Jean-Philippe Carp
Culture

En l’immortalisant nu, le photographe belge Elie Carp redécouvre son père

« Il était très chaud qu’on crée ce projet ensemble. Je lui disais : “Viens, on fait une photo à poil” et il enlevait son pantalon en mode : “Allez”. »
AL
Brussels, BE

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Autant à l’aise à l’idée de photographier les éléments de la nature que des mises en scènes oniriques ou des visages familiers tels que les gars du 77 ou Zwangere Guy, Elie Carp (27 ans) a récemment entamé un projet photo plus intimiste avec son père. À travers la nudité de celui-ci, le jeune photographe formé à l’Ecole de Recherche Graphique tisse une nouvelle forme de relation père-fils.

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VICE: Salut Elie. D’où te vient l’idée de cette série photo ?
Elie : Le projet a concrètement commencé il y a un un an. L’idée me trottait en tête depuis tout jeune car mon père m’a apporté énormément de choses. C’est une personne atypique. Je voulais garder une trace concrète de lui. Quand j’avais 18 ans, il a eu un premier cancer. Puis j’ai commencé à prendre des photos de lui par-ci, par-là, de manière sporadique. Je voulais ensuite faire un vrai projet, avec un fond, un propos ; créer une histoire autour de lui, qui le représente de manière authentique. Je n’ai jamais eu un lien aussi fort avec quelqu’un qu’avec mon père. J’ai une certaine admiration pour lui.

Où ont été prises les photos ?
Certaines ont été faites chez mon père ; il habite à la campagne, en France, près de Paris. D’autres ont été prises sur une île qui s’appelle Noirmoutier. On s’y rend fréquemment car c’est l’un des endroits préférés de mes parents. En réalité, c’est là que tout a commencé, je me suis dit que ce lieu le représentait assez bien et que j’allais commencer un projet sur lui.

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Pourquoi le projet s’appelle « The Man from the Sky » ?
Parce que mon père me dit souvent que je suis son « fils du ciel ». Du coup, j’ai repris cette phrase. Avec l’expression « L’homme du ciel », il y a aussi ce truc qui rappelle le spirituel. Mon père est athée mais il croit en quelque chose quand même ; qu’il y a un truc, une énergie. Du coup ça colle bien, ça frappe même.

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T’as dû convaincre ton père d’accepter de faire ces photos nues de lui ?
Non, pas du tout. Il était très chaud qu’on crée ce genre de projet ensemble. On le faisait pour moi mais, au final, on l’a développé à deux. Il me proposait des idées. Il m’a simplement dit : « fonce ». Il n’était pas très pudique. On a un lien très franc et ouvert avec mon père, il ne met pas de frein sur ce qu’il ressent et il ne cache pas ses émotions. C’est super agréable car il me donne vraiment tout ce qu’il a. Je n’ai pas besoin d’aller soutirer quoi que ce soit. C’est vraiment cool.

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C’était pas un peu gênant ?
Qu’il soit à poil ? Non vraiment pas. Je lui disais : « Viens, on fait une photo à poil » et il enlevait son pantalon en mode : « Allez ». Après je pense que si quelqu’un d’autre lui demandait, ce ne serait pas pareil.

Ton père était chef décorateur dans le monde du cinéma. Il a eu une influence artistique sur toi ?
J’ai l’impression ouais, mais inconsciemment. Il a fait ce métier pendant trente ans. En 1992, quand j’avais 6 mois, on est partis à Los Angeles après qu'il ait gagné un César pour le film « Delicatessen » de Jean Pierre Jeunet. Grâce à lui j’ai vu mes premiers films et mis les pieds sur les premiers tournages très jeune. Il ne m’a jamais poussé dans l’une ou l’autre direction, mais je pense que l’environnement dans lequel j’ai grandi m’a permis d’avoir une certaine fibre pour ça. J’ai eu la chance de grandir dans une sphère culturelle très ouverte.

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Que retires-tu de cette collaboration avec ton père ?
L’importance d’être quelqu’un d’entier, qui aime les gens, mais qui apprend à s’aimer soi-même en premier. Mon père a eu une vie très compliquée. Son père a été déporté à Auschwitz quand il avait six mois et sa mère s’est suicidée quand il avait trente ans. Même à travers ça, il a toujours été quelqu’un de très humain et sincère. Un peu trop parfois. Il m’a appris à toujours rester bienveillant et avoir de bonnes intentions.

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T’as d’autres projets à venir ?
« The Man from the Sky » est un projet qui ne sera jamais vraiment terminé. Je continue à faire des photos. Mon père écrit ce qui lui passe par la tête donc je voudrais combiner ses textes à mes photos pour faire une édition. J’aimerais aussi faire un voyage en Corse avec lui et le filmer pour qu’il me raconte sa vie tout le long, qu’il s’exprime sur lui-même, ses pensées et ses peurs. Si ça se fait, j’aimerais faire une expo avec tout ça.

Pour l’instant, je photographie aussi des couples chez elleux. Je pose un drap blanc sur leur lit, je leur donne de la peinture noire et blanche et je les laisse seul·es un quart d’heure, pendant lequel iels se peignent l’un·e l’autre. Je reviens ensuite et je prends des photos. Je veux faire ressortir le lien sensuel qu’iels ont, à travers la peinture. Cela crée un moment un intime, où iels se redécouvrent. C’est assez compliqué de trouver des couples chauds. Je cherche encore des personnes intéressées, qu’iels soient jeunes, vieux, hétéros, gays, peu m’importe.

Suivez le travail d'Elie sur Instagram.

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