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Des chercheurs testent un traitement contre la dépression à base de psilocybine

Après le LSD, les champignons magiques. En ce moment la biomédecine prend beaucoup de drogue.

Dans un essai clinique récent au Royaume-Uni, 12 patients victimes d'une forme de dépression très sévère ont essayé un comprimé dont la composition différait sensiblement des antidépresseurs habituels : 25mg de psilocybine, le composé aux effets psychotropes que l'on trouve dans les champignons magiques.

Bien que l'essai n'en soit qu'à ses débuts (c'est la première étude de ce genre), ses premiers résultats sont déjà très prometteurs.

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Dans une étude de faisabilité publiée hier dans la revue The Lancet Psychiatry, les chercheurs ont rapporté que la substance avait été extrêmement bien tolérée par le groupe de sujets. Ils se montrent d'ailleurs très optimistes quant à l'efficacité de ce traitement.

« Notre découverte la plus significative est que la psilocybine est extrêmement bien tolérée par cette population. Mieux encore, ses effets antidépresseurs semblent réels. Il y aura peut-être un traitement à la clé, » explique Robin Carhart-Harris, psychopharmacologue au Collège Impérial de Londres, et auteur principal de l'étude.

Les 12 patients ont rapporté que la sévérité des symptômes dépressifs avait décliné de manière considérable une semaine seulement après le début de l'expérience. Pour la plupart d'entre eux, cette amélioration s'est poursuivie lors des trois mois suivants. La première semaine, 8 patients se sentaient tellement mieux qu'on pouvait les déclarer « en rémission » sur des critères sémiologiques.

« Il est difficile de ne pas s'enthousiasmer après les premiers résultats, » explique Carhart-Harris. « Évidemment j'essaie de mettre les patients en garde, de leur dire qu'on ne peut pas encore s'avancer et qu'il faut rester très prudents. Mais moi-même, je ne peux pas m'empêcher d'envisager l'avenir avec optimisme. Nous travaillons là-dessus depuis si longtemps ! C'est une sorte de récompense. »

L'essai clinique

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L'essai clinique a eu lieu en 2015, mais il était en préparation depuis très longtemps. Quand on travaille sur des substances dont l'usage est très réglementé, comme la psilocybine, il est difficile d'obtenir une autorisation de conduire des recherches. Se procurer la drogue en question est, en soi, un défi : elle doit être de bonne qualité, et correspondre à certaines normes afin de pouvoir être utilisée dans un cadre clinique. Cette étude a été financée par le Conseil de la Recherche médicale britannique, avec le soutien de la Fondation Beckley.

Les participants, six hommes et six femmes entre 30 et 64 ans, ont été sélectionnés avec soin pour l'occasion. Ils étaient tous sujets à des symptômes dépressifs modérés à sévères, et avaient déjà essayé au moins deux traitements par le passé (des antidépresseurs classiques, comme des SSRIs), sans succès.

Les sujets ont reçu une dose de 10mg de psilocybine (très légère donc, donc), une semaine avant d'entamer le traitement à 25mg. Carhart-Harris explique que cette dose avait été convenue avec l'Université Johns Hopkins, qui a déjà travaillé sur ce genre de drogue.

Le champignon « magique » dont est extraite la psilocybine. Image: Martin Malec/Flickr

Les patients ont reçu le traitement dans un espace spécialement conçu pour être apaisant.

Ils étaient allongés sur un lit, entourés de deux psychiatres, qui avaient sélectionné avec soin une playlist musicale pour un trip de 6 à 7h. Les praticiens vérifiaient que tout allait bien à des intervalles réguliers, mais sans être trop intrusifs. L'objectif était que les patients puissent s'abandonner à leur voyage intérieur avec le plus de liberté possible. Enfin, on a surveillé les effets physiologiques de la drogue à partir de différents indicateurs, comme leur rythme cardiaque et leur pression sanguine. Ils ont également dû décrire leur état à plusieurs reprises au cours de l'expérience.

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Carhart-Harris précise qu'il a travaillé d'arrache-pied pendant des mois pour pouvoir réaliser ce simple test.

