Avec les vignerons qui font vieillir le vin dans des grottes
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Avec les vignerons qui font vieillir le vin dans des grottes

En Ardèche, à la découverte de ceux qui font bonifier leur pinard dans les entrailles de la Terre.

La camionnette est lancée sur une route particulièrement sinueuse. J'ai toujours le vin du déjeuner sur l'estomac qui n'apprécie pas du tout les virages serrés. Le sol rocheux brillant à l'extérieur me fait mal aux yeux et, comme on peut s'y attendre, la clim' ne marche pas. Il suffirait que quelqu'un ait la bonne idée d'introduire un vague concept d'exercice physique pour que je tombe dans les pommes.

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Je suis en Ardèche, juste à la frontière où le sud de la vallée rencontre le nord du Rhône. C'est un pays de Syrah. En amont du fleuve, on trouve des appellations comme Cornas, Hermitage ou Saint-Joseph. En aval, plutôt du Grenache. C'est là aussi que sont les terres d'un des vins les plus connus, le Châteauneuf-du-Pape.

Les vignobles de Notre Dame de Cousignac.

Arrivés à destination, je fais la connaissance de Raphaël Pommier, un fermier-vigneron de la septième génération installé à Notre Dame de Cousignac. Il enfile sa salopette un peu trop gaiement à mon goût – il fait quand même 40,5 °C aujourd'hui et c'est le dernier truc que j'ai envie de faire.

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« Il fait beaucoup plus frais là où l'on va », me rassure Raphaël d'un clin d'œil. On est à l'entrée de la Grotte de Saint Marcel d'Ardèche. Il s'agit d'une cave de près de 60 km de galeries, découverte en 1836. Pommier embarque deux bouteilles de vin et une caissette de verres à pied dans son sac à dos jaune. Remplir son sac de bouteilles en verre quand on va faire de la spéléo, c'est évidemment l'idée du siècle.

Dans le sac de Raphaël Pommier.

« On va faire de la spéléœnologie », annonce-t-il. « On a décidé d'explorer notre terroir autrement. Nous avons de très belles grottes ici en Ardèche, grâce au sous-sol calcaire. Un jour, j'ai eu l'idée de faire vieillir mon vin dans l'une d'elles. »

Près de l'entrée de la grotte.

Descendre des tonneaux entiers et des centaines de bouteilles de vin dans une grotte naturelle, ça ne doit pas être une sinécure. « L'ascenseur est tombé en panne après quelques allers-retours. C'est là que ça a commencé à être difficile », reconnaît le vigneron.

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« L'idée est d'explorer le terroir par en bas. En général, quand on visite un vignoble on visite les vignes, ce qui est très intéressant. Mais c'est tout aussi intéressant d'aller là d'où provient le goût. »

Le matos du testeur de pinard.

« N'enlevez jamais vos casques », avertit le guide, Gabriel. Le début de la descente est plutôt facile. Une ballade pour touristes que j'aurais probablement pu faire avec un enfant de cinq ans. Après une sorte d'escalier interminable, on débarque devant une cavité splendidement éclairée.

« On va rentrer dedans », indique Gabriel, pointant du doigt un long tunnel sombre. « Tu as pris d'autres chaussures, hein ? » me demande-t-il. Pas du tout. Personne ne m'avait prévenue en fait. « Certaines zones sont très glissantes donc si tu préfères, assieds-toi et avance en glissant. » Je commence à me dire que ce n'est pas du tout le genre d'activité qui correspond à une séance de dégustation d'alcool.

Le guide, Gabriel.

« La grotte est un bon endroit pour goûter le vin », assure Raphaël. « Beaucoup d'agriculteurs venaient explorer le coin pour s'amuser le week-end. Ils rapportaient du vin à chaque fois pour boire un coup en bas. Ils descendaient plusieurs caisses et laissaient ce qu'ils n'avaient pas bu pour ne pas avoir à se coltiner les bouteilles en remontant. Au bout d'un moment, ils se sont rendu compte que le vin laissé là s'était bonifié. »

De temps en temps, on distingue de gros rochers qui se sont décrochés du plafond. Je réalise que face à ça, nos casques ne sont que de la déco.

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On abandonne l'itinéraire touristique en s'enfonçant plus profondément dans la grotte. Quelques tournants plus tard, l'obscurité est totale. Les lumières frontales de nos casques ne parviennent plus à éclairer la grotte. De temps en temps, on distingue de gros rochers qui se sont décrochés du plafond. Je réalise que face à ça, nos casques ne sont que de la déco.

