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La rédaction de CNN à Atlanta en 2001. Stock Connection Blue / Alamy Stock Photo
Société

Arrêter le journalisme pour apprendre à vivre

Ils sont de plus en plus nombreux à tirer leur révérence et abandonner leur carte de presse de ce métier qui fait toujours rêver autant d'étudiants. On a discuté avec eux.
Justine  Reix
Paris, FR

Ne faudrait-il pas ajouter sur le site de toutes les formations en journalisme : “Attention, être journaliste nuit gravement à votre santé et à celle de vos proches” ? Possible, vu le nombre de burn-out et de dépressions dans le milieu.

En postant un appel à témoignages sur les réseaux sociaux, je m’attendais à recevoir un certain nombre de messages d’anciens journalistes - mais pas autant. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai reçu une centaine de messages et cela continue chaque jour. Et je suis navrée de ne pas pouvoir tous les partager. J’ai reçu des histoires révoltantes, écouté des voix qui soupirent, se brisent et des silences qui en disent long. Parfois, certains ont heureusement retrouvé le sourire. Depuis qu’ils ont tiré un trait sur le journalisme.

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Chez les journalistes, nous sommes nombreux à y avoir déjà pensé ou à y penser régulièrement : arrêter. Mettre fin à ce rêve qui nous a fait fantasmer un temps et déchanter plus tard. Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer, la précarité n’est que la partie émergée de l’iceberg. Manque de sens au quotidien, harcèlement moral, sexuel, discrimination et épuisement physique sont autant de raisons qui poussent les journalistes à ranger, pour de bon, leur carte de presse.

La durée des carrières se raccourcit et se situe en moyenne à 15 ans. Mais il suffit d’interroger des jeunes journalistes qui sont sortis d’école ces dernières années pour remarquer que le phénomène s’accentue. Nous avons pu parler avec ces nouveaux ex-journalistes déçus par la profession. Pour VICE, ils se sont replongés dans des souvenirs parfois difficiles.

Lucie*, du journalisme web à la communication en freelance

Pour Lucie, parler de sa reconversion est encore difficile. Il y a quelques mois, elle a pris la décision de tirer un trait sur son rêve. Dès ses premiers stages, pourtant, elle a rapidement compris qu’elle ne serait pas journaliste toute sa vie. Bouché, mal payé, épuisant, autant de raisons qui rendent ce secteur particulièrement dur.

« Je me voyais tenir jusqu’à 40 ans au moins et finalement j’ai craqué à 25 ans cette année avec un burn out. » Ce sont toutes les difficultés du métier cumulées qui ont poussé Lucie à arrêter. À commencer par la précarité du métier, la rareté des contrats et les tarifs des piges. « Le retard quasi systématique des paiements de piges ne me permettait pas d’envisager le freelance sans mourir de stress. Et pour un contrat, on te propose un SMIC après un bac+5 et 25672 stages, pour des postes assez élevés, c'est indécent, disons-le. »

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Certains articles ont valu à Lucie plusieurs affaires de cyberharcèlement en plus des insultes régulières de “journalope” ou “gauchiasse” sur les réseaux sociaux. Pour elle, il y a un nombre incalculable de raisons qui l’ont poussé à arrêter le journalisme : « La pression d'écrire toujours plus vite, toujours mieux, plus original que les autres, les guerres d'ego, l'absence de perspective, les horaires, le stress, le syndrome des montagnes russes entre l'excitation d'un article chouette et trois jours passés à recopier des articles de médias américains, le besoin de savoir tout faire avec toujours moins de temps et de moyens, le harcèlement sexuel non sanctionné dans les rédactions, les fermetures et restructurations des médias… » Il y a presque l’embarras du choix. Mais ce qui a motivé Lucie à arrêter sont les graves problèmes de management, fréquents dans le métier.

À deux reprises, dans deux médias différents, elle et ses collègues ont été harcelés par les rédacteurs en chef. Reproches constants sur leurs personnalités, leurs manières de travailler, une virgule mal placée… « On me hurlait dessus sans raison devant tout le monde, au point de me faire fondre en larmes au bureau. » La jeune journaliste devait toujours aller plus vite pour réaliser des longs-formats ou enquêtes. Régulièrement, des journalistes partaient pour fuir cette ambiance délétère.

