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L'actrice de séries B qui a changé l'image de la femme grâce aux arts martiaux

Tura Satana avait à l'origine pris des cours de karaté et d'aïkido pour se venger de ses violeurs. Après ça, elle enseignera la danse à Elvis et changera l'histoire du cinéma.

C'est un grand classique des arts martiaux : un jeune débutant tombe sur une performance de maître qui lie contrôle mental et capacités physiques, et réalise qu'il veut apprendre à faire la même chose. Il approche donc la personne qui vient de démontrer des prouesses d'une efficacité clinique et lui demande de lui enseigner son art. Mais le maître n'est pas impressionné par l'enthousiasme du néophyte. Les arts martiaux ne sont pas faciles, et ne sont pas une futilité qu'on peut abandonner du jour au lendemain dit le maître à son potentiel élève. Il va falloir prendre cela au sérieux.

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Les acteurs de cette fable bien connue étaient un peu différents en 1956, quand un chanteur plein d'avenir nommé Elvis Presley approche la danseuse adolescente Miss Japan Beautiful (aka Tura Satana) dans les coulisses du Chicago's Follies Theatre. Lui est en train de devenir un vrai fan - il avait déjà pu voir son numéro à Biloxi neuf mois auparavant et l'avait brièvement rencontrée après le spectacle - et il voulait savoir comment elle pouvait bouger comme elle le faisait quand elle était sur scène. Satana raconte alors à la future superstar (et grand passionné de karaté) que la force et la souplesse qu'on pouvait voir dans ses performances étaient le résultat d'un entraînement aux arts martiaux.

« Il m'a demandé si je pouvais être sa professeure, se souvenait Satana dans un passage du livre de Pamela Des Barres Let's Spend the Night Together: Backstage Secrets of Rock Muses and Supergroupies. Je lui ai dit : "Les arts martiaux ne sont pas qu'une forme d'art, cela t'apprend aussi le contrôle". Et il m'a répondu : "Eh bien, t'en as vraiment du contrôle !" »

Comme l'a expliqué Satana à Des Barres, elle a enseigné à Elvis pas mal de choses à propos des mouvements du corps et du contrôle dans les années qui ont suivies. Mais avant de lui enseigner comment utiliser sa bouche, Tura Satana, la danseuse influencée par les arts martiaux, a enseigné à Elvis comment faire bouger ses hanches.

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Tout le monde ne croit pas à la version des faits de Satana. Le journaliste Geoffrey Johnson du Chicago Magazine pense que le déroulé des événements ne correspond pas avec l'ascension d'Elvis vers la célébrité. Mais ce qu'il y a d'exceptionnel avec Tura Satana, c'est que même si cette histoire n'était pas authentique, le reste de sa vie - ou en tout cas ce qu'on en sait - est tout de même complètement épique. Et si l'anecdote est vraie, le fait d'avoir enseigné son déhanché à Elvis resterait l'un de ses accomplissements les moins intéressants dans le monde des arts martiaux et du divertissement.

Tura Satana (née Yamaguchi) est née le 10 juillet 1938 à Hokkaido au Japon. Son père, à moitié Philippin, a joué dans des films muets. Sa mère, d'origine cheyenne et écossaise, faisait du cirque. Ils ont déménagé aux Etats-Unis quand elle avait 4 ans, mais il ne s'agissait pas vraiment du nouveau départ qu'avait espéré la famille. Tura et son père ont passé à l'époque deux ans et demi dans le camp d'internement de Manzanar pour Nippo-Américains avant de pouvoir retrouver sa mère et de se construire une vie à Chicago.

Mais l'enfance de Tura à Chicago était aussi pleine de dangers. A l'école, on se moquait de ses origines japonaises. « Je n'ai pas arrêté de me battre en allant à l'école et en en revenant, a-t-elle expliqué à Jimmy McDonough dans Big Bosoms and Square Jaws: The Biography of Russ Meyer, King of the Sex Film. On me traitait constamment de bridée, de femme-singe. » A l'âge de dix ans, un groupe de cinq adolescents s'approche d'elle alors qu'elle revient chez elle après avoir été acheter du pain pour sa mère. Ils la jettent dans une voiture et la violent. Elle est ensuite laissée pour morte dans une ruelle.

