d'autres encore proposent leur expertise. « J’ai été contacté par des biologistes, des mathématiciens, des physiciens, des chimistes, des informaticiens » s'émerveille-t-il. « L'intérêt et le soutien que j'ai reçus ont été incroyables et bien supérieurs à ce que j'attendais. J'avais prévu de tout faire en solitaire, (…) mais OpenEYS est devenu un projet open-source collaboratif ».

Chris a créé une page GitHub pour détailler les défis d'OpenEYS et organiser les efforts des bénévoles en conséquence. Il explique : « Tout le monde peut participer. » Les docteurs en génomique comparative sont les bienvenus, les experts marketing aussi ; OpenEYS aura plus de chances de réussir s'il retient l'attention de la communauté scientifique et du public. C'est une affaire de compétences, mais aussi de dollars. D’après les estimations de Chris, la seule phase de preuve de concept coûtera 15 000 dollars de matières premières et de matériel de laboratoire. Il projette de lancer une campagne de crowfunding pour l'aider à réunir cette somme quand il sera sûr que son projet n’a pas de « faille évidente ». Mais est-ce possible ?

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« On ne peut pas faire de cultures de cellules dans un garage »

Pour Thierry Léveillard, docteur en biologie cellulaire et moléculaire et directeur du département de génétique de l'Institut de la Vision, c’est clair : le projet de Chris est voué à l'échec. « C’est un problème garanti sans solution thérapeutique », explique le spécialiste, qui redoute un dérapage DIY aux conséquences dramatiques. « Il propose de la culture Internet, de la génétique Google. (…) On ne peut pas faire de cultures de cellules dans un garage, et il faut des gens qui savent faire. CRISPR, Cas9, les cellules embryonnaires, c’est Internet. Ce n’est pas réaliste. » En cas d'injection maison, ce sera les urgences ou la morgue, avertit-il. Il conclut : « Il y a des milliers de chercheurs qui essaient de trouver une solution à ce problème, certains frisent le prix Nobel. Je ne vois pas pourquoi ce serait lui qui réussirait. »

Max Bitan, ophtalmologue à Paris, est plus encourageant : « Il s’est mis dans la tête d’un chercheur avec la plus grande motivation et son intérêt est personnel, pas pécuniaire, explique-t-il par téléphone. Dans ces conditions, personne ne peut le condamner. Cependant, il faut beaucoup de moyens, de temps, de réflexion… » Et s’il tient à souligner qu’une injection intra-vitréenne peut facilement déclencher une infection, que la manière dont les protéines vont trouver leur chemin dans la rétine reste à découvrir et que Chris n’a pas de formation médicale, le docteur reste partisan du laisser-faire : « À partir du moment où personne n’a trouvé, (…) pourquoi pas ! »

Même du côté de son fief numérique, Chris ne reçoit pas que des encouragements. De nombreux internautes l’accusent de ne pas avoir les connaissances nécessaires pour comprendre les défis qui l’attendent. On devient pas généticien ou expert en pharmacodynamie en quatre semaines, même avec une formation scientifique. « Qu’est-ce que tu penserais d’un chimiste qui décide de publier un article sur la théorie M ? demande un anonyme sur 4chan. Tu es dans une position similaire, tu essaies de te lancer dans un champ pluridisciplinaire franchement complexe avec une faible connaissance de ses bases. (…) Même pour un chercheur de réputation internationale, ton but serait vraiment difficile à atteindre. »

Malgré tout, Chris est décidé. Il veut croire qu'il va réussir avec l'aide de ses pairs. « Je suis prudemment optimiste », affirme-t-il. « Beaucoup de gens, moi compris, désespèrent de trouver un traitement. » Beaucoup de gens ont essayé de trouver un traitement avant lui, également. Aucun n’a réussi.