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Kopland

On a passé un jour de match avec un banni des stades

Pointage au commissariat, profil bas au boulot et sacrifices familiaux.
Un manifestant
©Loic Venance / AFP

Cet itinéraire, il le connaît par cœur. Et pour cause, il l'emprunte dès que l'US Orléans est à l’affiche. Ce chemin, ce n'est pas celui du stade, mais du commissariat de Vannes. Depuis août, Alexandre*, membre du groupe ultra orléanais Drouguis, est soumis à une interdiction administrative de stade (IAS) d’un an. Une sanction assortie d’une obligation de pointage lors de chaque match de son équipe fétiche, soit 45 fois par saison.

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Depuis 2006, l’IAS permet au préfet d’interdire de stade un individu qui n’a pas nécessairement commis d’infraction, mais dont le comportement laisse penser qu’il représente un risque de trouble à l'ordre public. Elle se distingue de l'interdiction judiciaire de stade, peine complémentaire après une infraction commise dans une enceinte sportive, qui intervient après la tenue d’un procès. En quelques années, l’IAS s’est attirée le courroux des supporters et avocats, notamment pour son côté kafkaïen : le supporter n'est pas sanctionné pour une infraction, mais parce qu'il serait susceptible d'en commettre une.

Alors qu'il grimpe un escalier bétonné en colimaçon qui mène aux abords du commissariat, Alexandre revient sur l’origine de son IAS. En février 2018, avant le match Tours-Orléans en Ligue 2, il fait partie de la quarantaine de supporters orléanais qui affrontent leurs homologues tourangeaux. Le jeune homme de 27 ans est interpellé et termine sa soirée en garde à vue. Membre du noyau d’un groupe ultra, Alexandre n’a rien d’un hooligan, mais porté par la frénésie d’un derby, ses camarades et lui ont plongé dans un moment de violence collectif.

Initialement, l’IAS a été introduite pour lutter contre le hooliganisme et faire la jointure entre la commission d’une infraction et la tenue d’un procès judiciaire. C’est le cas pour Alexandre qui a écopé d’un an d’IAS alors qu’une enquête est en cours par le parquet de Tours. Mais pour plusieurs supporters ou associations, ce cas de figure serait devenu minoritaire et l’IAS aurait été dévoyée de cet objet pour devenir une sanction à part entière.

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Alexandre poursuit : « Quelques jours plus tard, j'ai été convoqué par la police d'Orléans. Ils ont pris mes empreintes digitales, des échantillons de salive et des photos. » Dans la foulée, une notification d'IAS de la préfecture du Loiret lui parvient. Il est convoqué à la préfecture pour la signer et se défendre. Seul, sans avocat. Pas simple quand on a aucune notion juridique. Alexandre hésite : « J'avais rédigé ma défense sur une feuille, mais je me suis convaincu que l'interdiction ne serait pas contraignante. » Sans qu’aucun procès n’ait eu lieu, son IAS entre en vigueur. Alexandre aurait pu contester cette condamnation devant le tribunal administratif, mais le recours sur le fond prend généralement près de deux ans et n’est pas suspensif. Il aurait quand même purgé sa peine.

« Je ne veux pas que mes collègues l’apprennent. Je fais profil bas et prétends ne pas aimer le football »

Le timbre de sa voix laisse transparaître aujourd’hui quelques regrets. « Cela prend 15 minutes d'aller pointer, mais ça me bloque. Samedi, je dois y aller l'après-midi car Orléans joue à 15 heures, alors que je voulais passer l'après-midi avec ma fille. » Alexandre alterne les pointages entre Orléans, où il rejoint sa famille certains weekends et Vannes où il réside pour des raisons professionnelles depuis un mois et demi. Par peur d’être démasqué, il ne souhaite pas que son métier soit révélé. « Je ne veux pas que mes collègues l’apprennent. Je fais profil bas et prétends ne pas aimer le football. » La teinte rouge et jaune très orléanaise des lacets et des bandes de sa paire de Gazelle, trahissent pourtant sa passion pour le ballon rond.

