J’ai demandé à des experts pourquoi mon fil Instagram me fait toujours sentir pauvre
Photo : Toa Heftiba/StockSnap

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J’ai demandé à des experts pourquoi mon fil Instagram me fait toujours sentir pauvre

Donald Trump a déjà été décrit comme « l'image de la personne riche pour une personne pauvre ». La blague illustre bien à quel point les notions de statut social sont en pleine mutation.

Cet article fait partie de la série « Les vraies affaires »

S'il y a une chose que les réseaux sociaux font bien, c'est de nous convaincre que tout le monde est plus riche que nous. Photos de restos, de voyages, d'objets de luxe : notre fil Instagram nous donne accès aux détails les plus intimes de personnes avec des vies sociales dignes de faire des jaloux. Toutes nos curiosités sont comblées et nous avons envie de leur ressembler.

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Dans le fond, on sait très bien que ce qu'on voit sur Instagram ne correspond pas vraiment à la réalité. Ça ne nous empêche pas de vouloir faire pareil. Reena Atanasiadis, chargée de cours à la John Molson School of Business de l'Université Concordia, illustre comment ça se passe dans le cerveau. « Quand quelqu'un pense à ce qui lui donnerait du bonheur, de la sérotonine et de la dopamine [les hormones qui régulent le plaisir et la satisfaction] sont libérées », explique-t-elle. En fait, le désir de quelque chose nous rend plus heureux que de le recevoir. « Généralement, on cherche le plaisir; on ne veut pas nécessairement optimiser notre argent, on veut optimiser la dopamine relâchée par le cerveau. Alors, si on pense qu'avoir plus de choses va nous rendre plus heureux et qu'on voit des gens avec de belles voitures faire semblant qu'ils sont heureux, c'est ce qu'on voudra aussi », explique Reena Atanasiadis.

L'identité joue aussi un grand rôle dans notre envie Instagram. On veut faire partie de certains groupes, explique Avni Shah, professeure en marketing à la Rotman School of Management de l'Université de Toronto. « Nos choix de consommation sont très liés à l'identité à laquelle on aspire. On va dépenser plus d'argent pour afficher cette identité, même si c'est pour des choses dont on n'a pas forcément besoin », dit-elle, ajoutant qu'une grande partie de notre budget est consacrée au paraître.

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Vouloir avoir l'air riche n'a rien de nouveau, selon Josée Johnston, enseignante en sociologie à l'Université de Toronto. Dans le passé, on devait « faire comme les Jones et maintenant on doit faire comme les Kardashians », dit-elle. Imiter les riches et célèbres est un moyen de donner l'impression d'être quelqu'un, et cette pression sociale est une des choses qui poussent les gens à consommer. Avni Shah remarque qu'on dépensera plus si on est avec un groupe qui dépense plus librement ou si on voit des clients qui font de hautes mises au casino.

Il y a 10 ans, l'humoriste John Mulaney décrivait Donald Trump comme « l'image de la personne riche pour une personne pauvre ». Sa blague, reprise par l'essayiste Fran Lebowitz l'automne dernier, illustre bien à quel point les notions de statut social sont en pleine mutation. Le luxe ostentatoire à la Trump n'a plus la cote : « Toutes ses affaires qu'il vous montre dans sa maison, ses robinets en or… c'est ce qu'on s'achète quand on gagne la loterie », a ajouté Fran Lebowitz. Ce qui se distingue aujourd'hui, c'est la perception d'authenticité.

À elle seule, la BMW dans l'entrée de cour n'est plus suffisante pour grimper d'un rang social. « On obtient du prestige non seulement en connaissant le meilleur chanteur d'opéra, mais aussi en connaissant le rappeur de l'heure et les chaussures les plus exclusives, ajoute Josée Johnston. Il coûte encore cher de se distinguer dans toutes les sphères culturelles, mais la hiérarchie du prestige est maintenant plus complexe », précise-t-elle.

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C'est pourquoi ce ne sont pas seulement les riches qui inspirent, même s'ils sont souvent les seuls à pouvoir s'en vanter sur Instagram. De plus en plus de tendances naissent dans d'autres classes sociales et même dans des communautés marginalisées. Il y a beaucoup de styles qui émergent dans les communautés afro-américaines, par exemple, et « ceux-ci sont ensuite marchandisés par des personnes très aisées », remarque la sociologue Josée Johnston. On le voit dans l'appropriation des cornrows par des modèles blanches dans les magazines de mode ou – encore une fois, désolée – les Kardashians.

Josée Johnston croit que cette quête de l'authenticité est née d'un rejet des symboles de luxe, alors qu'on prend davantage conscience des divisions de classes sociales. Bref, les riches veulent quand même avoir l'air riches, mais ils reconnaissent qu'ils font parfois chier.

Ce rejet du faste se remarque aussi dans les changements de design par les marques de produits de luxe, qui se rabattent sur des clins d'œil plus subtils. « Un sac Louis Vuitton avec le logo LV un peu partout nous distingue vraiment, mais, de nos jours, on paie beaucoup pour des modèles que seulement certaines personnes reconnaîtront comme des produits de luxe », dit Avni Shah. Elle a entendu une blague qui disait que les hipsters de San Francisco paient des centaines de dollars pour avoir l'air de n'en avoir dépensé que deux.

Elle remarque que les milléniaux semblent préférer dépenser pour des expériences que des objets. Les générations précédentes devaient prouver leur succès avec des biens matériels.

Jason Heath, planificateur financier à Toronto, est d'accord et croit que les expériences nous apportent plus de bonheur à long terme. « Sur votre lit de mort, vous vous rappellerez mieux d'un safari en Afrique que de votre Porsche », estime-t-il.

« De toute façon, conclut Reena Atanasiadis, le cerveau est beaucoup plus puissant pour générer du bonheur que n'importe quel bien matériel. »

Cet article a été publié grâce au soutien de la Banque Nationale