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Les répercussions de son viol n'ont fait que victimiser encore plus la jeune fille. Ses violeurs n'ont jamais été poursuivis. Selon le livre de McDonough, Satana a découvert plus tard que le juge avait été acheté. Elle fut envoyée en maison de redressement pour avoir "tenté" les assaillants. « Tout le monde rejette la faute sur toi pour avoir été violée, pas sur le violeur », se remémore-t-elle dans une autobiographie jamais publiée.

Après cela, Tura commence à prendre des leçons d'arts martiaux avec son père avec l'espoir de pouvoir se protéger. « J'étudiais l'aïkido, ce qui est très bien pour les femmes, parce qu'elles n'ont pas à s'inquiéter pour l'état de leurs mains, explique-t-elle au public lors d'une conférence dans une librairie de Santa Monica le 27 juin 2003. Une combinaison de karaté, d'aikido et de judo. Cela se base sur l'exploitation des forces et des faiblesses de son adversaire. »

Mais il y avait un autre motif derrière son entraînement : la vengeance. « Je me suis promise qu'un jour, je ne sais pas comment, je prendrais ma revanche sur eux. »

En plus de son entraînement plus traditionnel - même si la vraie source de cette information est difficile à déterminer, elle aurait été ceinture verte d'aïkido et ceinture noire de karaté - la jeune Tura forme une bande de filles pour patrouiller dans la communauté. « C'était un gang de filles qui pouvait se défendre, mais on ne cherchait pas à semer le trouble, a-t-elle déclaré dans une interview en 2008 à Zuri Zone. On essayait d'empêcher les problèmes de survenir, notamment pour les autres filles. »

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Elle aura l'occasion de prendre une revanche physique sur ses agresseurs. Si elle n'a jamais parlé de ces événements en détails, elle y a fait référence avec fierté dans son autobiographie : « Ils n'ont jamais su qui j'étais avant que je leur dise. »

Pour essayer de garder leur fille sous contrôle, les parents de Tura la forcent à se marier avec un ami de la famille alors qu'elle est toujours adolescente. Mais on ne peut pas dompter Tura Satana comme ça, et elle s'enfuit alors vers le monde du burlesque, en ne prenant avec elle rien de plus que son patronyme. Si ce monde n'est pas parfait non plus - plusieurs danseuses sont jalouses de ses qualités - elle arrive à trouver un semblant d'esprit de famille et de compassion là-bas. Au moment de la mort de son second mari, un jockey, dans des circonstances tragiques, elle explique que c'est la danse qui l'a sauvée.

C'est aussi en faisant la tournée des cabarets qu'elle rencontre Elvis avec qui elle entretient une relation amoureuse, un parmi d'autres admirateurs célèbres. Et c'est aussi là qu'elle attire l'attention du cinéma et de la télévision. Elle tiendra des petits rôles, dans Irma La Douce de Billy Wilder avec Jack Lemmon et Shirley MacLaine, et dans un épisode de Des agents très spéciaux (The Man From U.N.C.L.E. en VO) où elle côtoie un tout jeune Kurt Russell. On lui donne ensuite l'opportunité d'auditionner pour le dernier film du sulfureux Russ Meyer. Satana est à deux doigts de refuser le rôle, parce qu'elle n'est pas vraiment convaincue par la réputation de réalisateur de sexploitation de Meyer, mais son agent lui assure que ce film-là sera différent.

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Pendant l'audition, Meyer demande à voir comment elle jouerait Valma, la cheffe du gang de filles de son dernier scénario. « Je lui ai dit que je pouvais la jouer de deux façons. Je pouvais la jouer très douce et féminine, ou je pouvais la jouer comme une femme très couillue », déclara-t-elle dans son intervention en librairie de 2003. Meyer lui demande alors de la jouer des deux façons. Il préférera la deuxième approche.

En plus de l'attitude de casseuse de couilles qu'elle a dans ce film qu'on connaît aujourd'hui sous le nom de Faster Pussycat, Kill Kill, Satana apporte également ses capacités physiques et ses connaissances à la production. « J'ai effectué toutes mes scènes de combat. Je chorégraphiais tous les combats. Je devais littéralement guider certains des mecs durant les scènes de baston parce qu'ils avaient trop peur de se blesser. Surtout le premier mec à qui je case le cou dans le film. C'était celui qui avait le plus peur de tous. Il a fait la grosse poule mouillée quand il a eu une scène avec une tarentule ! Mais personne ne s'est blessé sur le tournage. »

Sorti durant l'été 1965, Faster Pussycat ne ressemblait à rien qui avait déjà été fait au cinéma ou à la télévision. Le personnage de Satanta, Valma, et son gang étaient des bad girls à fortes poitrines, d'accord, mais elles étaient surtout des bad girls avec des capacités physiques intimidantes, quelques mois avant de découvrir la pro du karaté Emma Peel dans Chapeau melon et bottes de cuir, et plusieurs décennies avant des héroïnes comme Buffy contre les vampires ou Katniss Everdeen d'Hunger Games. C'était les débuts des héroïnes d'action, et son influence se ressent encore aujourd'hui dans le travail de réalisateurs comme Quentin Tarantino.