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« Un jour, je me suis rendue compte que je n'étais pas heureuse, mais surtout, que je ne connaissais pas un journaliste heureux »

« Mon déclic, ça a été lors de mon entretien annuel. J'ai demandé une augmentation de 250 euros brut par mois, en me disant qu'après négociation, j'obtiendrais la moitié. Mon chef m'a ri au nez, me demandant "si je comptais demander ça chaque année". Et l'autre chef m'a dit que si je voulais changer de boîte ou métier, je pouvais. » Peu à peu, Lucie se renferme et fait des crises d’angoisse au travail. Elle ne trouve plus de sens à son travail. Un lundi matin, elle n’a plus la force de sortir de son lit, appelle son médecin et décide de tout arrêter.

« Un jour, je me suis rendu compte que je n'étais pas heureuse, mais surtout, que je ne connaissais pas un journaliste heureux. » Les mois qui ont suivi ont été très difficile. Lucie a dû prendre des anxiolytiques et commencer une thérapie. Elle se reconstruit doucement et a débuté une activité dans la communication en freelance. « C'est un vrai soulagement d'avoir quitté ce métier, de me sentir enfin valorisée dans mon travail. Et d'être bien payée, accessoirement. »

Justin Daniel Freeman, du journalisme de presse quotidienne régionale à la boucherie

Contrairement à certains qui souhaitent devenir journaliste depuis leur plus jeune âge, Justin Daniel Freeman a découvert ce métier vers la fin de ses études. Après une alternance au Télégramme, Justin enchaîne pendant quatre ans des CDD dans le quotidien régional de Bretagne. Alors que sa compagne est enceinte et qu’il change régulièrement de lieu de travail, ses contrats l’épuisent. Il parvient à trouver un autre CDD dans un journal de l’ouest de la France qui lui offre un CDI au bout de quelques mois.

« J’ai commencé à me demander ce que je foutais à dormir avec un téléphone de permanence sous mon oreiller pour peut-être me faire réveiller à 3h du mat pour faire un article sur une voiture qui s’est plantée dans un champ »

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La lassitude et la fatigue gagnent Justin. « J’ai commencé à me demander ce que je foutais à dormir avec un téléphone de permanence sous mon oreiller pour peut-être me faire réveiller à 3h du mat pour faire un article sur une voiture qui s’est plantée dans un champ. » Puis, le journaliste perd un enfant. Le genre d’événement qui remet tout en question. « Avec le journalisme tu te donnes entièrement, tu ne profites pas de tes proches, de ton temps libre, ça devient une excuse pour donner sa vie. »

Beaucoup d’étudiants qui se lancent dans le journalisme ne le savent pas mais être journaliste c’est, pour la majorité des cas, travailler le week-end, durant les vacances scolaires et les jours fériés. Oui, même à Noël. « Par la force des choses, il y a beaucoup d’appelés peu d’élus dans ce métier. Et vu qu’il y a du monde, les chefs peuvent tout se permettre, tu dois presque dire merci d’avoir un salaire. » Justin prend le temps de peser le pour et le contre et comprend rapidement que ce métier ne vaut pas tous ces sacrifices.

Après avoir passé en revue les secteurs qui recrutent les anciens journalistes comme la communication ou encore le professorat, Justin préfère dans un métier manuel qui l’attire plus : la boucherie. Alors qu’il vient de terminer sa formation, l’ancien journaliste apprécie son nouveau quotidien même si cette reconversion n’est pas des plus simples. « C’est un milieu complètement différent. En plus c’est difficile d’arriver à 30 ans et de voir des gamins de 18 ans qui ont deux fois ton niveau. »

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L’ancien journaliste cherche à présent son futur patron en boucherie. Tous les jours, il continue à s’informer et lire la presse, un bon réflexe qu’il ne perdra jamais.

