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Music

Et si Odd Future était le meilleur centre de formation du hip-hop actuel ?

Ils étaient l'équivalent du Barça à la fin des années 2000. Ils sont aujourd'hui une usine à poids lourds - avec tous les problèmes que ça implique.

À la fin des années 2000, ils n'étaient encore que Tyler Okonma, Thebe Neruda Kgositsile, Christopher Ocean, Dominique Marquis Cole, Gerard Long ou Sydney Bennett, soit une bande de potes quelconque, errant dans les rues de Los Angeles à la recherche de cool, de fun, de weed et de quoi stimuler leur esprit créatif. Les idées fusent dans tous les sens, leur néo-collectif peine à se concentrer autour d'une idée fixe, mais les mecs finissent par se mettre d'accord autour d'un véritable projet : OFWGKTA (pour Odd Future Wolf Gang Kill Them All), soit un collectif de rappeurs, producteurs, vidéastes et skateurs de L.A.. Forcément, le projet intrigue et, rapidement, tous ces gamins n'ont plus rien de lambda. Ils sont désormais (re)connus sous leur blaze d'artiste : Tyler, The Creator, Earl Sweatshirt, Frank Ocean, Domo Genesis, Hodge Beats ou encore Syd Tha Kid. Bref, autant de personnalités extravagantes et fascinantes, qui ne tardent pas à affoler les sous-vêtements des magazines spécialisés internationaux.

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En à peine quelques mois, les gus d'Odd Future trainent en effet leurs guêtres dans les colonnes du Times, du Gardian ou du NME, multiplient les plateaux télévisés US et, surtout, font le buzz au festival SXSW où, en bonnes têtes brûlées, et sous le regard bienveillant de P. Diddy, ils balancent, l'air de rien : « Kill people, burn shit, fuck school ». On est alors en 2010 et l'Amérique tient ses nouveaux prodiges hip-hop, ceux dont on s'amuse des shows délirants et des paroles odieuses, mais dont on craint malgré tout le passage à l'âge adulte. Après tout, comment conserver cette énergie, ce je-m'en-foutisme une fois le succès arrivé ? Comment ne pas laisser la folie de ses jeunes années derrière soi une fois les premiers albums enregistrés et salués par la critique ?

Ce que l'on ne savait pas à l'époque, c'est à quel point le crew continuerait d'avancer à coups de dingueries et d'idées farfelues - une pensée ici pour le show télé Loiter Squad, produit par les mecs derrières Jackass, où il est question, forcément, de musique, de sketches et de mises en situation absurdes. Bon, leurs albums collectifs ont davantage séduit par leur fraicheur et leur entrain que par la cohérence de l'ensemble, mais quand même : force est de constater que tous les MC's du posse ont entamé des carrières solo solides. Au point de considérer Odd Future comme le meilleur centre de formation du hip-hop actuel ? L'équivalent du Barça à la fin des années 2000 ? C'est un peu l'idée, oui : de Tyler, The Creator à Frank Ocean, (presque) tous sont parvenus à s'affranchir de l'imagerie du collectif pour construire un univers singulier, nihiliste et unique. Même les artistes ayant gravité un temps autour de la sphère Odd Future semblent aujourd'hui être considérés comme les poids lourds du rap mondial, à l'image de Vince Staples, dont les productions jouent dans une cour que peu fréquentent.

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En avouant s'être inspiré de Joy Division pour la conception de son premier forfait, Summertime 06, le rappeur de Los Angeles confesse lui une évidente fascination pour le rock, et particulièrement celui de Ian Curtis et sa bande - un peu à la manière d'Earl Sweatshirt qui reprend le titre « Decades » au synthé ou Tyler, The Creator qui se définit comme un « Ian Curtis des temps modernes ». C'est bête, mais ça dit en partie l'ouverture d'esprit d'un collectif qui a, ces dernières années, infusé cette philosophie au sein de la pop music mondiale, quitte à mettre en ligne des clips héritiers des grandes heures de MTV, à signer des groupes punk (Trash Talk) sur son propre label, Odd Future Records, et à influencer une nouvelle génération de jeunes MC's hilares (D.R.A.M., Chance The Rapper).

Tout ça, sans se soucier une seconde de l'image qu'ils renvoient ou de la cohérence de leur démarche. Fatigué par la hype qui le suivait partout, Earl Sweatshirt a par exemple opté pour un hip-hop sombre, sorte de vision noircie de Los Angeles, sur deux premiers albums qui ne laissent aucun doute quant à son goût pour les atmosphères rugueuses, ténébreuses et hantées - toujours plus cathartique, Earl, sur I Don't Like Shit, I Don't Go Outside, aborde quand même la perte de sa grand-mère, une rupture compliquée ou encore les affres de la célébrité. Pourtant, le mec a beau tout faire pour s'éloigner des refrains festifs et de la hype Odd Future (voir le clip de « Grief » et sa caméra thermique en noir et blanc, ou encore l'atmosphère austère de son deuxième album), c'est bien lui qui attise l'excitation chez les puristes. Voire même davantage : I Don't Like Shit, I Don't Go Outside s'étant placé troisième au top iTunes à sa sortie en 2015, juste derrière Kendrick Lamar et Action Bronson.

