Comment j'ai failli perdre la vue au festival Visions (sans mauvais jeu de mots)
Photo - Julio Ificada

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Comment j'ai failli perdre la vue au festival Visions (sans mauvais jeu de mots)

Parce qu'il n'y a pas que les journalistes dans la vie, on a demandé un deuxième compte-rendu du festival Visions à un musicien programmé à l'affiche, Marc-Aurèle Baly du duo Les Hôpitaux.

Plus je vieillis, plus j'ai du mal avec « l'expérience festival ». Très honnêtement, si je pouvais, disons, tolérer il y a encore quelques années la perspective de me retrouver dans une tente Quechua à passer trois jours avec des types qui gueulent « apéroooo ! » dès que le jour se lève tout en me farcissant des groupes à la chaine dans le froid, la boue ou en descente de n'importe quoi, le fait de savoir désormais pertinemment que je devrai faire une croix sur toute notion d'hygiène, de sommeil et de respect de ma propre personne en mettant les pieds dans ce genre d'endroit suffit aujourd'hui à me refroidir.

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Et même si je n'approche dangereusement « que » de la trentaine, disons que j'ai de plus en plus l'impression d'avoir passé l'âge pour ce genre de conneries – ou peut-être que je suis juste parisien et que j'aime me plaindre pour à peu près tout et n'importe quoi.

Mais cette année, c'est différent. Déjà parce que je me rends à Visions, qui est le genre de festival où absolument tout est justement fait pour que les oublis de dignité, d'hygiène et de sommeil susmentionnés passent comme une lettre à la poste. La plage est au pied du camping (qui lui-même est à l'entrée du festival - que demande le peuple ?), les concerts face à la mer donnent envie de se perdre dans cette étendue de bonne humeur et de bien-être (oui, vous avez bien lu) dispensés aussi bien par les organisateurs que par tout le monde, et la prog' réussit l'exploit de marier techno et noise music radicale dans un décor de carte postale. Ah oui, et en plus, détail non négligeable, mon groupe était invité à jouer cette année. Ce qui augmente le ratio excitation-adrénaline-stress d'à peu près 250 %, surtout quand cette année l'affiche se compose de pas mal de vos plus grosses influences, du genre Wolf Eyes ou Esplendor Geometrico. Pas évident quand on a de l'asthme et qu'on fait de l'hypertension – ok, là j'en rajoute, mais à peine.

Jour 1 : Ambitions à la hausse

On a souvent tendance à comparer les éditions quand on se rend à un festival deux ans d'affilée. L'envie de retrouver ce qui a fait le sel de la fournée précédente nous fait invariablement noter les points positifs d'avant et voir si on pourra les retrouver cette fois-ci. Mais cette année, ce qui frappe avant tout est que le festival a franchi un palier, disons, « radio-friendly », malgré sa prog' bien plus radicale que l'année dernière. La jauge a visiblement augmenté, on y voit un peu moins de Parisiens que l'année dernière, et un peu plus de ces spécimens qu'on trouve dans tous les festivals, à l'image de ce mec en pull Asics lors du tout premier concert (un truc noise-indus plutôt de bonne tenue mais dont j'ai oublié le nom), déjà torché comme pas permis, littéralement « à la dérive » dans la foule, et qui ne tient visiblement sur ses deux jambes que parce que le périmètre sur lequel il se tient est tellement rempli de personnes qu'il serait physiquement et scientifiquement impossible que le mec s'étale par terre.

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Un autre signe qui ne trompe pas : le set de gabber vilain-génial de Maison Acid sur le parking de l'année dernière a été remplacé par un photomaton-karaoké intitulé la Douch'Box, dans laquelle on peut reprendre en gueulant comme des sourds des tubes de Sting et de New Order – mon name-dropping est ici tout à fait hasardeux, je ne garde qu'un souvenir très vague de ce truc-là.

Moor Mother

Le premier soir, le concert de Moor Mother est de très loin la chose la plus consistante à se mettre sous la dent. On m'a tellement parlé de l'apathie du public de la Gaîté Lyrique où elle se produisait au festival Loud & Proud il y a quelques semaines que je m'attendais à assister à un de ces concerts où l'artiste se démène tant bien que mal pour divertir un public complètement amorphe qui se demande ce qu'il fout là. Heureusement, on est dans le Finistère, pas dans une salle subventionnée du 3e arrondissement de Paris, et ce n'est certainement pas un concert de spoken word industriel et afrofuturiste qui va empêcher nos amis bretons de se la coller, surtout quand ça tabasse autant. Dernier morceau : une petite impro sur du Death Grips, vous voyez le genre. Au camping en fin de soirée, je croise Etienne Blanchot, le programmateur de Villette Sonique, qui me dit qu'il a « des anecdotes bien croustillantes sur Prurient » à me raconter. Ce sera un des running gags du festival : je le croiserai plusieurs fois durant Visions, il me répètera toujours la même chose mais je n'en verrai jamais la couleur.