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La rédaction du journal Le Monde. LIONEL BONAVENTURE / AFP / 2017

Lucas Simonnet, du journalisme de proximité à électricien

Pour Lucas tout avait pourtant bien commencé. En stage de fin d’études au Figaro, il est débauché par le quotidien régional du Centre, l’Yonne Républicaine, en CDD pour un remplacement d’un congé maternité. Il y reste deux ans, ce qui lui permet de commencer sa carrière sans avoir à piger. « Au début, on me faisait espérer un CDI mais j’ai appris que non seulement mon contrat n’était pas prolongé mais qu’en plus c’était un prétexte pour une réduction d’effectifs au sein de la locale, quand je suis parti, les journalistes se sont retrouvés à deux au lieu de trois. »

Lucas cherche alors pendant une année un nouveau travail. Il ne parvient qu’à trouver un CDD de deux semaines dans un journal de PQR. « Ça m’a ouvert les yeux, l’envie de faire autre chose s’est imposée. » Petit à petit, ses recherches qui se limitaient au journalisme s’ouvrent à la communication. Il parvient à décrocher quelques entretiens sans succès. « À chaque fois mon profil était retenu dans les derniers finalistes et à chaque fois on me disait que j’arrivais à me défendre mais y a des gens en face de moi qui étaient opérationnels tout de suite. On m’a vraiment dit ça au moins quatre fois. »

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L’ancien journaliste aurait pu tenter la pige dirait-on mais ce statut si précaire ne l’a jamais attiré. « Quand je vois des gens de ma promo qui sont pigistes depuis plusieurs années, je me dis que j’ai bien fait de pas de me lancer dans cette aventure parce que pour un pigiste qui réussit, il y en a je ne sais combien qui restent sur le carreau. »

« J’ai fait un prêt de 15 000 euros pour entrer à l’Ecole de journalisme de Toulouse, il me reste encore 6 000 euros à payer »

C’est le confinement qui a décidé Lucas Simonnet à faire une croix sur le journalisme. Le confinement lui a permis de réfléchir sur le métier et ses perspectives, peu réjouissantes selon lui. Lucas a donc choisi de se former au métier d’électricien. Son père et ses frères, déjà dans le bâtiment, l’ont attiré vers cette reconversion.

Un nouveau métier qui lui permettra de tourner la page du journalisme mais aussi de rembourser le prêt de son école de journalisme. « J’ai fait un prêt de 15 000 euros pour entrer à l’Ecole de journalisme de Toulouse, il me reste encore 6 000 euros à payer. » Un choix que Lucas ne regrette pas du tout. Il aura étudié son métier de rêve et c’est avec le sourire qu’il envisage l’avenir. « Maintenant après le travail j’ai du temps pour moi, pour voir ma famille, mes amis, faire du sport, avoir une vie. Quand j’étais journaliste, je ne pensais même pas pouvoir avoir d’enfant de ma vie, je me disais que ça ne servirait à rien puisque je ne pourrais jamais les voir. Et là avec ma copine, on envisage d’avoir un enfant. »

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Sonia, de journaliste reporter tv à copywriter

Sonia n’aime pas repenser à cette époque où elle était encore journaliste reporter pour une grande émission télévisée. Pendant cinq ans et demi, elle a été victime de harcèlement et de discrimination au travail. Tous les jours, on lui fait des remarques sur ses origines arabes. Surnoms, remarques déplacées et références régulières au ramadan et au fait de ne pas manger de porc font son quotidien. « Dès qu’on voyait un rebeu avec un peu de barbe, il était appelé djihadiste par la rédac. Et ils me disaient que je savais de quoi ils parlaient. »

« J’avais tout le temps des remarques sur mes tenues, mes seins et mes fesses. Dès que j’arrivais en rédac, on disait que mes vêtements avait été achetés par un joueur de foot. En gros, femme d’origine marocaine est égal à beurette et donc escorte »

Lorsqu’elle ramenait une info exclusive c’était uniquement dû au fait qu’elle draguait tout le monde et savait soutirer des informations. « J’avais tout le temps des remarques sur mes tenues, mes seins et mes fesses. Dès que j’arrivais en rédac, on disait que mes vêtements avaient été achetés par un joueur de foot. En gros, femme d’origine marocaine est égal à beurette et donc escorte. »

Son rédacteur en chef lui propose même de coucher avec le monteur de la boîte car il la trouve « canon ». Peu à peu, Sonia est mise à l’écart de la rédaction car elle répond probablement trop à ces remarques. « Je n’étais jamais au courant des apéros en dehors de la redac et ensuite on me disait «  Pourquoi tu ne viens jamais? ». Je passais pour la fille associable alors qu’on ne me passait jamais l’info. »

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Sonia finit par craquer et part après de nombreuses années de bons et loyaux services. Lorsqu’elle tente de retrouver un travail, sa trop grande expérience dérange car elle est trop qualifiée et ne pourra jamais toucher son ancien salaire. Un nouveau média la débauche en piges mais manque cruellement de moyens. Elle parvient à piger pour un autre mais entre-temps elle a perdu sa carte de presse et ne peut plus y travailler.

