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santé mentale

J’ai testé la psychothérapie à distance

C'est quelque chose de récréatif et relève presque du jeu de rôle, puisqu’elle offre la possibilité d’extérioriser ses démons à visage couvert.
Ma thérapie à distance
Photos: Brice Dossin 

Pendant un peu plus d’un an j’ai été suivie par un psychiatre pour des troubles anxieux et une dépression sévère, qu’il m’a lui-même diagnostiqués. Choisi à la volée sur Doctolib en raison de sa proximité géographique avec mon appartement, notre relation fut un échec. Peu à l’écoute et prompt au jugement, je suis parti dès que j’ai pu. D’une nature introvertie, j’avais eu du mal à établir un dialogue avec lui. Après avoir eu une ébauche de psychanalyse dans le cadre glauque de sa minuscule salle de consultation, l’idée même de me retrouver face à un nouveau psy relevait de la torture.

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Pour mettre un peu de distance entre mon futur sondeur et moi, j’ai donc pensé à la thérapie à distance, une technique très répandue aux Etats-Unis. Tarifs abordables, virtualité, confidentialité et accessibilité sont les raisons pour lesquelles des milliers de gens se tournent de plus en plus vers des sites comme TalkSpace (500 000 utilisateurs dans le monde) et BetterHelp (150 000 au Royaume-Unis) pour recevoir de l’aide.

Dans ma quête de l’interlocuteur parfait, j’ai découvert qu’il existe plusieurs sites francophones qui proposent d’échanger « en toute confidentialité » avec un médecin/thérapeute diplômés et reconnus par la profession par e-mail, par téléphone, via Skype ou par chat. J’ai décidé d’aborder différents aspects de mes pathologies, en passant par trois de ces plateformes et en en parlant avec trois spécialistes distincts pour voir si payer 80 euros toutes les semaines chez un vrai psychologue est inutile.

CONSULTATION PAR MAIL – 20 EUROS (LE MAIL)

Le premier psy déniché sur Communautel.fr, propose d’échanger par mail. Chaque mal est payant, bien sûr. En ratissant par années d’expérience et par prix, je retiens le docteur Elisabeth Seminati. Psychanalyste et sophrologue, elle se définit comme « humaniste », ce qui me rappelle avec ennui la période où j’étudiais Rabelais et la Pléiade en fac de Lettres. Pour 20 euros, elle me promet de faire une analyse approfondie de mon profil psychologique. L’offre est séduisante. Je me lance, assise devant mon ordinateur. Je tape mon message dans la rubrique « mes questions » : Je m’appelle Alexandra, je suis dépressive mais je me soigne. J’ai fait un tour en hôpital psychiatrique et depuis, tout me semble plus hostile que jamais. Je veux sortir du tourbillon de mes idées noires, mais j’ignore comment faire.

La réponse devrait tomber sous 48 heures. Je la reçois en trente minutes. Sous un format des plus concis, elle me paraphrase sans s’embarrasser d’une analyse approfondie. Elle m’appelle par mon prénom, à plusieurs reprises, probablement pour donner un air individualiste à sa réponse. Le ton reste sec. Elle m’encourage à continuer mon traitement médicamenteux, seul moyen de me maintenir à flots, et à retourner en séance avec un psychiatre pour me « permettre de retrouver la joie de vivre ».

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À 20 euros le mail, c’est léger. À vrai dire c’est à peine un échange. J’ai l’impression de me faire sermonner par ma mère ou ma maîtresse d’école après avoir séché les cours. L’absence de compassion est totale. Sans compter qu’avec un e-mail, il est difficile d’entrer dans les détails et de dresser un portrait du patient comme on peut le faire en face-à-face. Le procédé a quelque chose du travail à la chaîne, on est un client parmi tant d’autres. Pas la peine d’espérer une suite. Un malus pour une webthérapie froide et formelle.

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45 MINUTES PAR TÉLÉPHONE – 60 EUROS

Mon prochain psychologue dématérialisé est spécialisé, entre autres, dans les problèmes de sommeil. Il a également souhaité rester anonyme mais il me semble parfait pour tenter de mieux comprendre mes insomnies, au cours d’un échange téléphonique de trois quarts d’heure. Dans le descriptif de sa page internet, il explique qu’il croit fortement aux bénéfices de la psychanalyse par téléphone. Étonnant. « Parler de ses émotions et dévoiler ses secrets n’est pas facile quand on sent, consciemment ou inconsciemment, que quelqu’un vous observe. Or cette peur disparaît avec la psychanalyse par téléphone, ce qui la rend parfois même plus efficace que la psychanalyse classique ! » dit son site internet. Il me téléphone avec dix minutes de retard sur l’heure de notre rendez-vous, mais m’accueille chaleureusement. Alors je lui explique que je dors mal et que mon sommeil est perturbé, que j’ai essayé pléthore de solutions, en vain.