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A l'occasion du trentième anniversaire de la sortie de Faster Pussycat, le célèbre critique de cinéma Roger Ebert écrivait ainsi : « Ce qui attire le public, ce n'est pas le sexe et pas vraiment la violence non plus, mais cet imaginaire Pop Art de femmes puissantes, filmées avec intensité et exagérées d'une façon qui semble bizarre et contre-nature. Alors qu'Arnold Schwarzenegger, Sylvester Stallone, Jean-Claude Van Damme et Steven Seagal jouent à peu près les mêmes personnages. Sans les soutiens-gorge évidemment. »

Dans une interview pour Confessions of a Pop Culture Addict, Satana offre une théorie similaire pour expliquer le succès dans la durée du film. « Je dirais que l'attrait du film réside dans le fait que les femmes y ont du pouvoir. Notamment Varla. Varla était celle qui tuait tout le monde et faisait ce qu'elle voulait. Elle savait ce qu'elle voulait dans la vie. Elle y allait. »

Près de quatre décennies après sa sortie, Satana expliquait son point de vue sur les progrès effectués pour les actrices et les personnages comme Valma en 2003. « C'est beaucoup mieux qu'avant. Les femmes sont vraiment devenues ce qu'elles devaient être. Avant, elles étaient des femmes au foyer. Elles étaient faibles, ou elles étaient la petite amie de quelqu'un et s'enfuyaient. Elles se cachaient, elles pleuraient, elles se lamentaient. Mais aujourd'hui c'est une autre paire de manches. Les femmes commencent à faire d'autres choses que de se tenir dans la cuisine et faire à manger, ou avoir l'air jolie. Vous pouvez être jolie et botter des culs. »

Et elle était en faveur de tout cela. La seule chose qu'elle ne pouvait pas supporter était l'idée d'un remake de Faster Pussycat. Il y a bien eu une rumeur selon laquelle Tarantino himself aurait pu être attaché au projet à un moment - avec Britney Spears bizarrement dans le rôle de Valma - mais Satana avait clairement expliqué qu'elle trouvait l'idée complètement inutile et insultante. « Je pense que s'il fait ça un jour, je le tue, raconte-t-elle à Confessions of a Pop Culture Addict. Il aurait tué mon rôle, alors je l'aurais tué lui. »

Malheureusement, la révolution que démarre Satana avec le rôle de Valma n'arrive pas assez rapidement pour lui assurer une carrière cinématographique digne de ce nom. Même si elle fut la star de quelques classiques de la série B réalisés par Ted V. Mikels, elle n'aura plus beaucoup de projets au cinéma après The Doll Squad en 1973. Satana continue de se concentrer sur la danse à la place, avant de devenir infirmière. Après un accident de voiture dans les années 80, elle prit un travail moins physique pour payer ses factures, notamment un boulot dans la sécurité d'un hôtel à Reno, Nevada. Elle fera aussi plusieurs apparitions dans des conventions, et eût même quelques petits rôles dans des films au début des années 2000. Elle continua de botter des culs durant toutes ces années et ce, jusqu'à la fin.

« Malgré la pose d'un pacemaker en 2003, elle semblait toujours aussi vigoureuse, écrivait le Guardian dans sa nécrologie. Dans une interview, elle se souvenait de ce qui s'était passé quand un fan un peu trop enthousiaste s'était caché dans sa chambre d'hôtel après une séance de dédicaces : "Il a traversé la chambre et a fini avec un bras cassé, le nez pété et une jambe tordue. La sécurité de l'hôtel a dû le transporter hors de la chambre. »

Tura Satana est décédée le 4 février 2011 à Reno au Nevada mais son impressionnant - pour ne pas dire intimidant - héritage continue de lui survivre.

Et même si des rumeurs continuent de tourner autour de Quentin Tarantino et d'un possible remake, cela reste de la simple spéculation jusqu'ici. Qui oserait aujourd'hui enfiler ses cuissardes ?