En effet, pour certains grands médias il est obligatoire d’avoir sa carte de presse à jour pour travailler. La carte de presse doit être renouvelée tous les ans et le journaliste doit justifier d’avoir travaillé tout au long de l’année. On propose alors à Sonia d’être consultante à titre bénévole. C’en est trop pour Sonia. Elle décide de devenir copywriter en freelance, sans regret : « Les places sont chères et on ne veut pas payer les salariés. Il y a finalement beaucoup de stagiaires ou de jeunes diplômés qui acceptent des conditions ahurissantes et je pense qu’on est tous passés par là. »

Mais changer de voie n’a pas été simple pour Sonia qui a travaillé de nombreuses années dans le milieu du journalisme et a travaillé sans relâche pour finir par ne plus pouvoir avancer.

Dominique* de rédacteur en chef à instit

Pendant plusieurs années, Dominique a été rédacteur chef pour un grand JT télévisé. C’est en accédant à ce poste après avoir été toute sa vie journaliste qu’il s’est décidé à changer de métier. « Je demandais à mes journalistes des choses aberrantes, de faire des horaires pas possibles, de clairement se tuer à la tâche et je n’avais pas d’autres choix que de le faire puisqu’on me mettait la pression au-dessus. »

« Quand on avait des CDD il était d’usage de les presser comme des citrons. On savait qu’ils ne diraient jamais non alors on en profitait »

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Dominique ressent une culpabilité extrême d’avoir profité de la faiblesse de beaucoup de jeunes journalistes. « Quand on avait des CDD il était d’usage de les presser comme des citrons. On savait qu’ils ne diraient jamais non alors on en profitait. » Sauf que les CDD peuvent attendre 5 à 10 ans pour espérer un jour obtenir un contrat plus stable.

Le rédacteur en chef en est sûr, il a contribué à la reconversion de beaucoup de jeunes journalistes qui sont passés par sa rédaction. Cris, pressions, horaires invivables, Dominique affirme n’avoir fait que ce que ses supérieurs lui demandaient mais surtout ce qu’on lui a fait lorsqu’il était plus jeune.

« Je me rendais de plus en plus compte que ça n’avait aucun intérêt de faire ce qu’on faisait. J’envoyais des gens faire des kilomètres pour me faire un direct sur la météo. Ce n’est pas du journalisme. » L’homme perd alors sa mère dont il était très proche mais dont le métier les avait totalement éloignés. Dominique tombe alors en dépression mais continue à aller au travail.

Un sujet télévisé sur la rentrée scolaire le fait sérieusement réfléchir au métier d’enseignant. « J’ai eu un déclic. Je n’ai jamais pu avoir d’enfants avec ce métier et je voulais plus de sens au quotidien. » Il prépare alors en candidat libre l’examen de l’Education nationale et le décroche du premier coup.

« J’ai pleuré quand j’ai su que c’était fini, que je pouvais enfin passer à autre chose. » Dominique enseigne depuis un an en dehors de Paris et bien qu’il gagne trois fois moins que lorsqu’il était rédacteur en chef, il n’échangerait sa place pour rien au monde.

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Marion, du journalisme reporter d’images au design

Après une formation au CUEJ, l’école de journalisme de Strasbourg reconnue par la profession, Marion intègre TF1 en CDD dès sa sortie d’école. « J'avais des cœurs dans les yeux, j'étais jeune, tout juste diplômée, et je me retrouvais tous les jours sur le terrain à faire de l'image pour le JT le plus regardé de France. Le terrain, cet endroit où j'avais toujours voulu être. Enfin j'y étais. »

La jeune femme enchaîne sur un CDD chez LCP et y reste presque deux ans. Dans cette rédaction, elle s’épanouit et réalise même un reportage en long-format. Une époque remplie de souvenirs qu’elle chérit. « Ces premières années de ma carrière ont été géniales. Aujourd’hui, je me rends compte que j’ai eu de la chance, j’ai pu faire exactement ce que je voulais dans le journalisme, ce qui n'est pas le cas de tout le monde, malheureusement.  »