« C'est un fardeau très dur à porter. L'anneau de Frodon, à côté, c'est de la gnognotte. »

« Ça a été exténuant pendant 10 à 12 mois, » dit-il. « Le calendrier était très exigeant, et beaucoup de gens dépendant de vous. Dans cette situation, vous ne pouvez pas vous contentez de relations superficielles avec les personnes concernées. Les patients vous confient leur sort, leur santé mentale, et nous leur donnons une drogue qui les met dans un état de vulnérabilité encore plus grand. »

« C'est un fardeau très dur à porter. L'anneau de Frodon, à côté, c'est de la gnognotte. Vous avez énormément de pouvoir entre les mains, et il faut l'utiliser de la façon la plus sage possible. Les psychotropes peuvent transformer une personne du tout au tout. Notre responsabilité était écrasante. »

Il ajoute que l'expérience était très forte émotionnellement parlant, surtout en sachant que les patients étaient en souffrance dans leur vie de tous les jours.

En outre la réaction des sujets a été très mitigée. « Mais certains étaient plein de gratitude. J'ai plein de nouveaux cadeaux sur mon bureau, maintenant. »

Une partie de l'équipe se concentrera sur le suivi des patients après l'expérience ; les données récolées à cette occasion seront cruciales. Les chercheurs ont depuis poursuivi leur travail avec de nouveaux participants, ce qui les amène à un total de 20 sujets d'étude. Ces derniers seront suivis sur six mois en tout, et les chercheurs espèrent pouvoir publier une nouvelle fois avant la fin de l'année.

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Les effets des psychotropes

La psilocybine est intéressante d'un point de vue thérapeutique dans le contexte de la dépression car elle affecte les récepteurs de sérotonine du cerveau. Dans leur article, les chercheurs ont expliqué qu'ils exploraient « une nouvelle opportunité pharmacologique dans le cadre des traitements disponibles actuels pour soigner la dépression. » En effet, la psilocybine affecte un récepteur de sérotonine spécifique 5-HT2A sur lequel les SSRIs n'ont aucun effet.

Carhart-Harris, qui a récemment publié ses travaux sur le LSD, explique que dans cette étude la psilocybine a été préférée à d'autres psychotropes pour plusieurs raisons pratiques. Les trips sous psilo durent 4-6 heures, c'est-à-dire bien moins longtemps que le LSD, ce qui est plus compatibles avec les horaires de bureau. La psilocybine est plus facilement métabolisée que des drogues similaires, et n'est pas aussi toxique. Enfin, les participants étaient moins réticents à prendre de la psilocybine que des drogues plus dures comme le LSD, qui a une réputation plus sulfureuse. Le fait qu'elle soit « naturelle » et non synthétique, qu'elle donne lieu à une utilisation traditionnelle, a sans doute contribué à la préférence marquée des patients pour cette substance. Enfin, une étude américaine de 2011 montre que la psilocybine apaise l'anxiété chronique.

« En termes d'effets psychédéliques, la psilocybine est au niveau du LSD, du DMT ou de l'ayahuasca, » ajoute-t-il.

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Utiliser des psychotropes comme traitement semble particulièrement malin dans la mesure où dans le modèle utilisé par les chercheurs jusque-là, il suffit de leur en donner une fois, ou de temps en temps seulement.

L'idée est d'induire une expérience psychologique bouleversante, un expérience « sommet » comme la décrit parfois Carhart-Harris, qui permet de repartir de zéro et d'envisager l'existence différemment.

En soi, l'expérience est plus importance que la drogue elle-même. « Mais l'une ne va pas sans l'autre, » ajoute-t-il. « Il se passe quelque chose sur le plan purement chimique. »

Mises en garde et précautions

Les résultats de cette nouvelle étude sont prometteurs. Pour tous ceux qui luttent contre la dépression depuis des années, la perspective qu'un traitement alternatif puisse leur apporter le soulagement qu'ils cherchent est toujours la bienvenue.

Cependant, les auteurs avertissent contre les dangers de l'enthousiasme déraisonnables. On ne peut pas encore déduire grand-chose de leurs recherches, en l'état.

