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Les consommateurs de cannabis pourraient avoir besoin d’une plus forte dose d’anesthésiques avant une opération

« Il continuait de parler avec le personnel qui avait fait l’anesthésie. » Après deux doses supplémentaires de propofol, « le patient ne présentait aucun signe de diminution de sa conscience ».
Les consommateurs de cannabis pourraient avoir besoin d’une plus forte dose d’anesthésiques avant une opération
Photo : Wesley Gibbs, Unsplash, boonchai wedmakawand, Getty Images

L'article original a été publié sur Tonic.

En 2015, à l’hôpital de Grand Junction, au Colorado, les infirmières ont remarqué qu’il se passait une chose étrange.

Quand les patients se présentaient pour des interventions de routine, comme une endoscopie ou une colonoscopie, on avait besoin pour certains d’entre eux d'une plus forte dose d’anesthésique, comme le propofol, le fentanyl ou le midazolam. Ces patients étaient ceux qui avaient indiqué consommer du cannabis fréquemment.

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Avant une opération, les médecins demandent toujours aux patients s’ils consomment des drogues. Les infirmières ont commencé à noter que les patients qui consommaient beaucoup de cannabis recevaient une dose bien plus forte d’anesthésique que les autres. Et Mark Twardowski, ostéopathe à l’hôpital de Grand Junction, a observé que l’effet du cannabis était plus grand qu'avec n’importe quelle drogue ou l'alcool.

Après un an à échanger des observations à ce sujet, le Dr Twardowski et ses collègues ont décidé d’étudier le phénomène. Leur étude a été publiée cette semaine dans le Journal of the American Osteopathic Association. « On ne s’attendait pas aux chiffres qu’on a vus », m’a-t-il dit en entrevue.

Ils ont examiné les dossiers médicaux d’un petit groupe de 25 de ses patients qui avaient subi une intervention comme une colonoscopie ou une endoscopie, et qui ont dit fumer du cannabis ou consommer des produits comestibles à base de cannabis sur une base quotidienne ou hebdomadaire. Ils les ont ensuite comparés à ceux de 225 personnes qui avaient subi le même type d’intervention, mais qui ont indiqué ne pas consommer de cannabis.

Ils ont noté que les doses des trois anesthésiques les plus couramment utilisés avaient dû être plus fortes pour les consommateurs de cannabis. En particulier, ils ont reçu une dose de fentanyl supérieure de 14 % et de propofol supérieure de 220,5 % aux autres pour l’anesthésie.

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Les effets de la consommation de cannabis sur la dose d’anesthésique pour l’endoscopie, Journal of the American Osteopathic Association

Le composé actif du cannabis, le THC, se fixe aux récepteurs cannabinoïdes dans le cerveau, et ces récepteurs sont différents de ceux avec lesquels interagissent les anesthésiques. Ce qui a soulevé une question : pourquoi alors la consommation de cannabis entraînerait-elle une hausse de la dose nécessaire des anesthésiques?

Selon le Dr Twardowski, il est possible que les récepteurs cannabinoïdes réduisent ou fassent cesser l’activité d’autres récepteurs avec lesquels les anesthésiques interagissent. Mais « honnêtement, ce n’est qu'une supposition », admet-il. « Ce n’est pas basé sur des données scientifiques. Le travail scientifique de base reste à faire. »

Ce qui le préoccupe, c’est que personne n’a encore fait ces recherches scientifiques de base, un problème qu’il attribue à la classification du cannabis aux États-Unis. Quand lui et ses collègues ont commencé leur étude, ils s’attendaient à ce qu’elle s’ajoute à une pile d’autres sur le sujet. Ils ont plutôt constaté que c’était la première au pays.

« On a fait de vastes recherches dans la littérature médicale, et on n’a rien trouvé. Vraiment? On va être les premiers à faire une étude sur ça et il n’y a que nous? C’était cool d’être les premiers, mais aussi un peu effrayant. »

Kevin Hill, un psychiatre spécialiste de la dépendance au Beth Israel Deaconess Medical Center et expert clinique du cannabis n’avait pas entendu parler de cet effet, mais il est aussi d’avis qu’il est crucial de poursuivre les recherches, surtout que d’autres États américains se dirigent vers la légalisation. La consommation de cannabis à des fins récréatives est légale dans 10 États et à des fins médicales dans 33 États. Par conséquent, la consommation de cannabis en général a augmenté de 43 % entre 2007 et 2015.

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« Ce rapport préliminaire montre de quel genre de recherches on a désespérément besoin quand les États vont rapidement de l’avant avec des politiques sur le cannabis médical et récréatif, dit-il. Les médecins doivent tenter de comprendre les effets de la consommation fréquente de cannabis dans leur spécialité. »

Mais ce n’est pas parce que personne n’a officiellement fait de recherche qu’aucun médecin ne connaît les effets du cannabis sur l’anesthésie. Ethan Bryson, un professeur d’anesthésie et de psychiatrie à l'Icahn School of Medicine, qui n’a pas participé à l’étude, dit qu’il connaît bien le sujet, et depuis un bon moment. « Quiconque a fait des anesthésies depuis un certain temps reconnaît que ça a une incidence sur son travail », affirme-t-il.

