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Harcèlement, gros lourds et mains au cul : mon quotidien de serveuse dans un bar

Les clients qui me foutent le plus mal à l’aise, en vrai, ce n’est pas tant ceux qui se permettent de me foutre une main au cul – ils sont assez rares, finalement –, mais c'est ceux qui viennent me murmurer des choses salaces à l'oreille.
Photo via Flickr user Daniel Hoherd

Bienvenue dans Cuisine Confessions, une rubrique qui infiltre le monde tumultueux de la restauration. Ici, on donne la parole à ceux qui ont des secrets à révéler ou qui veulent simplement nous dire la vérité, rien que la vérité sur ce qu'il se passe réellement dans les cuisines ou les arrière-cuisines des restaurants. Dans ce nouvel épisode, un chef néerlandais nous parle des deux seules soirées dans l'année où sa cuisine devient complètement hors de contrôle.

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« Je suis serveuse dans un pub irlandais » : c'est fou comme cette simple phrase a le don de faire fantasmer la plupart des mecs. Pourtant, je ne fais rien pour provoquer toute cette attention : je ne suis serveuse que le soir, à temps partiel, et la plupart du temps, je porte les mêmes fringues qu'à mon boulot principal. Je l'avoue, j'ai quelques formes et mes habits de bureau sont un peu moulants mais franchement, rien de spécialement aguicheur. Et puis surtout, je ne me suis jamais dit un truc du genre : « allez, ce soir je fais tomber le décolleté pour aller bosser au bar ».

On a des « tenues de travail » à disposition si on le souhaite, mais perso je n'en ai jamais porté. Il s'agit de petits polos moulants avec le logo de l'établissement. On est quelques unes ici à être bien pourvues au niveau de la poitrine – si vous voyez ce que je veux dire – et donc on a très vite abandonné l'idée. On s'habille un peu comme on veut, en fait.

En fait, peu importe ton apparence, que tu sois bien foutue ou non, si t'es une femme et que tu bosses dans ce milieu, les mecs vont obligatoirement porter un regard sexué sur toi.

Pourtant, après avoir bossé quatre ans dans ce pub, le regard que j'ai sur mon corps et sur ma sexualité a changé. Avant de bosser ici, je travaillais dans un autre bar irlandais où pour le coup, ma tenue vestimentaire était vraiment suggestive. Mais à l'époque, je n'avais aucun problème avec ça – c'était un bar universitaire. Personne n'était au courant, mais je couchais en secret avec le patron, et du coup, j'adorais la façon dont j'étais habillée et les regards qu'il me portait. Mais quand j'y repense, ce look était ridicule : je portais l'une de ces robes T-shirt d'American Apparel, toutes noires avec de longues manches et un dos complètement nu. Impossible de passer à côté de mon soutien-gorge léopard. Le reste de ma tenue se composait de collants transparents noirs, de chaussures de restauration et d'un tablier par-dessus. J'ai un peu honte quand j'y repense : je portais ça tous les jours quand même, c'est chaud.

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Je fais partie de ces filles qui doivent se retenir de sourire quand elles reçoivent un compliment ou se font siffler dans la rue. Que je trouve les remarques des hommes gratifiantes ou non, j'essaie de ne pas extérioriser mes réactions. Derrière le bar, c'est pareil. Mais c'est devenu très difficile de faire comme si de rien était : j'ai de plus en plus conscience de ce que cela veut dire d'être féministe et de ce que cela implique en tant que femme – surtout lorsque l'on est victime de harcèlement sexuel.

La différence entre le harcèlement sexuel auquel je suis confrontée quand je bosse dans mon pub et celui qui peut exister ailleurs, c'est que derrière le bar, j'ai cette option de pouvoir arrêter l'interaction avec le client quand je veux. Si un type commence à essayer de me tripoter en salle, je sais que je peux toujours aller me mettre à distance derrière le bar. Dans le pub, j'ai une porte de sortie, contrairement à l'extérieur où, si je venais à croiser le chemin d'un tordu avec les idées mal placées – le genre de mec qui continue à te peloter alors que tu lui as dit d'arrêter – je serais morte de trouille. Je n'ose même pas m'imaginer l'horreur que cela pourrait être d'avoir à gérer dans la rue les situations qui m'arrivent tous les jours en tant que serveuse.

En fait, c'est une histoire de pouvoir. En tant que serveuse, c'est moi qui gère ce qui se passe dans le pub, et donc j'ai l'autorité pour te dire que quelqu'un dépasse les bornes. J'ai juste à dire : « Arrête, t'es bourré » et généralement, les gros lourds dégagent d'eux-mêmes. Dans la rue, ce n'est pas aussi facile que ça.

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Dans un pub, le harcèlement sexuel se manifeste sous plusieurs formes. D'un côté, il y a ces vieux messieurs (dont je pourrais être la fille) qui me sortent des trucs presque mignons du genre : « Tu es vraiment ravissante ! Je dirais même mieux : tu es radieuse ! » : là ça va, c'est assez soft. De l'autre, il y a les habitués, plus jeunes, qui essayent de me prendre à part pour me draguer bien lourdement. Ceux-là, en général, je les vois arriver à des kilomètres et à chaque fois je me dis : « Allez, encore un qui va me tenir la jambe un quart d'heure. »

À chaque fois que cela m'arrive, j'ai peur de ruiner la vie de quelqu'un sous prétexte que j'ai (peut-être) mal interprété des signes.