Mais LCP ne l’embauche pas malgré deux années exemplaires et Marion doit repartir à zéro. Elle finit par trouver un CDI dans une entreprise de presse qui vient de se lancer. Son rédacteur en chef s’avère particulièrement difficile : « Il nous montait les uns contre les autres, mentait, faisait miroiter des choses et nous nous menaçait de nous virer. » Au bout d’un an, Marion n’en peut plus et décide de partir avant d’y laisser sa santé mentale.

« J'ai fait cette fabuleuse découverte du métier "d'ouvrière 3.0". Le principe est très simple et n'importe qui peut le faire, même ma grand-mère »

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Peu de temps après, elle intègre L’Express pleine d’espoir en CDD. L’offre d’emploi indiquait chercher « un journaliste expérimentée pour faire de la vidéo et proposer de nouveaux formats ». Mais la journaliste tombe de haut. « J'ai fait cette fabuleuse découverte du métier "d'ouvrière 3.0". Le principe est très simple et n'importe qui peut le faire, même ma grand-mère. Tu es abonné au fil afp. Chaque jour tu reçois des vidéos déjà tournées, parfois même déjà montées. Tu assembles les images et ajoutes du texte et tu les envoies sur les réseaux sociaux. Pour moi, ce n'est pas du journalisme. C'est du montage qui ne nécessite aucune notion journalistique, aucune notion de montage même. Les chefs te corrigent les fautes d'orthographe et basta. »

Tous les jours, elle réalise 6 à 7 vidéos de ce type. Enchaînée à son ordinateur dans un open space à Balard, elle réfléchit à son avenir. « Pourquoi s'entêter à faire un métier qui peut être intellectuellement proche du niveau 0, accepter de se faire malmener par une hiérarchie qui n'est pas formée au management, et accepter la précarité de l'emploi ? Pourquoi ? Je ne trouvais plus de réponse à cette question. » Ses rêves d’étudiantes sont désormais envolés à jamais. Elle quitte L’Express.

Son successeur n’est autre qu’un de ses anciens collègues de LCP. « Il est brillant, il a un œil de dingue, et il monte des images AFP toute la journée. Il m'a même expliqué qu'aujourd'hui L'Express vidéo n'a plus l'AFP. Alors il filme ses collègues journalistes qui lui racontent leurs articles…. Je n'en reviens pas. » Pour Marion, quitter le journalisme est un grand soulagement. Soulagée de s’éloigner de ce milieu qu’elle juge « pourri de l’intérieur » condamné au sensationnalisme et à l’audience.

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Pour elle, les écoles de journalisme ont une grande responsabilité. Tous les ans, rien qu’avec les écoles reconnues par la profession environ 700 jeunes journalistes entrent sur le marché plein d’espoir. « Combien le resteront ? Combien réussiront à piger toute leur vie ? Certains peuvent se le permettre, cela signifie alors que le métier de journaliste n'est pas accessible à tout le monde et pour les rédactions c'est très mauvais signe. Elles ont besoin aujourd'hui plus que jamais de diversité. » En septembre prochain, Marion intègre une formation en UX Design. « Moi je veux vivre ma vie, voyager, trouver du boulot facilement. J'ai compris que je voulais quelque chose de plus stable, de plus positif aussi. »

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Rédaction de la BBC à Londres. Jeff Gilbert / Alamy Stock Photo

Flavien* du journaliste web à la photographie de communication

À la fin d’une alternance dans un journal de presse locale, Flavien est rapidement embauché en CDD à l’Internaute. Au bout de quelques mois, ses chefs lui expliquent qu’ils ne peuvent pas le garder mais lui proposent tout de même de rester en tant qu’auto-entrepreneur (chose totalement illégale lorsqu’on est journaliste) tout en continuant à venir travailler au bureau. Flavien refuse et deux mois plus tard l’Internaute change d’avis et lui propose un CDI. « Entre-temps, un de mes collègues était passé chef, il nous en faisait voir de toutes les couleurs, le climat est vraiment devenu délétère ».

