Les maux du mur jaune 
du Borussia Dortmund

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Les maux du mur jaune du Borussia Dortmund

La Südtribune émerveille le temps d’un match les spectateurs venus s’offrir le grand frisson. Depuis quelques années, les supporters historiques du club regrettent, eux, une baisse de l’ambiance. Tentatives d'explications.

Mercredi 12 avril, 19 heures. Borussia Dortmund – AS Monaco, quart de finale de la Ligue des champions. Les sifflets redoublent d'intensité et la bronca s'empare progressivement de tout le Westfalenstadion. Fabinho essaye d'en faire abstraction et place soigneusement le ballon sur le point de penalty. J'interpelle mon voisin de stade pour lui préciser que le milieu monégasque n'a jamais manqué un penalty en match officiel. Sa réponse : « Oui, mais il n'en a jamais frappé face à la Südtribune ». Dressée face à lui, fière comme Artaban, la plus grande tribune debout d'Europe. 13 000* fidèles, (24 454 hors compétitions européennes) affublés de gilets jaune et noir pour graver les lettres BVB sur l'ensemble du bloc. Une fresque immense, à l'image de l'engouement qui se dégage de ce colosse de béton. Face à la pression infligée par ce mur, Fabinho frappe… à coté. Les supporters exultent, et les chants reprennent avec puissance et insouciance. Pourtant, depuis quelque temps, certains fans de Dortmund déplorent une baisse d'ambiance dans le mur, qui s'effrite jour après jour, match après match.

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Christian crie son amour pour le BVB depuis le milieu des années 90. Quand il ne s'époumone pas pour soutenir son équipe, il tapote sur les touches de son clavier. Toujours pour le Borussia. Cela fait plusieurs années qu'il est rédacteur pour Schwatzgelb, fanzine du Borussia Dortmund très respecté au sein de la communauté jaune et noir. De ses vingt années à vivre au rythme des succès et des déboires de son club, Christian a tiré des leçons. «La Südtribune est le cœur et l'âme du Westfalenstadion. Lorsque l'on pense au Borussia Dortmund, la Südtribune vient immédiatement à l'esprit, même lorsque vous n'êtes pas supporter. Sans elle, le Borussia n'est pas le Borussia ».

En avril 2013, lors du quart de finale de Ligue des champions face à Malaga, le mur jaune déploie ce tifo hallucinant.

L'épicentre de cette tribune, ce sont les Blocks 12 et 13, situés dans la partie centrale du bas de la Südtribune, squattés par les groupes ultras du BVB. Ils s'appellent The Unity, Desperados ou Jubos, et à chaque match, ils s'égosillent pour encourager leurs ouailles. Peu importe le match, peu importe le score ou le contexte. Celui de ce match face à Monaco est particulièrement difficile. Les ultras redoublent d'énergie pour faire bondir des milliers de personnes comme un seul homme, réveiller tout un stade, ou pour synchroniser toute la tribune au moment de frapper dans ses mains.

Mais les ultras se contestent parfois la domination de la tribune. Avec deux capos pour lancer les chants, The Unity régit la Südtribune. Mais d'autres groupes comme les Desperados – sensibles aux idées d'extrême droite - ont tenté par le passé de prendre le contrôle des opérations. Des batailles de pouvoirs néfastes pour l'ambiance.

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Indéboulonnables, les ultras ne sont pas pour autant majoritaires dans une tribune de 24 454 places. Et ce, malgré - si on en croit les bruits qui circulent du côté de Dortmund – l'importance de The Unity, qui serait l'un des plus importants groupes d'Europe avec près d'un millier de membres encartés. « Il y a aussi beaucoup de fans clubs et des simples supporters du club, qui n'appartiennent à aucune entité. On ne peut pas généraliser à propos de la Südtribüne, que ce soit sur l'âge, l'ethnie ou tout autre aspect », précise Christian. Un melting pot de supporters aux points de vues différents, mais unis par leur amour du Borussia Dortmund.

The Unity, un des groupes ultras de la Südtribune.

Problème, depuis quelque temps, une « cassure » s'est opérée au sein de la Südtribune entre les ultras et le reste des supporters. « Parfois, la vision du football des ultras est différente de celle d'autres personnes. Par exemple, la pyrotechnie. Les ultras la voient comme un bon moyen de supporter le club parce que c'est quelque chose de très visuel, de grandiose. Certains non-ultras seront d'accord, mais d'autres diront que c'est illégal et que cela n'a rien à faire dans le stade », explique Christian avant de relativiser. « Je pense que le mot cassure est un peu trop fort ».

Un article paru il y a quelques semaines sur Schwatzgelb – traduit par le site Generation WS – expose le fait qu'une partie des supporters ne partagent pas l'organisation des chants des ultras, qui « espèrent garder un rythme continu pendant 90 minutes alors que cela est juste impossible », tout en déplorant leur dépendance vis-à-vis de ces derniers : « Sans les ultras, il est devenu presque impossible de créer une atmosphère ». Ces fans regrettent l'époque où les chants spontanés émanaient de la tribune, celle où les supporters avaient quelques rimes en l'honneur des joueurs mythiques.

