Rien de tel pour se faire du mal qu'un week-end à l'Atonal
Photo - Camille Blake

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Rien de tel pour se faire du mal qu'un week-end à l'Atonal

L'édition 2017 du festival electro-dark-noise-indus berlinois nous a rappelé qu'il fallait définitivement compter sur Errorbeauty ou l'incroyable collaboration entre Shackleton et Anika, et définitivement oublier Powell et Puce Mary.

Suivre Berlin Atonal suppose d'être bien préparé, physiquement et moralement : s'immerger cinq soirées de suite, en plein mois d'août, dans un flot musical constitué à 90% d'électronique sombre et/ou expérimentale ne correspond en effet pas forcément à l'idée que l'on peut se faire du bonheur estival – ni du bonheur en festival, d'ailleurs – et ne s'appréhende pas à la légère. Aménagé dans l'enceinte d'une ancienne centrale électrique, le théâtre des opérations, (très) imposant et austère, ajoute encore à la noire intensité de la chose.

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Assez vertigineux, l'espace principal répond au doux nom de Kraftwerk (si ça vous rappelle un truc, c'est normal) et s'apparente à une ode architecturale au béton armé. C'est là que sont présentés les principaux concerts, pour la plupart assortis de créations visuelles (plus ou moins créatives…) projetées sur un écran évidemment plutôt grand. Dans un recoin se trouve la Schaltzentrale, une petite salle rétro-futuriste dédiée tout entière à la gloire du synthé modulaire. Elle fonctionne – en mode planant – jusqu'à minuit environ et fait office de parfait chill-out.

Quant aux réjouissances les plus dansantes, mordant ardemment sur le matin, elles se déroulent dans deux clubs encastrés dans le bâtiment : le Tresor, légende vibrante, et le Ohm, mini mais très mimi. A l'attention des claustrophobes, précisons qu'il est aussi possible de faire une pause à ciel ouvert, en bordure du bâtiment, dans l'improbable havre de verdure aménagé au sein de ce paysage industriel.

Photo - Camille Blake

Bon, en dehors des lieux, que retient-on au final de ce marathon ? Pas trop les installations et autres projections, disséminées dans la Kraftwerk et censées conférer au festival une plus-value arty, le panel de cette édition ayant paru d'un intérêt assez limité. De manière générale, la scénographie gagnerait à être davantage repensée d'année en année. S'agissant de la musique, on a, comme lors des éditions précédentes, l'impression d'être aspiré dans un immense vortex oscillant gaiement entre dark-ambient, electro-indus et technoise en passant par les diverses nuances intermédiaires. Autant dire que l'ambiance n'est pas exactement à la ribouldingue échevelée et que, au bout de trois jours d'un tel régime, on éprouve une énorme envie de réclamer du zouk (ou du coupé-décalé) à hauts cris mais on se calme et on boit frais en attendant l'extase – qui finira par survenir.

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De tout le magma sonore déversé dans le cerveau pendant le festival émergent plusieurs temps forts, par exemple Oratorio For The Underworld, envoûtante pièce électronique pleine de reliefs conçue par Pyur (alias l'Allemande Sophie Schnell) et présentée ici en première mondiale. Se détachent aussi l'ambient granuleux du duo féminin espagnol LCC, superbement mis en valeur par les images (façon cinéma expérimental vintage) du Portugais Pedro Maia, et la frappante techno bruitiste de la Japonaise Lemna, si menue qu'on la distingue à peine derrière son laptop (et on n'aime pas exagérer, hein).

Roll The Dice. Photo - Camille Blake

Côté live, citons encore la techno rigoriste et abrasive du mystérieux nouveau duo Belief Defect (dont sort cette semaine le premier album chez Raster), les paysages sonores magistralement fracturés – voire fracassés – du duo suédois Roll The Dice, l'électro grinçante du duo allemand Hypnobeat (James Dean Brown + Helena Hauff), le hip-hop mâtiné d'acid-jazz du duo nippon The Lefty (une vraie bouffée de fraîcheur) ou la techno vindicative et festive du duo italien Crossing Avenue, judicieusement programmé à 6h du mat'.

Présenté en première mondiale, dans la foulée de leur album commun récemment paru, et particulièrement attendu, le live de Shackleton et Anika mérite une mention très spéciale : sans conteste l'exploration électronique la plus ambitieuse et singulière du festival, embarquant le public dans un fascinant flux bigarré aux reflets orientalisants, magnifié visuellement par le susnommé Pedro Maia (à suivre de près) et le peintre/cinéaste allemand Strawalde.

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Shackleton & Anika. Photo - Camille Blake

Quelques baisses de tension sont aussi à signaler dans le programme live. Les stakhanovistes bruitistes de Wolf Eyes ont, par exemple, livré une prestation poussive, à peu près aussi exaltante qu'une curry wurst tiède et molle. La rencontre supposément au sommet entre Powell et Wolfgang Tillmans n'a pas non plus fait de grandes étincelles, tant sur le plan audio que sur le plan visuel, nous confortant dans l'idée que Powell est l'un des types les plus surestimés de la sphère musicale actuelle, juste derrière Oneohtrix Point Never. Nettement plus dense et secouante, la rencontre entre Main et Regis a néanmoins un peu déçu, produisant un choc sonore indéniable mais assez prévisible. Quant au concert de la Danoise Puce Mary, figure montante de la scène noise-indus, on peut le résumer ainsi : beaucoup de pose (et de headbanging) pour vraiment pas grand-chose…

Main & Regis. Photo - Helge Mundt

Terminons en évoquant quelques-uns des DJ-sets les plus marquants. Entre électro-pop et new-wave, celui de Mark Reeder – activiste au long cours de la scène berlinoise (il est le narrateur de l'excellent documentaire B-Movie : Lust & Sound in West-Berlin 1979-1989) – a fait particulièrement plaisir à entendre et à voir, le gaillard ne cachant pas son plaisir d'être aux platines. Moins souriant, Richard Fearless a effectué un mix sans peur et sans concession dans le sous-sol du Tresor (soit l'épicentre historique de la techno à Berlin), de pulsations sourdes en boucles vrillées. Restent également bien en mémoire le DJ-set de l'Allemand Skratch, orienté dubstep/bass music, et celui du Français Iueke, superbe exemple de sculpture sonore aventureuse et anguleuse.

Richard Fearless. Photo - Michal Andrysiak

Enfin, notre palme du DJ-set le plus renversant de ce Berlin Atonal 2017 est décernée haut la main à Errorbeauty, la jeune Bulgare ayant littéralement atomisé le sous-sol du Tresor avec un mix de près de cinq heures, souvent au bord de la techno hardcore et constamment hallucinant de puissance et de précision : une performance phénoménale, achevée en fin de matinée et acclamée par les derniers survivants du dancefloor, totalement épuisés mais absolument électrisés.