La conversation s’engage, il m’écoute avec attention et rebondit vivement sur mes déclarations. J’ai presque l’impression d’être dans son cabinet, alors que je suis assise sur mon lit, en pyjama. L’absence de contact visuel fait disparaître mes inhibitions et je me surprends à me confier à cœur ouvert à cet inconnu à l’autre bout du fil. On parle de ma famille, de ma vie à Paris et des conséquences que l’éloignement a pu avoir sur mon subconscient. Il ne m’éclaire pas plus que ça sur les raisons qui me poussent à ne pas dormir mais me donne des pistes de réflexion. Avant que je ne m’en rende compte, la séance est terminée, il me demande à quel nom il doit adresser la facture Paypal et tente de placer un nouveau rendez-vous dès la semaine prochaine. Il me signale qu’il a une vingtaine de patients par jour, ce qui sous-tend qu’il n’a pas de temps à perdre avec des indécis.

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L’expérience téléphonique en elle-même est une alternative intéressante, pour les non adeptes du contact humain et les gens qui ont la flemme de se déplacer voir un psy en cabinet. L’écoute est relativement bonne, les blancs sont rares, l’échange est vif et l’analyse comportementale qui incombe aux séances en face-to-face est obsolète. C’est comme laisser un message en anonyme sur un forum. Pas de visages, juste un échange de mots. À vrai dire, je ne lui ai même pas donné mon nom. Si on se sent vraiment confortable, ça s’assimile aisément à une discussion amicale. Qui plus est, 45 minutes est une durée convenable. Ni trop long, ni trop court. Juste suffisant pour poser les bases d’une psychanalyse. Le hic serait sans doute le prix : 60 euros contre 30 pour d’autres télépsychanalystes qu’on peut trouver sur le net.

FACE À FACE SUR SKYPE – 58 EUROS

Mon dernier psy à distance est un thérapeute en relation d’aide basé au Canada. Il a l’air sympathique. J’obtiens rapidement un rendez-vous. Via Skype je lui raconte que je suis incapable d’aller vers l’autre et que j’ai du mal à faire confiance. Le début de la consultation me met mal à l’aise, il me fixe. Mon regard se balade. De son accent québecquois très prononcé, il me rassure en me disant qu’on va développer une approche relationnelle et que tout va bien se passer. « C’est pas mon cerveau qui t’accompagne, c’est moi au complet. Quand je vais te voir je vais être content de te voir ». Il me tutoie aussitôt. Pour me mettre à l’aise. Ça ne fonctionne pas. Pourtant il y a dans son sourire encadré de fossettes quelque chose qui se veut réconfortant. Il met en avant son produit : « Que ce soit dans mon cabinet ou par Skype, quand la personne est engagée dans sa thérapie, ça fonctionne de la même façon ». Évidemment.

Pendant une heure, on échange sur les problématiques et les traumatismes de ma vie qui m’ont poussé à me fermer comme une huître. Il m’accorde même quelques minutes supplémentaires après l’heure pour me faire part de son empathie. A l’issue de la consultation, il est investi dans notre relation, on est amis. Quelque chose me dit que ça pourrait fonctionner entre nous, si je lui laissais une chance. Mais cet écran qui nous sépare crée, pour ma part, une crispation trop difficile à outrepasser. Je lui dis au-revoir, la boule au ventre.

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Une heure les yeux rivés sur un écran, face à un inconnu qui ne nous quitte pas du regard, c’est long. Très long. Il essaie de sonder mon âme et de repérer mes faiblesses. « Je vois sur ton visage que tu en souffres », dit-il en penchant légèrement la tête. L’approche est trop intimiste. Pas idéale lorsque l’on vient exposer ses problèmes relationnels. Cependant l’écoute est optimale, l’analyse est pertinente. A la fin de l’entrevue j’ai le sentiment d’avoir été éclairée sur bon nombre de choses et je me sens prête à envisager de les accepter comme vérités.

Si l’échange bref de mails n’a pas été concluant pour ma part, je dois dire que les deux autres méthodes ont été satisfaisantes et peuvent sensiblement porter leurs fruits si le suivi du patient est approprié. De toute évidence, je n’allais pas régler mes problèmes existentiels en une séance et il est par conséquent impossible d’établir un constat global. De surcroît, chacun est libre de préférer l’alternative qui lui convient, et les misanthropes préfèreront sans doute une approche plus lointaine, plus impersonnelle, sans visage, peut-être même sans voix.

La (psycho)thérapie à distance a quelque chose de récréatif et relève presque du jeu de rôle, puisqu’elle offre la possibilité d’extérioriser ses démons à visage couvert. Comme si on dissociait les troubles de la personne. Pour autant, il ne faut pas minimiser les bienfaits qu’elle peut apporter à une personne en situation de crise, qui aurait absolument besoin de consulter et se refuserait à aller en cabinet pour une raison quelconque. Et puis, à en croire les spécialistes en la matière, les bénéfices sont les mêmes à distance et en présentiel si le travail est bien fait et que l’investissement des deux parties est total. Pourquoi ne pas leur accorder le bénéfice du doute et se laisser tenter par l’expérience ?

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