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Le succès, Frank Ocean le connaît lui aussi. Et de manière beaucoup plus intense encore. Depuis 2011 et sa fameuse collaboration sur « No Church In The Wild » de Kanye West et Jay-Z, et surtout depuis le formidable Channel Orange en 2012, le « chanteur » d'Odd Future n'a jamais quitté la hype. Mais plus que le buzz autour de lui, c'est surtout son originalité que l'Américain a merveilleusement entretenu ces dernières années, mettant au point deux albums dantesques, composant pour Beyoncé ou Brandy, et prouvant à tous les amateurs de pop et lecteurs de Pitchfork que les artistes r'n'b étaient bien plus que des putes à refrain. Ses productions ne sont certes pas les plus avenantes, les plus aisées, les plus haletantes, mais elles possèdent sans aucun doute des intentions qui ouvrent sur de nouveaux horizons.

Conscients que l'avenir se trouve dans l'expérimentation des différents courants musicaux, Syd et Steve Lacy, les dernières pépites de la galaxie Odd Future à se lancer en solo, réservent elles aussi de nombreuses surprises. Tous les deux issus de The Internet, Syd et Steve Lacy sont en train de devenir les icônes d'une nouvelle vague r'n'b/soul, plus nuancée que Pharrell, moins conquérante que The Weeknd et surtout plus portée sur une imagerie androgyne. Mais, au fond, on se fiche des poses, seule compte la musique. Et, sur ce plan, on est gâté : entre le premier album de Syd, Fin, piloté aux côtés d'une poignée de hitmakers (Rahki Beats, Hit-Boy, Anthony Kilhoffer) et les premières démos de Steve Lacy, on tient là possiblement l'avenir de la soul, celle qui happe sans en faire trop, ne taille aucun refrain évident et regarde dans le rétro sans aucunes velléités passéistes, simplement pour en extraire ce qui se produisait de plus intéressant - chose qui était pourtant loin d'être gagnée quand on (ré)écoute Purple Naked Ladies de The Internet, première sortie physique d'Odd Future en 2011 qui témoigne avec le recul des progrès accomplis par Syd et sa bande ces derniers mois.

Reste que si les différents membres du collectif semblent avoir grandi et embelli sans avoir prévenu personne, et peut-être même donné des idées collectivistes à des entités telles qu'Awful Records, leur histoire n'a rien d'un conte de fées. Ces deux dernières années, il paraît en effet presque évident que certains membres du collectif sont en légère perte de vitesse. Le premier album d'Hodgy Beats est sorti en décembre dernier dans un silence presque insultant (il s'appelle Fireplace: TheNotTheOtherSide, pour info), celui de Domo Genesis n'a pas fait beaucoup plus de bruit, tandis que Tyler, The Creator semble quant à lui passer plus de temps à récolter les cliques qu'à chercher de nouvelles perspectives. Exemple : son dernier et troisième album, Cherry Bomb, sorti en 2015, s'est révélé moins inspiré que ses prédécesseurs. Le casting était ambitieux (Kanye West, Pharrell, Roy Ayers), certains morceaux affichaient un sacré potentiel, mais on ne pouvait s'empêcher, une fois le disque terminé, d'avoir l'étrange impression qu'il cherchait alors à mettre de côté son innocence et ses années au sein d'Odd Future - le titre « Fucking Young » et l'absence des « OF » et des « Golf Wang » scandés jusqu'alors dans ses morceaux ne disent pas autre chose.

Ça n'a bien sûr rien de foncièrement inquiétant, Tyler, The Creator reste un gars cool, un mec qui peut toujours se permettre d'interviewer en totale décontraction Seth Rogen ou d'enchainer les séances en studio avec Pharrell. On ne doute d'ailleurs pas que le bonhomme soit encore capable de nous surprendre, musicalement ou non, mais attention quand même à continuer de faire la différence entre une idée stimulante et un simple gimmick, à faire en sorte que ses gamineries ne finissent pas par faire ombrage aux productions publiées ça et là. Après tout, ce qui était drôle hier peut finir par devenir honteux, et avouez que ça serait dommage : pour Tyler, The Creator, mais aussi pour les membres d'Odd Future, qui, après avoir composé la bande-son idéale des soirées barbecue en bord de plage, celles où trainent la weed et les fesses rebondies, ne cessent d'élargir intelligemment leur palette sonore.