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Ces désaccords se reflètent en tribune. Les ultras sont le moteur de l'ambiance, mais pour faire monter les décibels, ils ont besoin d'être relayés par le reste des supporters. Un unisson plus rare qu'auparavant à Dortmund, comme nous le confirme Jens, abonné en Südtribune depuis plus de quinze ans. « Au fil du temps, on se rend bien compte que certains chants ne sont relayés que par le centre de la Südtribune ».

Photo CiccioNutella via Twitter.

Un autre caillou est récemment venu se glisser dans la godasse de la Süd. L'émergence d'une nouvelle entité: les Riot 0231. Un groupe hooligan, résurgence du Borussen Front, faction néo-nazie très connue à Dortmund, qui campait au Westfalenstadion entre les années 80 et 2000, plus pour propager ses idées xénophobes que pour supporter son équipe. Les Riot s'affichent comme leurs héritiers et veulent s'en montrer dignes. Là où le Borussen Front se distinguait en refusant l'entrée de fêtes de quartier à des enfants noirs, les Riot ont opté pour des chants antisémites, qui ont résonné dans les wagons du train affrété par les supporters de Dortmund, au retour de la dernière finale de coupe d'Allemagne contre le Bayern Munich. Patientant sur le quai à Berlin, à quelques minutes du départ de leur train, j'ai pu vérifier par moi-même l'amabilité de ses hooligans quand un de leurs membres m'a jeté une bouteille d'eau (vide) lorsque leur train a mis les voiles.

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Dans une ville d'ouvriers comme Dortmund, historiquement à gauche sur l'échiquier politique, les idées extrémistes de ce voisin encombrant ne font pas consensus. Au sein de la Südtribüne, les Riot dérangent. Surtout que le principal groupe de la Süd, The Unity, se revendique antifasciste et ne manque pas de combattre l'extrême-droite. Composés d'un noyau 40 à 60 membres, les Riots sont craints et menacent l'unité de la tribune, essentielle pour maintenir l'ambiance. Heureusement, ils sévissent le plus souvent lors des matches à l'extérieur. Enfin, ils sévissaient.

C'est sur le chemin d'un déplacement, le long d'une route entre Dortmund et Darmstadt, que leur marche en avant s'est achevée il y a quelques semaines. Le bus des hooligans a été stoppé et fouillé lors d'une intervention policière. « Il est très vite devenu évident qu'en allant à Darmstadt, les passagers avaient d'autres intentions que regarder un match de football », déclareront les forces de l'ordre dans un communiqué. Difficile à contredire, lorsque l'on voit l'arsenal découvert à l'intérieur du car : engins pyrotechniques, drogue, antalgique, balaclavas, gants de combat, j'en passe et des meilleurs. Mis devant le fait accompli, la DFB - la fédération de football allemand - n'a pas eu d'autres choix que de condamner 88 personnes à des interdictions de stade. Cependant, ces mesures restent provisoires : aucune interdiction ne dépasse deux ans. Le retour des Riot est donc programmé, enfin, pas tout à fait, puisque Christian affirme que « certains membres sont toujours présents dans la Südtribüne ».

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La Südtribune et ses blocs 12 et 13, à vide. Photo Flickr via lackystrike

Retour au Westfalenstadion. L'arbitre vient de siffler la mi-temps, le bourdonnement des supporters est remplacé par une sono qui crache des chansons à la gloire du Borussia Dortmund. Les gradins se vident aussi vite que les coursives se remplissent. Les toilettes sont blindées, les supporters fourmillent à droite à gauche et prennent d'assaut les stands de bouffes. Pas le temps d'engloutir une bratwurst que le match reprend. Un fracas s'empare alors de l'ensemble du stade. Les supporters acclament l'entrée en jeu de l'une des légendes du club, Nuri Sahin. Le milieu turc est un des seuls rescapés de la période dorée du BVB, au même titre que Marcel Schmelzer, Lukas Pisczeck, Roman Weidenfeller ou Sven Bender. Deux années – entre 2010 et 2012 - au cours desquelles le Borussia a marché sur l'eau et glané deux titres de champion d'Allemagne et une coupe d'Allemagne. Une ère d'osmose totale entre joueurs et supporters, onze guerriers portés par les encouragements de plus de 80 000 spectateurs.

Mais d'autres joueurs adulés des supporters jaune et noir, comme Großkreutz, Kuba ou Subotic qui n'entraient pas dans les plans du successeur de Jürgen Klopp, Thomas Tuchel, ont eux tracé la route. Des guerriers, capables de tuer pour défendre le blason du BVB, qui ont laissé un vide chez les supporters. Dans une terre de charbon et d'acier comme la Ruhr, on s'identifie plus facilement à une équipe reflet de la région : besogneuse et battante. « C'est profondément ancré dans l'histoire de la ville. Car beaucoup de travailleurs des mines de charbon n'avaient pas beaucoup de distractions dans leur dure vie d'ouvrier. Une des seules était le football et le Borussia. La connexion entre les fans et l'équipe a toujours été très forte », détaille Christian.