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Le long d’une route en légère montée parsemée d’automobiles, un écriteau « police nationale » se dévoile. Le jeune homme tout de noir vêtu se presse dans le commissariat pour montrer patte blanche. Il en sort cinq minutes plus tard, pour quelques secondes. « Je n’avais pas prévenu que j'étais à Orléans ce week-end et que je pointerai là-bas », explique t-il lorsqu’il ressort définitivement du bâtiment, une enveloppe sur laquelle est inscrit le numéro du commissariat d’Orléans entre les mains. Il extrait son téléphone de sa poche et compose immédiatement le numéro. Aucun échange côté police, c’est à lui de prévenir le commissariat qu’il pointera là-bas. Son interlocuteur absent, il devra rappeler le lendemain. « Ils font vraiment ça par-dessus la jambe », fulmine le supporter, dont la lassitude se ressent.

Comment je suis devenu ultra

À plusieurs reprises, il n’a pas rempli son obligation de pointage. « Parfois j'oublie. Puis, je suis parti en week-end avec ma femme et ma fille. J'avais appelé le commissariat pour dire que je pouvais pointer là-bas, mais je n'ai pas eu de réponse », regrette-t-il. De retour à Orléans après son escapade familiale, Alexandre passe dix heures en garde à vue. « J’ai tenté d’expliquer ce qu’il s’était passé, puis j’ai reconnu les faits. J’avais juste envie de rentrer chez moi. » Il passera en avril devant le Tribunal de grande instance en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Il risque jusqu'à un an de prison ferme et 3 750 euros d’amende. « Je vais aussi payer les frais d'avocat et je suis certain d'avoir un casier judiciaire », complète celui qui craint pour son avenir : « Dans mon secteur, la majorité du boulot s’effectue dans le public. Avant de t’embaucher, ils vérifient si tu as un casier judiciaire. J'y pense tous les jours… l'IAS j'assume, mais ça je ne le mérite pas ! »

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Lorsqu'il est à Orléans, qui dépend de la préfecture du Loiret, Alexandre pointe à la mi-temps du match. Aujourd'hui, à Vannes, il a effectué cette tâche une demi-heure avant le début de la rencontre de l’US Orléans, qui se déplace à Rennes en quart de finale de Coupe de France. « J'étais persuadé que le match était à 18 heures », s'exclame-t-il sourire aux lèvres. Une manière d'avouer à demi-mot que cette IAS l'a coupé de sa passion. « Je ne regarde aucun match, le football se vit au stade. » Exception faite ce soir, puisqu'il assiste à la rencontre de son club dans un bar qui jouxte le port de Vannes. Entre deux occasions, il décolle ses yeux de l'écran fixé au mur, avale une gorgée de houblon et se rappelle que, sans sa condamnation, il aurait été en tribune.

« Plusieurs membres vivent à la campagne et ne pointent pas car le commissariat du coin ferme à 19 heures »

Après les incidents face à Tours, une vingtaine de Drouguis a écopé d’interdictions administratives de stade. Certaines s’accompagnent d'une obligation de pointage au commissariat, d'autres non. « Plusieurs membres vivent à la campagne et ne pointent pas car le commissariat du coin ferme à 19 heures », rigole Alexandre, qui remet en cause la fiabilité de la procédure. « Aujourd'hui, j'ai pointé à 18h, le match est à 18h30 à Rennes. Si j'avais voulu, j'aurais pu y être pour la seconde mi-temps. [Rennes et Vannes sont distantes d’une centaine de kilomètres, NDLR] »

Alors que la nuit s’abat sur la cité bretonne, Alexandre ne peut s'empêcher de faire un parallèle entre sa situation et la future loi anti-casseur : « J'ai lu son contenu et l'interdiction administrative de manifester reprend quasiment mot pour mot l'IAS. » Il est scandalisé que cette loi qu'il juge liberticide soit accueillie avec mansuétude par l'opinion publique. « L'opposition et quelques députés macronistes s'offusquent à peine, mais cela devrait provoquer un tollé, commence-t-il avant de s’interroger, que ce serait-il passé si c’était Sarkozy qui avait mis en place cette loi ? » Ça, on ne le saura jamais.

*Le prénom a été modifié.

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