Quand il planifie une anesthésie, il doit tenir compte de la consommation de drogue d’une personne et des effets de celle-ci sur son niveau de tolérance. Ce n’est pas le cas que pour le cannabis, mais pour les autres drogues et l’alcool aussi.

Ethan Bryson a commencé à noter les effets du cannabis sur l’anesthésie il y a environ 12 ans : ses patients qui consommaient du cannabis ou d’autres drogues fréquemment avaient une tolérance bien plus élevée. Il m’a parlé du cas récent d’un patient en bonne santé, dans la fin de la quarantaine, qui devait subir une intervention mineure. Normalement, il lui aurait administré une dose d’anesthésique. Mais en lui posant les questions d’usage, il a appris que le patient consommait du cannabis fréquemment, en avait d’ailleurs fumé la veille, qu’il buvait de l’alcool quotidiennement et qu’il avait également pris de la cocaïne deux semaines avant.

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« C’est une personne qui est en parfaite santé, mais, parce qu’il est exposé constamment à ces substances, j’ai changé mon plan d’anesthésie, d’une sédation intraveineuse à une anesthésie générale. Il n’allait pas rester pas immobile sans une anesthésie générale. »

Sa théorie est que l’exposition chronique au cannabis produit un changement dans le métabolisme : la vitesse à laquelle l’organisme élimine les drogues et la tolérance serait ainsi accrue. C’est peut-être ce qui explique pourquoi la consommation de cannabis change l’effet d’un anesthésique qui interagit avec d’autres parties du cerveau et d’autres récepteurs, selon lui.

Toutefois, le Dr Twardowski croit que, bien qu’il soit possible que ce soit un facteur, ce n’est pas seulement une question de métabolisme. Il observe le besoin d’une plus forte dose dès le début d’une intervention, quand il tente d’endormir le patient. « Il semble qu’il faut plus de temps pour le faire. Si l’effet se dissipait plus vite, ça pourrait être l'explication, mais ces patients continuent de me parler après que je leur ai donné une dose qui nous aurait endormis, vous et moi. »

Un petit nombre d’études de cas ont mené à des constatations semblables. Une étude australienne de 2009 a montré qu’il fallait plus de propofol pour les personnes qui consomment du cannabis que les autres quand on leur installe un masque laryngé, qui garde les voies respiratoires ouvertes au cours d’une opération.

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En Allemagne, en 2015, un homme de 37 ans qui devait subir une opération à l’épaule a dit aux médecins qu’il fumait du cannabis toutes les semaines. Après avoir reçu une forte dose d’anesthésique, il avait la tête qui tournait, mais « il continuait de parler avec le personnel qui avait fait l’anesthésie », ont écrit les auteurs de l'étude de cas. Après deux doses supplémentaires de propofol, « le patient ne présentait aucun signe de diminution de sa conscience ». Confus, le personnel médical a vérifié si l’aiguille de l’injection intraveineuse était installée correctement. Elle l’était. On est venu à bout de l’endormir avec une dose plus forte encore, et l’opération s’est déroulée sans complications.

En 2002, Iris Symons du Barnet General Hospital au Royaume-Uni a écrit au sujet du cas d’un homme de 34 ans à qui elle avait administré du propofol, du midazolam, du kétorolac et un anesthésique local. « Malgré la forte concentration d’anesthésiques volatils et intraveineux, la pression artérielle et le pouls sont restés élevés, au même niveau qu’avant l’administration. »

Quand l’homme s’est réveillé après l’opération, il a demandé à la médecin comment ça s’était passé. « J’ai répondu : “Il a été très difficile de vous anesthésier”, et il m’a dit que, s’il lui révélait quelque chose, ce pourrait être incriminant. Je lui ai répondu qu’il pouvait me parler en toute confiance, et il m’a dit : “J’ai fumé du cannabis hier soir.” »

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D’après ces études de cas et les Drs Bryson et Twardowski, il semble qu’il n’y ait pas d’autres conséquences pour les patients. « Même si je leur ai donné une forte dose, et des fois une dose ridiculement forte considérant leur taille, ils se sont réveillés comme les autres une demi-heure plus tard », a dit le Dr Twardowski.

Toutefois, il pourrait y avoir des effets négatifs. On sait qu’une forte de dose de ces substances peut causer des problèmes de respiration et de circulation sanguine — raison de plus pour étudier ce phénomène de plus près. Le Dr Twardowski ajoute que, comme il pratique la sédation consciente, contrairement à l’anesthésie générale avec assistance respiratoire, administrer une forte dose d’un anesthésique comme le propofol ne se fait pas sans inquiétude : après tout, c’est ce qui aurait tué Michael Jackson.

Le Dr Twardowski et ses collègues entament maintenant la deuxième phase de leur étude. Ils étudieront toutes les formes de sédation et d’anesthésie à leur hôpital pour voir dans quels cas les effets du cannabis sont les plus grands. Il souhaite trouver un anesthésique auquel la consommation de cannabis n’augmente pas la tolérance.

Il ajoute qu’ils se pencheront également sur une observation troublante faite par les infirmières : les personnes qui consomment fréquemment du cannabis ont plus de difficulté à soulager leur douleur après l’opération, ce qui peut entraîner une hausse des ordonnances d’analgésiques. « Tout le monde est un peu préoccupé en donnant son congé à une personne avec beaucoup plus de médicaments contre la douleur », dit-il.

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