La présidentielle vue par des lycéennes parisiennes
Photo : Djenaba et Houza, étudiantes au lycée à Paris. Toutes les photos sont de l'auteure.

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Élections 2017

La présidentielle vue par des lycéennes parisiennes

À la veille du premier tour des élections, on a rencontré plusieurs écolières pour parler politique, révisions du bac et vote blanc.

Photo : Djenaba et Houza, toutes deux étudiantes au lycée Maurice Ravel, à Paris. Toutes les photos sont de l'auteure. En 2012, François Hollande avait promis de mettre la jeunesse au cœur de son mandat. Cinq ans plus tard, le bilan est plus que mitigé. En 2016, le taux de chômage des moins de 25 ans a baissé de 1,7 % pour atteindre 23,3 %. Un chiffre encourageant, mais qui reste bien au-dessus de la moyenne nationale de 9,7 %. Pendant ce quinquennat, les jeunes auront fait entendre leur voix, comme sous les gouvernements de droite. Des manifestations contre la Loi Travail aux rassemblements contre les violences policières, les lycéens, tout comme leurs aînés, sont régulièrement descendus dans la rue. Simple preuve que l'esprit contestataire français commence tôt, ou signe d'un ras-le-bol plus profond de la jeunesse ? Comment voit-on la politique, l'économie, la société française, aujourd'hui, quand on a 18 ans ? C'est ce que j'ai tenté de comprendre, en me rendant à la sortie d'un lycée parisien, au début du printemps. Ou plutôt deux lycées : le lycée Hélène Boucher et son voisin, le lycée général et technologique Maurice Ravel, Porte de Vincennes. Un peu perdue au milieu des élèves, tentant en vain de deviner quels élèves semblaient majeurs, j'ai approché au hasard un groupe de filles assises sur un banc, occupées à discuter. Je leur ai demandé, naïvement, quelle était la différence entre ces deux lycées qu'une seule rue sépare. « Ben là, à Hélène Boucher, disons que c'est plus blanc, tandis qu'à Ravel c'est plus mélangé », me résume l'une d'entre elles. « Nous, on vient de Ravel ». Les jeunes filles sont noires, deux d'entre elles portent le voile. Je ne les ai pas approchées dans le but de parler spécifiquement de ces sujets, mais c'est ainsi que nous avons poursuivi notre discussion sur la politique.

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Des affiches anti-Emmanuel Macron devant le lycée Maurice Ravel

Djenaba et Houza, 18 ans, sont en terminale STMG. Elles ont fait leurs vœux pour 2017. Elles ont longtemps hésité, il leur a fallu peser le pour et le contre : faut-il mieux aider les autres, ou penser à son propre salaire ? Y aura-t-il du boulot à la fin de leurs études ? Finalement, Houza a tranché, elle a choisi le social. Ce sera un DUT carrière sociale, ou, son second vœu, un DUT ressources humaines. De son côté, Djenaba a repéré plusieurs BTS sanitaire et social. Elles ont inscrit leurs différents choix sur la plateforme d'admission post-bac, en espérant être admises selon leurs vœux. En cette période, l'avenir, pour elles, c'est surtout un gros point d'interrogation qui entoure leur parcours personnel et un examen crucial à la fin de l'année. La campagne, la politique… tout cela leur paraît bien loin. Quand je leur demande si elles suivent les actualités, Houza me répond qu'elle suit MetroNews sur Snapchat (et VICE aussi, qu'elle ne connaît que via cette application). Mais la politique, les candidats…. « Hamon peut-être ? Il a l'air bien mais ce qu'il propose sur le cannabis, quand même, ça m'inquiète. Après, les gens ils vont faire n'imp' », observe-t-elle. Son amie Dalaba, actuellement en première année de Droit à la Sorbonne, après avoir étudié dans le même lycée, réagit : « En même temps, ceux qui fument juste par goût de l'interdit arrêteront de le faire… ». « Si tu viens le matin, ici, devant les lycées, il y a toujours un gros nuage de fumée », m'explique Djenaba. À part ça, Houza aime bien Mélenchon, parce que « c'est le seul à défendre les animaux ». Dalaba a étudié à la fac la proposition d'Emmanuel Macron de créer une commission composée de citoyens, devant laquelle le Président devrait rendre des comptes. Elle trouve ça « pas mal ». Toutes ne sont convaincues que d'une chose : « De toute façon, tout ce qu'ils promettent, ils ne vont pas le faire. » Dans leur famille, personne ne parle de politique. On ne suit pas vraiment la campagne, ne voyant pas vraiment ce que ça peut changer. La télévision ne sert que pour la Xbox des frères ou les dessins animés des plus jeunes. Mais il y a tout de même des limites : « Fillon ou Le Pen, c'est non ». « Fillon, il ne devrait pas être en prison ? Je ne comprends pas ce qu'il fait encore là…», affirme Houza. Marine Le Pen, « jamais de la vie », répliquent en chœur les trois jeunes filles. Et en même temps, « c'est la seule qui est franche. Au moins, elle cache pas qu'elle ne nous aime pas. Pas comme les autres. Ce qu'elle dit, on sait qu'elle le fera », lâche Djenaba.