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Moor Mother

Moor Mother

Jour 2 : Revenez le lendemain

D'autres choses dont je ne verrai pas la couleur : les activités et les expos et tous ces trucs très chouettes et très écolo-responsables proposés en journée. Car à ce moment-là, la plage au pied du camping reste le repaire privilégié de pas mal de gens. On peut d'ailleurs voir qui y est passé rien qu'en notant les grimaces sur les visages ; et si il y a quand même de la tenue pour un festival breton, j'ai quand même vu un mec passer plusieurs heures à se rôtir au soleil face contre terre, la tête dans le sable.

En observant le concert de Puzupuzu depuis le fort de Bertheaume, je me rends compte que le cadre est presque trop idyllique pour être vrai – un mec rencontré au hasard me reprochera d'ailleurs de « regarder un peu trop le soleil », je me demande toujours ce qu'il a voulu dire

En attendant le concert de Kate NV (très chouette, par ailleurs), le mec de Last Night qui jouait la veille me parle de Cioran et de Rebatet, ce qui ne me donne pas tout à fait envie d'envahir la Pologne mais quand même un peu de me tuer – il faut dire que je commence à stresser sec pour mon concert de demain.

Je découvre enfin les loges artistes (en plein air et vue sur la mer, décidément la constante bonheur de Visions) et commence à faire des allers retours pour me choper des bières lorsque la responsable de l'accueil des artistes me fait gentiment remarquer que les loges (et donc l'alcool) sont réservés avant tout à ceux qui jouent le jour même – et donc, en gros, que je ferais plutôt bien de revenir le lendemain. Mais c'est dit tellement gentiment (vous l'aurez compris : ici tout le monde est adorable) que je ne le prends pas du tout personnellement.

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Prurient

Une bonne manière de se prendre le live de Prurient en pleine face et de me mettre tout de suite sur les rotules. Certains gueulent que son live tout-machine est téléphoné, mais mon « état altéré de conscience » (disons les choses comme ça) fait que j'apprécie ce déluge de noise d'une manière différente : croyez-le ou non, mais allongé dans l'herbe et en fermant les yeux, les nappes ravagées de Prurient prendraient presque des allures d'ambient music. Le live breaké de C_C achèvera de me retourner le cerveau, tandis qu'en fin de soirée, la techno 4/4 et monolithique de Vatican Shadow ressemblera plus à un gros foutage de gueule qu'autre chose.

Prurient

C_C

Vatican Shadow

Jour 3 : Se finir au petit matin

Au petit matin du 3e jour, je remarque que le festival est cette année rempli de pas mal de mecs un peu en demande, un peu désœuvrés, qui zonent dans le camping et te racontent leurs histoires sans que tu leur ait forcément demandé quoi que ce soit. Ceux qu'on pourrait tout simplement d'ordinaire considérer comme des « gens sympas » s'avèrent en fait plutôt collants, et je me dis que leur vulnérabilité a quelque chose de quasiment indécent. Mais à ce stade du festival, je suis complètement pété.

On dit souvent qu'il ne faut être ni trop sobre ni trop saoul avant un concert : dans le doute, je n'ai rien bu le jour même mais j'ai cramé toutes mes batteries la veille. Ce qui fait que l'anxiété d'avant-live (toujours présente, surtout en festival) se mêle à une gueule de bois de champion, une fatigue inquiétante et une irritabilité pas top. Heureusement, mon partenaire de jeu semble plus rassuré que moi et tout se déroule sans accrocs. Les gens sont hyper réceptifs et Puzupuzu me dira ensuite qu'on transpirait le battage de couilles intégral, et ça avait l'air d'un compliment, du moins je crois. À la fin de notre concert, un mec en cuir noir de la tête au pied (et qui se fait visiblement appeler « la crampe ») me dit qu'il aurait aimé que ça dure plus longtemps. J'ai longuement réfléchi à ce que je pourrais écrire sur cet instant lorsque je rédigerais mon compte-rendu, mais là désolé, je n'ai absolument rien qui me vient.

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Les Hopitaux

La suite (et fin) du festival est partagée entre un sentiment étrange d'adrénaline qui retombe et le soulagement que tout s'est plutôt bien déroulé pour nous - même si à cause de retards on nous aura fait jouer en même temps que Wolf Eyes. Le live d'Esplendor Geometrico ainsi que le set de December & Azf agissent comme une autoroute bienveillante (même si plutôt du genre martiale et aimable comme une porte de prison), dans laquelle on s'engouffre à cette heure tardive pour se laisser porter – et un peu violenter. Dans les loges, il paraît qu'un mec du crew de Wolf Eyes dépose des gouttes d'acide sur les mains de tout le monde. L'idée me file un peu une trouille bleue, et vu que le soleil se lève, je préfère aller m'échouer sur la plage. Je croise des types qui me confondent avec un de leurs potes et qui me disent qu'ils se barrent pour aller à Dekmantel. Je ne sais toujours pas s'ils étaient sérieux.

Wolf Eyes

Esplendor Geometrico

Marc-Aurèle Baly arrive tout juste sur Noisey. Il est très vaguement sur Twitter. Julio Ificada est sur Noisey et Tumblr.