Ceux qui me foutent le plus mal à l'aise, en vrai, ce n'est même pas ceux qui se permettent de me foutre une main au cul – ils sont assez rares, finalement – c'est ceux qui viennent me murmurer des choses salaces à l'oreille ou bien me dire qu'ils sont amoureux de moi. Je ne suis pas une fille facile. Cela ne m'empêche pas d'être ouverte et sympathique. Par exemple, j'adore lier des amitiés avec les clients hommes ou femmes qui viennent dans mon pub. Je pense que, globalement, les clients m'apprécient pour ma gentillesse, mais je ne suis vraiment pas faite pour flirter sur mon lieu de travail – donc on ne peut pas dire que j'aguiche les mecs.

Il y a un habitué dans mon pub, le mec est tout le temps là : en journée, en soirée, tout le monde le connaît. Et quand je suis arrivée, il ne pouvait pas s'empêcher de montrer à quel point je lui plaisais physiquement, c'était infernal. Dès que je passais près de lui, c'était des trucs bien lourd, genre : « Mais merde, regardez-moi cette petite bombe ! » Puis éventuellement, il se donnait le droit de m'attraper par la hanche et me foutait une main au cul. Je ne suis pas la seule à qui ce genre de choses est arrivé. Je crois que le mec ne pouvait tout simplement pas s'empêcher de sexualiser systématiquement les rapports avec les autres, femmes ou hommes, sans distinction.

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Ces mecs-là sont visiblement nostalgiques d'une époque où harceler une femme ne posait aucun problème.

Aujourd'hui encore, je me pose encore la question : est-ce que je devais me sentir flattée par son comportement ? La vérité c'est que je ne savais pas comment gérer ce genre de situations. Une partie de moi me disait d'arracher sa main de ma fesse et de lui foutre dans la gueule. Quant à l'autre partie de moi, je n'ai jamais su ce qu'elle m'intimait de faire. Après quelques semaines de ce petit jeu, j'en ai parlé à mes patrons et voici ce qu'ils m'ont conseillé de faire : « Dis-lui simplement qu'il te fout mal à l'aise, il ne le prendra pas mal. » Dont acte, le lendemain, je suis allé le voir et je lui ai sorti : « Je ne veux pas que vous fassiez ça parce que sinon, les autres vont penser qu'ils peuvent le faire aussi. » Ne pas mettre mal à l'aise les habitués, c'est mon job et je l'ai bien compris ce jour-là. Ce n'était pas envisageable de lui dire cash : « Hé ! Tu me harcèles sexuellement mec et perso, je dois dire que ça me dérange un peu. » Il a compris la leçon et il m'a laissé tranquille. Récemment, il se pointe à nouveau pendant mes heures de service et j'ai peur qu'il recommence. Peut-être qu'il s'imagine que tous les deux, on en est à un stade où il peut finalement se permettre ce genre de familiarités.

Je bosse dans des restaurants depuis que j'ai douze ans et même à cet âge-là, les cuistots me draguaient. En fait, peu importe ton apparence, que tu sois bien foutue ou non, si t'es une femme et que tu bosses dans ce milieu, les mecs vont obligatoirement porter un regard sexué sur toi. Je me demande encore si, avec tout ce qu'il m'est arrivé, j'arrive à prendre la mesure de ce que cela représente. En y réfléchissant, je me rends compte que je me suis fait harceler, beaucoup – que ce soit dans les bars ou dans la rue – mais que j'ai rarement fait quelque chose pour que cela change. Je pense que les femmes ont peur de se ridiculiser ou bien de péter un câble. Selon moi, c'est dû à la peur de se faire traiter de menteuses. Et c'est vrai : à chaque fois que cela m'arrive, j'ai peur de ruiner la vie de quelqu'un sous prétexte que j'ai (peut-être) mal interprété des signes ; j'ai peur de m'être fait de fausses idées sur ses intentions et à cause de ça, de foutre en l'air sa vie sociale. Je pense que les pervers qui harcèlent les femmes jouent sur cette gêne et en profitent pour prendre l'ascendant psychologique.

Je me souviens de ce soir où un type complètement bourré m'a maté des pieds à la tête avant de lâcher un « Wahou » tout en essayant de m'attraper par les hanches. Je lui ai dit : « Écoutez monsieur, vous avez dû vous tromper de bar, ce n'est pas le genre de la maison. » Résultat : il s'est excusé direct. Mais s'il pensait qu'il pouvait le faire ici, c'est la preuve qu'ailleurs, c'est encore un comportement plus ou moins toléré…

Le pire, c'est quand un mec me fait un compliment un peu rentre-dedans dans la rue : en général, je réponds juste « Merci » et puis je trace parce que cela me met mal à l'aise. Mais il y a toujours quelqu'un pour dire une connerie du style : « Ah voilà, les femmes ne savent même plus prendre les compliments de nos jours ! » Ça me fout trop les boules. Ces mecs-là sont visiblement nostalgiques d'une époque où harceler une femme ne posait aucun problème. C'est triste à dire mais dans ma vie, je ne compte plus le nombre de fois où je me suis sentie humiliée par ce genre de réflexions. Le nombre de fois où je ne me suis pas laissée faire – et où j'ai exprimé ce que je ressentais vraiment – se compte, en revanche, sur les doigts d'une main. Mais dans ces rares moments, je me suis sentie épanouie, comme portée par une bonne énergie – je me suis sentie moi-même. Et par-dessus tout : j'ai eu l'impression d'être une personne à part entière avant d'être la cible d'un désir sexuel.

Propos recueillis par Talia Ralph.