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« Les hommes politiques créent des problèmes là où il n'y en a pas. À force d'entendre parler de l'islam tout le temps, je croyais que, nous les Musulmans, on était vraiment beaucoup…. Quand j'ai entendu à la télévision qu'on était juste 7,5 %, j'étais vraiment surprise. »

Une dizaine de jours après notre première rencontre, j'ai retrouvé Houza et Djenaba dans un café, et nous avons poursuivi notre discussion. Quand je leur ai demandé ce qu'elles trouvaient de plus injuste dans la société française, elles m'ont parlé du racisme. Les parents d'Houza sont originaires de Mayotte et des Comores. Ceux de Djenaba du Sénégal. Elles sont toutes les deux musulmanes. « On n'est pas victimes directement du racisme, mais on le voit autour de nous. Par exemple, un noir, quand il se fait arrêter, il a une peine plus lourde que si c'était un blanc », estime Djenaba. « Je porte le voile en dehors de l'école depuis que j'ai 15 ans. Au début, quand j'ai voulu le porter, j'avais peur qu'on ne voie que ça. Ma mère était un peu inquiète. Finalement, ça n'a rien changé pour moi. Mais je connais des filles qui se sont fait agresser pour le voile », m'explique Houza.

« En même temps, certains noirs ou arabes se conduisent mal. Si j'étais française de souche, je serais peut-être raciste », poursuit la jeune fille. Sa copine : « Par exemple, l'année dernière, je suis partie à une manifestation contre la loi travail. Au début, on criait, normal, et là y en a qui ont commencé à tout casser. Moi je dis : comment tu veux qu'on t'écoute si tu fais ça ? », affirme Djenaba. « Le problème, c'est qu'à cause de quelques-uns, on nous met tous dans le même panier », estiment-elles toutes les deux. « Au moment des blocus contre les violences policières, j'ai pas compris le rapport avec l'école. En tout cas, moi je pourrai jamais mettre tous les policiers dans le même panier », enchaîne Djenaba.

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Il y a surtout une chose qu'elles reprochent aux hommes politiques : " ils créent des problèmes là où il n'y en a pas ». « Moi, à force d'entendre parler de l'islam tout le temps, je croyais que, nous les Musulmans, on était vraiment beaucoup…. Quand j'ai entendu à la télévision qu'on était juste 7,5 %, j'étais vraiment surprise ! », lâche Houza. Tous les débats sur la religion et l'immigration leur paraissent passer à côté de la réalité. Djenaba habite Porte de Montreuil. Houza a longtemps habité Belleville avant de déménager à Gambetta. « Dans nos quartiers, il y a de tout. Sénégalais, Maliens, Arabes, Asiatiques… Entre voisins, on est amis. Les mamans parlent entre elles, échangent des recettes…», explique Djenaba. Les deux jeunes filles évoquent la vie de quartier avec beaucoup d'enthousiasme : les fêtes, les associations culturelles, les sorties entre jeunes… « C'est un peu comme une grande famille. »

Les discriminations, elles les sentent aussi au sein de l'éducation. Étudiantes en filières technologiques, elles se sentent dévalorisées. « Contrairement à beaucoup d'autres élèves, on a choisi d'être dans cette classe. Mais on a remarqué que les profs nous encouragent moins que les filières générales », observent-elles. « J'ai l'impression qu'on nous met dans des cases. À la base, j'étais en ES, mais je galérais un peu, alors on m'a dit d'aller en STMG. Finalement, j'ai fait ça, mais je me retrouve avec des élèves moins bons, je ne suis pas tirée vers le haut  », confie Houza.

Leurs parents, employés pour l'une, sans-emploi pour l'autre, les encouragent à faire de longues études. « Nous, on veut sortir de la reproduction sociale. Mais, en même temps, c'est sûr que c'est plus facile pour les bourgeois de s'en sortir », estime Houza. « Je suis allée visiter la fac d'Assas [une université de droit dans le 6e arrondissement], franchement je suis sortie parce que j'étais mal à l'aise, les mecs de notre âge étaient tous en costard », rapporte Djenaba. En tout cas, « pas question de faire un travail juste pour l'argent », même si c'est parfois difficile à faire entendre. « Ma mère dit qu'infirmière, ce n'est pas assez bien », glisse la jeune fille.

Un peu perdue entre son envie d'aider les autres, de s'investir dans le social, et son envie de faire une carrière où elle pourrait bouger à l'international – pourquoi pas aux États-Unis ou du côté des Comores –, Houza a un peu tardé à faire ses vœux sur la plateforme dédiée à l'orientation post-bac. « La veille, à minuit moins le quart, j'ai réalisé que la date butoir approchait, je me suis précipité pour faire mes lettres de motivation… Heureusement, en fait, c'était jusqu'au 2 avril inclus, du coup il me restait une journée », raconte la jeune fille. Pour les élections, ce sera un peu pareil, la décision se fera au dernier moment… « Bon, après, si je stresse trop dans l'isoloir, je le sens, je vais voter blanc ! »