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Des profils qui se font de plus en plus rares dans l'effectif du BVB. Résultat, certains supporters ne se reconnaissent pas dans l'équipe actuelle. Christian en fait partie, tout en conservant une attache particulière avec certains joueurs. « C'est un problème pour beaucoup de fans, moi y compris. Ils me manquent des joueurs comme Großkreutz, Kuba ou Subotic. Mais il reste Schmelzer, Weidenfeller, Bender ou Reus auxquels s'identifier. ». Avec la Südtribüne, on ne triche pas : donnez tout sur le terrain, ils donneront tout en tribune.

Kevin Großkreutz, l'incarnation du joueur besogneux, mais idolâtré par le public jaune et noir. Photo Flickr via Kenneth K.

Quelques heures avant le match, dans l'une des artères piétonnes du centre-ville de Dortmund, des grappes de passants papotent en français. Langue de Molière et de Goethe se mêlent dans le brouhaha environnant. Beaucoup de Français ont traversé le Rhin pour assister à ce match. Mais ce n'est pas une exception. En atteignant la finale de Ligue des Champions en 2013, le club de la Ruhr s'est dévoilé au plus grand nombre. Un style de jeu rock'n roll, un entraîneur charismatique, un stade en fusion, de quoi attirer l'attention d'un nouveau public, de passage au Westfalenstadion le temps de 90 minutes.

Ces passionnés de ballon rond le sont un peu moins du BVB. Ils ne connaissent ni les chants ni les traditions du club, mais s'incrustent dans la Süd. Munis d'un billet acheté parfois 300 balles sur la plateforme Viagogo – comme l'a montré un reportage de Téléfoot il y a quelques années – alors qu'une place en Südtribüne chiffre à un peu plus de 16e… De quoi attiser les regards malveillants des supporters en place depuis des années. « Franchement, je me réjouis que de nouvelles personnes s'intéressent au Borussia Dortmund. Le seul problème, c'est qu'en Süd, on vient pour mettre l'ambiance. Si on veut juste en profiter pleinement, il faut aller en tribune latérale, » explique Jens, pragmatique.

Inutile de préciser que Viagogo n'est pas en odeur de sainteté chez les supporters du BVB. Lorsque l'on prononce ces trois syllabes face à des supporters locaux, les sourcils se froncent et les mâchoires se crispent. Il y a quelques années, les ultras du BVB ont même soutenu leurs ennemis jurés, Schalke 04, qui manifestaient contre la plateforme de revente de billet. C'est dire. En tout cas, l'ambiance du Westfalenstadion paye la rançon du succès sportif de son équipe. Une bonne nouvelle pour le marketing (et pour Viagogo). Sûrement une moins bonne pour le volume sonore de la Südtribüne.

Malgré tout, les nombreuses personnes ayant découvert la Süd cette saison en sont toutes ressorties impressionnées, le même commentaire sur les lèvres : « C'est la meilleure ambiance que j'ai vécue ». Si l'acoustique du stade n'a plus la même résonance que par le passé, lorsque le Gelbe Wand (mur jaune en allemand) se met à aboyer de toutes ses forces, ça fait un sacré boucan. Christian en est le témoin privilégié : « Quand la Südtribüne et le Westfalenstadion exploite tout son potentiel, cela devient une ambiance infernale. Avec tout le stade debout qui chante pour l'équipe. Là, le niveau sonore est très élevé ». Une clameur qui embrase tout le stade et fait monter une atmosphère parmi les plus chaudes d'Europe. Bien sûr, cela n'arrive pas à chaque match, mais quand c'est le cas, c'est juste extraordinaire », tempère Christian. À Dortmund, ce n'est pas l'affiche qui conditionne la ferveur, c'est le scénario. Une victoire pleine de courage et de fighting spirit face à Ingolstadt procurera surement plus d'émotions qu'un match nul face au Bayern Munich.

Dans les travées du Westfalenstadion, on croise des fans nostalgiques, mais aucun n'est résigné. Tous espèrent que l'ambiance redevienne ce qu'elle a pu être. Christian lui, voit même ça comme une mission. « C'est un défi pour tous ceux qui vont au stade. Soutenez l'équipe, faites de votre mieux, profitez de votre match et soyez conscient du fait que vous faites partie de l'atmosphère. Cela pourrait être une façon simple de remonter l'ambiance ».

* Au début des années 90, en réponse aux évènements tragiques du Heysel et Hillsborough, l'UEFA et le FIFA ont instauré l'obligation d'installer des sièges dans les enceintes au cours de leur compétition. Au cours de la Ligue Europe ou de la Ligue des Champions, des sièges sont donc installés dans la Südtribune, réduisant sa capacité de plus de 11 000 places.