Le quotidien devient épouvantable. Surveillance constante, flicage et reproches sans arrêt, Flavien n’en peut plus et demande une rupture conventionnelle qui lui est refusée. L’ambiance s’empire. « Une fois, j’étais en reportage et on m’a reproché de ne pas avoir loupé le déjeuner pour continuer à bosser. » En plus du management, Flavien découvre le journalisme web dans sa pire forme. Les journalistes doivent le plus régulièrement possible modifier leurs articles, même une virgule lorsqu’il n’y a rien à changer pour rester en haut des résultats Google. « Tu te retrouves à réécrire 50 fois le début de ton article en le paraphrasant à l'infini. C'était super chronophage et mentalement épuisant. »

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« Si demain plein de gens cherchent pipi caca sur Google ils feront un article dessus »

Flavien passe sa journée à analyser les chiffres et les statistiques pour obtenir toujours plus d’audience. Tous les mois, il doit rendre des comptes sur les vues de ses articles à ses chefs avec un tableau des scores. « Il y avait même des sujets sur lesquels on n’avait pas le droit d’écrire si ce n’était pas recherché sur Google même si c’était intéressant ou important. « Si demain plein de gens cherchent pipi caca sur Google ils feront un article dessus. »

L’ancien journaliste regrette même d’avoir choisi de s’orienter vers le journalisme et reproche à son ancienne école de ne pas assez renseigner sur le métier : « On nous a peu informés des conditions qui nous attendaient, surtout sur les piges, tout tournait autour de la noblesse des beaux reportages qu’on nous a vendu à fond mais ce n’est pas ça qui paie le loyer. J’ai l’impression d’avoir perdu mon temps. » Plusieurs mois après sa première demande de rupture conventionnelle, l’Internaute a finalement accepté le départ de Flavien.

La course à l’audience, les bas salaires et l’ambiance délétère ont eu raison de Flavien qui s’est à présent lancé en tant que photographe de communication. « Ça m’a libéré d’arrêter, je me sens beaucoup moins oppressé et irritable. »

Sabrina Belalmi, de journaliste sportive à la communication du PSG

C’est assez tardivement que Sabrina se lance dans le métier de journaliste. À 28 ans, après quelques stages, elle devient pigiste pour l’Equipe 21, ITélé (maintenant CNEWS) et réalise aussi quelques chroniques pour Sport 365. Petit à petit, la journaliste observe une instabilité financière générale du monde médiatique : « Il y avait une accumulation de plans sociaux à droite à gauche, ça sentait vraiment mauvais. » Son pressentiment s’est confirmé.

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L’Equipe 21 a annoncé un plan social. De nombreux pigistes, CDD et CDI dont Sabrina ont dû quitter le média. Puis ce fut le tour d’ITélé et sa grève en 2016. Puis la chaîne Sport 365 a fermé ses portes. Tous les employeurs de Sabrina sont en mauvaise posture. Sabrina reste à ITélé mais doit à présent se trouver de nouveaux médias pour lesquels travailler.

Elle intègre, toujours en tant que pigiste, SFR Sport (maintenant RMC Sport) et les matinales d’Infosport. La course aux piges interroge Sabrina sur l’avenir du métier : « Après plusieurs années, tu te rends compte que ça n’embauche pas et que quand il y a des CDI, tout le monde accepte des salaires de merde puisque c’est tellement rare. » Chez SFR Sport, à l’époque, de nombreux journalistes travaillent la nuit et le week-end avec des horaires à plus de 50 heures par semaine, pour 1 400 euros net par mois. Quelques mois plus tard, elle aussi finit par accepter un CDI mal rémunéré. Elle se retrouve alors chef d’édition chez Goal.com. « Le salaire était ridicule par rapport à tout ce que je faisais. »

« J’étais incapable de dire ce qu’il s’était passé dans l’actualité de la journée »

Sabrina est passée d’un extrême à l’autre. Du travail dans l’urgence au terrain à outrance. « Quand j’étais journaliste TV à Itélé, je n’allais jamais sur le terrain et c’était insupportable, je travaillais toujours dans l’urgence à devoir faire une illustration, un off sans jamais réfléchir. À tel point que j’étais incapable de dire ce qu’il s’était passé dans l’actualité de la journée. »

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Chez Goal, elle se retrouve à couvrir tous les matchs du PSG. Tous les trois jours, en moyenne, à dormir dans un hôtel loin de chez elle et en ayant un enfant. « Tu rentres chez toi, tu es épuisé et tu as à peine le temps de respirer qu’il faut repartir pour la conférence de presse avant le match et ensuite partir sur le match suivant. » La journaliste travaille tellement qu’elle ne peut même pas poser ses jours de repos.