À certains endroits, les parois sont recouvertes de toutes sortes de coquilles de crustacés. Quand on pense à la notion de terroir, on se dit que ce sont dans ces caves de calcaire vieilles de milliers d'années que réside tout le potentiel aromatique d'un vin.

Des crustacés encastrés dans les parois de la grotte.

« En France le terroir, ce n'est qu'un cépage », continue Raphaël. « Le Grenache par exemple va avoir un goût spécifique à cette variété. Mais un Grenache cultivé ici n'aura pas le même goût qu'un Grenache du sud du Languedoc par exemple. L'environnement n'est pas le même. En tant qu'exploitant bio, si je prends en compte le terroir, je peux ajouter une déclinaison de goût particulière à mon cépage. »

Raphaël produit son vin en agriculture biologique. Pour lui, cet engagement va avec la notion de terroir : « Quand tu fais un vin en bio, tu prends en compte tout l'environnement autour de tes vignes. C'est par cette approche-là qu'on a un terroir. »

On est à un petit kilomètre de l'entrée. On glisse dans plusieurs descentes, on se serre dans quelques goulots et on traverse des galeries gigantesques. Dans l'un de ces couloirs étroits, avec un à-pic impressionnant, je me sens mal. Rien n'est prévu pour me retenir d'une éventuelle chute qui casserait tous mes os. Heureusement, je ne me suis pas cassé la gueule.

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Pommier goûte le vin dans le noir.

On arrive finalement dans une sorte de cave et Raphaël annonce, « Allez, on va déguster ce pinard. » Enfin ! Il verse le vin et demande à tout le monde d'éteindre sa lampe frontale. Cette obscurité est ultra flippante. Je ne suis pas claustro d'habitude mais là, je l'ai été quelques instants. Je pense que si on pouvait déguster du vin dans l'espace, ça ressemblerait à ça. Un peu comme un caisson d'isolation sensorielle rempli de vin.

J'ai l'impression de mieux distinguer le fruit. Le liquide semble aussi plus frais mais ce n'est pas qu'une question de température.

On goûte d'abord le vin de Raphaël qui a vieilli dans les caves de son exploitation. Doux, épicé, et sans sceau à l'horizon. On l'avale sans autre forme de procès. Le second vin est baptisé Vinolithique. Il s'agit du même vin que le précédent, sauf qu'il a vieilli ici, dans la grotte. On le hume. Raphaël rallume ici sa lampe et la seule chose que j'arrive à distinguer dans l'obscurité, c'est son petit sourire. « Alors, vous en pensez quoi ? »

Du vin de grotte.

J'ai l'impression de mieux distinguer le fruit. Le liquide semble comme plus frais. Mais je n'arrive pas à me l'expliquer. Ce n'est pas qu'une question de température.

« Les vignes adorent le soleil, mais pas le vin. Le vin n'aime pas les extrêmes ni les changements de températures. Dans la grotte, ça ne change jamais. Il fait toujours 13 °C et 87 % d'humidité et il fait toujours sombre. Pour le vin, c'est parfait. »

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Un réservoir en ciment dans la cave de l'exploitation.

Mais ce n'est pas que ça. « Dans la grotte, il y a aussi beaucoup de dioxyde de carbone. C'est pour ça que tu avais la tête qui tournait tout à l'heure. Ici, le dioxyde de carbone vient lentement se mélanger au vin en passant par le bouchon des bouteilles ou le bois des tonneaux. Ça ajoute naturellement de l'acide carbonique, ce qui donne un goût plus frais et plus fruité. »

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En bref, c'était plutôt cool de se la jouer Jules Vernes pour aller siroter du vin au centre de la Terre. Mais être dans une grotte n'est pas mon kif et je suis vite sortie quand le moment est venu de remonter. Une fois dehors, j'étais déconcertée. Je ne m'y attendais pas du tout mais Raphaël semble tenir là une bonne idée. Ce qui a commencé comme une sorte de petite expérience est d'ailleurs en train de devenir une vraie technique. Ici, dix vignerons mettent maintenant leur vin à vieillir dans la grotte.

« Être bio, c'est être dans la nature, c'est être au centre de cette création. Si un artiste n'a pas d'inspiration, il ne va rien créer d'intéressant. Ici, entouré de cet environnement exceptionnel d'Ardèche, j'ai toute l'inspiration qu'il me faut pour faire de bons vins. »