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Culture

Changement de sexe : « parfois, la nature se trompe »

Quand sa petite soeur a annoncé vouloir devenir un garçon, le documentariste Christian Sonderegger a entrepris de filmer toutes les étapes de sa transformation. Interview.
Image tirée du film Coby (2018) / Ciao Film

À 23 ans, Suzanna, une jeune américaine a changé de sexe et est devenu Coby. Son demi-frère, le documentariste Christian Sonderegger, a filmé pendant un an la transformation de Suzanna en Coby, - et, aussi, celle qu’a connue leur famille, forcément impactée par ce changement. Son film, qui sort le mercredi le 28 mars prochain sur les écrans français, est d’une tendresse et d’une douceur saisissantes. À des années-lumière de l’atmosphère de souffrance et de violence que le cinéma associe trop souvent à la problématique transgenre.
Interview d'un réalisateur aussi lumineux que son film.

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Vice : Votre histoire familiale n’est pas simple. Pourriez-vous préciser quels sont les liens avec Coby ?
Christian Sonderegger : Je suis un enfant adopté, né sous X. J'ai vécu dans une famille alsacienne. À l'âge de trente ans, j'ai retrouvé ma mère et la famille qu'elle avait créée. C'est celle que l’on voit dans le film : ma mère, mon beau-père, et mes deux demi-frères, Coby et Andrew. Ces retrouvailles ont pris un peu de temps… Mais nous y sommes arrivés.

Donc, quand vous avez connu Coby, il n'était encore que Suzanna ?
C'était une petite fille de douze ans, un peu sauvage, avec un caractère fort, difficile à gérer, qui aimait courir dans les bois.

Se posait-elle, déjà, des questions à propos de son identité ?
Non, la question ne se posait pas encore. Suzanna a eu une enfance un peu particulière : elle a été élevée à la maison, sans aller à l'école. La stigmatisation des cours de récré lui a été épargnée. Elle mettait les habits de son grand frère, mais c'était par pure commodité.

Comment avez-vous réagit quand elle vous annoncé vouloir devenir un garçon ?
Je suis tombée des nues. Aujourd’hui, avec le recul, je vois des signes avant-coureurs, mais à l’époque, je ne me suis rendu compte de rien. D’autant que je connaissais peu le sujet. Depuis, j’ai beaucoup lu. Et j’ai compris que parfois, la nature peut se tromper. On parle d'opération contre-nature, mais c'est l'inverse : c'est une opération qui rétablit la nature.

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Et quelle a été la réaction de votre famille ?
C'est pour notre mère que cela a été le plus dur. Elle est même passée par des réactions violentes : elle a parlé de le mettre à la porte, puis de ne jamais l'appeler par un prénom d'homme. Il y a eu de grandes discussions familiales, dans lesquelles Sarah, qui était la petite amie lesbienne de Suzanna et l'a accompagnée dans tout son parcours, a joué un rôle déterminant. Du coup, elle s'est laissée convaincre.

À l’époque, toute la famille vivait dans un village du Middle West américain où tout le monde connaissait Suzanna. Comment sa décision a-t-elle été accueillie ?
Cela peut paraître étonnant, mais cela s’est très bien passé. C'est un village un peu réac, où beaucoup de gens ont sans doute voté Trump, mais ils ont été très compréhensifs. Suzanna a fait sa transition chez elle, et ça a été déterminant. Ce n'est pas comme d'aller à l'hôpital et d'en revenir ensuite transformé. Le fait de ne pas le cacher a bluffé les gens, et même, certains ont admiré son courage. Cette acceptation a sans doute aussi été liée à son métier : Coby est aujourd'hui infirmier urgentiste, il est donc intervenu souvent dans la vie des villageois. Je crois beaucoup à la proximité : de gens proches, on accepte beaucoup plus de choses.

Quand a germé l’idée de filmer tout cela et d’en faire un film ?
Coby me l'a proposé immédiatement. Mais au départ, j'ai refusé. Je craignais de tomber dans la téléréalité lourdingue et je ne voulais surtout pas de ça. Alors, j'ai attendu. Quand il a fait sa mastectomie, j'ai senti que c'était le moment. Coby avait posté 85 vidéos sur youTube, où il racontait et détaillait sa transformation. J'avais ce matériel - que j'ai d'ailleurs utilisé très différemment de ce que j'avais prévu. Nous avons filmé en 2015, pendant un an, d'un hiver à l'autre. Le film démarre quand l'eau est devenue de la glace, puis elle redevient de l'eau l'été. J'aimais bien cette idée qu'elle aussi change d'état et pourtant reste de l'eau.

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Le tournage a-t-il eu une influence sur votre famille ?
Ça a été une traversée du miroir. Mon chef opérateur, Georgi Lazarevski, a lui aussi senti que quelque chose s'était libéré, qu'une tension avait été évacuée et que l'amour avait grandi entre Coby et nous. C'était important de raconter une histoire familiale et de montrer que l’on peut être heureux même à travers ce genre de parcours et pas forcément seulement dans la souffrance. On attend toujours beaucoup trop que les changements viennent de la société. Mais il ne faut pas aller trop vite : ils viennent d'abord des proches et de la famille.

Vous travaillez à mi-chemin entre la fiction et le documentaire. Beaucoup de scènes sont écrites ?
Tout était écrit au départ. Puis, la réalité est venue s'imposer. Ainsi, je n'ai pas utilisé les vidéos youTube de Coby comme je pensais le faire au début. J'ai travaillé avec la monteuse d'Abdellatif Kechiche, Camille Toubkis, et il en est sorti quelque chose de très différent. La scéne dans le magasin de bonbons a été mise en scène, j'ai fait vider le magasin. La situation était très métaphorique. La discussion entre Coby et Sarah a été provoquée, comme 90 % du documentaire. Il n'y a que quelques séquences qui sont spontanées, comme celle du ramonage de la cheminée.

Il n’y a aucune image de l’opération chirurgicale. Est-ce un choix artistique ou une question de droit ?
J’ai filmé l’opération. Mais je ne voulais pas la montrer, ça ne me paraissait pas pertinent. Mon idée était de partir du corps pour illustrer un changement spirituel. Il n'y a pas que l'apparence qui change, mais ce qu'est profondément Coby, le regard de sa famille sur lui. Rien de cela ne se réduit à la technicité d'une opération.

Coby, Christian Sonderegger (Ciao Film). Sortie le 28 mars.