« Le déclic, ça a été l’épuisement physique et moral. J’avais l’impression que les médias allaient droit dans le mur et que le temps me donne raison. Il y a des plans sociaux partout même dans les gros groupes. Je ne vois pas comment le métier pourrait bien évoluer. »

À ses 35 ans, une porte de sortie s’ouvre à elle. Le PSG qu’elle couvre depuis deux ans lui propose de s’occuper de la communication internationale du groupe au Moyen-Orient. Une opportunité qu’elle saisit sans hésiter. « J’ai tout quitté pour le journalisme, tu t’accroches sans raison parce que tu ne veux pas te dire que tu as fait tout ça pour rien. C’est difficile d’avouer qu’on est malheureux quand on a fait autant de sacrifices. » Sabrina Belalmi est à présent épanouie dans son nouvel emploi et profite enfin de sa vie de famille.

Maxime R, ancien photojournaliste en plein reconversion

Maxime a découvert le photojournalisme lors d’une violente manifestation suite à la mort de Rémi Fraisse sur la ZAD du Testet à Sivens. Il décide d’aller à la suivante, armé d’un appareil photo. Les mois qui suivent, il continue de couvrir et photographier d’autres événements qui le font s’inscrire à une formation en photographies, documentaires et écritures.

Il décide alors de se concentrer sur l’extrême gauche en manifestation. « Pendant plusieurs mois j’ai dormi sur des canapés, chez ma sœur, en sous-location et sans aucune stabilité financière car je ne vendais que très peu pour des tarifs parfois ridicules voire pas du tout. » Mais Maxime continue jusqu’aux manifestations des gilets jaunes où, fatigué physiquement et émotionnellement, il retourne chez sa mère dans le sud-ouest en espérant trouver plus de piges qu’à Paris.

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Loin de ses sujets de prédilection Maxime perd patience. « Ça a été le début d’un cercle vicieux, je voyais des photographes d’autres départements en commande à seulement quelques kilomètres de chez moi. » Il lance alors un site en tant que bénévole pour informer sur les unités et armements des forces de l’ordre en manifestation mais comprend que la compétition est trop rude.

Le photographe n’a pourtant pas l’impression d’avoir chômé. Pendant toute sa carrière, il a contacté un grand nombre de rédactions et trop peu ont accepté de travailler avec lui pour qu’il puisse vivre de son métier. Les quelques médias pour lesquels il travaille mettent des mois à lui payer des petites sommes qui font son salaire. D’autres utilisent ses photos sans son accord. « Une fois j’ai même envoyé un sujet à une rédac et trois mois après j’ai vu ce même angle dans leurs pages mais autoproduit avec leur photographe. » Peut-être s’est-il enfermé dans un sujet trop précis se demande-t-il. Maxime n’aura jamais de réponses car il cherche à présent un nouvel emploi.

« Ma priorité aujourd’hui c’est de trouver une stabilité autant personnelle que professionnelle, en pouvant par exemple avoir enfin mon chez moi vu que j’ai 30 ans. » Maxime continue toujours la photographie mais uniquement pour le plaisir. Il aimerait à présent travailler dans l’humanitaire ou l’associatif pour garder ce contact qui lui plaisait tant dans le journalisme. « Je veux être utile et rester droit dans mes bottes mais parfois, souvent, la montagne me semble infranchissable. »

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François*, du journalisme à la fonction publique

Après une école de journalisme très réputée, François travaille rapidement pour de grands médias nationaux avant de finir par décrocher le Graal dans le journalisme : un CDI. Il intègre alors un média convoité et enchaîne les succès et grands reportages. Mais comme beaucoup de journalistes, François travaille beaucoup, voire trop. La radio dans laquelle il travaille est particulièrement dure et lui laisse peu de temps pour respirer.

« La grosse raison qui me fait arrêter le journalisme c’est BFM TV »

Un jour, son médecin lui impose du repos et l’arrête pour quelque temps. Ce presque burn-out le fait réfléchir : « J’ai réalisé très calmement et sereinement que je ne serai pas journaliste toute ma vie car je n’avais pas envie d’y laisser ma santé et ma vie privée. » Une fois rétabli, il retourne au travail tout en sachant qu’il quittera un jour ce métier.

« La grosse raison qui m’a fait arrêter le journalisme c’est BFM TV. Je ne quitte pas le journalisme fâché, je suis heureux de tout ce que j’ai fait mais je suis très mal à l’aise avec le fait que tous les médias se fassent dicter une partie par la tendance de l’info en continu. » Ces dernières années, François a tenté de ramener certains sujets dans leur juste mesure, auprès de ses chefs, pour éviter de produire un BFM réchauffé. « Avec les réseaux sociaux et l’information en continu, il y a une accélération du temps de l’actualité qui fait qu’il y a de moins en moins de hiérarchie entre les sujets. Je trouve ça très dangereux. »

François donne l’exemple de la fusillade de Nice en juillet dernier. « C’est une fusillade comme il y en a régulièrement dans plein de villes en France mais avec BFM sur place, ça devient THE sujet, Estrosi se rend sur les lieux avec eux et finalement le Premier ministre annonce quelques jours plus tard la création de 10 000 postes de police, c’est n’importe quoi. » C’est ce genre de situation qui a amené François à passer un concours de la fonction publique cette année. Après 11 ans de journalisme, François est impatient de découvrir de nouveaux horizons, sans regretter une seule fois le chemin qu’il a traversé.

Marie Desgré, de journaliste pigiste à communicante

Après son école de journalisme, Marie Desgré se lance pendant plusieurs années en CDI en tant que rédactrice dans un média spécialisé dans le bâtiment mais la journaliste souhaite voir autre chose et devient pigiste pour travailler pour des médias généralistes. Les piges sont régulières mais les différences de traitement entre les pigistes et les CDD et CDI se creusent. « On n’avait jamais le droit à des tickets restos alors que tous les autres contrats y ont le droit. Ah bon quand tu es pigiste tu ne manges pas ? »

Après quelques années de piges, elle alterne les CDD et piges pour un quotidien pour enfants. Avec deux autres pigistes, ils travaillent à plein temps depuis la rédaction. Ce qui est, somme toute, un CDI déguisé. Comme pour beaucoup de médias, celui pour lequel elle travaille s’arrête l’été pour reprendre en septembre. Les journalistes qui travaillent pour ce genre de formats touchent donc le chômage l’été avant de reprendre à la rentrée. « Là j’ai commencé à vraiment mal le vivre car j’étais au chômage malgré moi et c’était bien facile pour l’employeur de se reposer sur Pôle emploi. Mais pas moyen d’avoir un CDD. Et pour faire valoir mes droits de salariée c’était encore toute une d’histoire, il fallait se battre pour tout. »

« Les rédactions sont tellement peuplées de journalistes blancs issus de classes sociales plutôt élevées que ce n’est pas toujours facile de traiter des sujets sous une autre perspective »

En plus de cette instabilité, Marie remarque un prisme parisien dans beaucoup de sujets d’actualité. « Les rédactions sont tellement peuplées de journalistes blancs issus de classes sociales plutôt élevées que ce n’est pas toujours facile de traiter des sujets sous une autre perspective. »

Au fil des années, le journalisme la déçoit. Ce n’est pas l’idée qu’elle s’en faisait. Les rédactions abusent de plus en plus des copier-coller du fil AFP et des reprises des sujets du Parisien sans prendre d’envisager autre chose. Le journalisme web qu’elle avait choisi pour travailler sur de nouveaux formats devient ce monstre qui court derrière l’audience.

Marie décide de faire une pause et de mettre fin à ses carrières qui n’a plus grand sens à ses yeux. À présent, elle travaille à la communication interne d’un établissement public. « J’ai découvert que quand tu passes des entretiens dans autre chose qu’une rédaction ; on te considère et on te demande ce que tu as envie de faire. Les entretiens en journalisme, on me faisait souvent comprendre que j’avais déjà de la chance d’être là. »

* Par souci d'anonymat, ces prénoms ont été modifiés.

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