Dans un commentaire publié parallèlement à l'étude, le psychiatre Phil Cowen, de l'Université d'Oxford, qui n'a pas été impliqué dans ce travail, décrit les résultats comme « prometteurs mais pas tout à fait convaincants. »

Il précise qu'il est en faveur de la recherche sur de potentielles applications thérapeutiques de la psilocybine dans le traitement de la dépression. « Je pense que c'est une idée qui vaut le coup, d'autant plus qu'on connaît son efficacité pour d'autres troubles résistants aux traitements médicamenteux classiques, comme le syndrome de stress post-traumatique. Mais actuellement, l'étude n'est pas assez solide pour conclure à l'efficacité de ce psychotrope. »

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Pour commencer, la taille de l'échantillon utilisé pour l'étude est très faible, et les scientifiques n'ont utilisé ni groupe contrôle, ni test placebo afin de pouvoir effectuer des comparaisons.

Cowen explique que, comme le traitement impliquait également des soins sous forme de soutien psychologique, il est difficile de déterminer si les effets sont attribuables aux thérapeutes ou à la psilocybine. « On s'est beaucoup occupés de ces gens lors des tests, et c'est un détail qui a son importance. On sait que la relation soignant-patient peut avoir énormément d'influence sur les résultats cliniques, surtout sur des personnes qui sont dépressives depuis très longtemps, » ajoute-t-il.

Il note également que dans la mesure où les patients se sont auto-désignés volontaires pour participer à l'étude, et que 5 d'entre eux avaient déjà pris de la psilocybine auparavant, on pouvait s'attendre à une issue positive de l'expérience. Il fait d'ailleurs référence à des traitements testés par le passé, et qui ont d'abord paru efficaces avant d'échouer lors des tests cliniques randomisés en double aveugle, comme le traitement à l'insuline pour les patients plongés dans le coma.

Carhart-Harris ajoute qu'il était également possible que l'effet Placebo ait joué un rôle dans ce cadre, même si la force des effets observés était assez importante pour que l'on puisse écarter cette hypothèse.

« Il ne faut pas que les gens en déduisent qu'ils n'ont qu'à sortir de chez eux et acheter des champignons pour mettre fin à leur dépression. »

Cowen aimerait qu'une nouvelle étude soit menée. Une étude où les patients ne savent pas à l'avance s'ils ont pris de la psilocybine ou un placebo. L'étude de 2011 avait était réalisée en double aveugle, dans les règles de l'art ; cela montre que l'organisation d'essais cliniques de qualité est possibles, malgré les contraintes liés à l'utilisation de la psilocybine.

Enfin, il ajoute qu'il serait important d'avoir des informations sur l'état des patients après un long intervalle de temps.

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« J'aimerais en savoir plus sur l'expérience des patients, sur ce qu'ils pensaient et ressentait au moment des tests, et surtout je voudrais savoir dans quelle mesure leur état a évolué dans les mois qui ont suivi ; les échelles de notation et les questionnaires ne suffisent pas. Nous avons besoin d'informations qualitatives qui traduisent en quoi leur vie a changé, » ajoute-t-il.

La suite

Carhart-Harris estime qu'il faudra maintenant organiser un essai clinique de contrôle. « Nous ne sommes pas près de convaincre les gens de l'efficacité de la psilocybine. D'ailleurs, ces résultats ne convaincront probablement personne. »

Pourtant, selon lui, faire la promotion de la psilocybine comme alternative aux traitement traditionnels comme les SSRIs ou la kétamine ne peut être que très bénéfique.

« Si nous découvrions que la psilocybine a de réels avantages sur les antidépresseurs classiques, ce sera une avancée formidable. »

Le prochain essai, qui sera contrôlé par placebo, permettra de standardiser le niveau de soutien psychologique apporté aux patients et de montrer que l'amélioration ressentie par les sujets ne tient pas qu'au fait que les soignants se sont occupés d'eux.

En outre, les chercheurs sont persuadés qu'en terme d'effet placebo, on peut difficilement comparer le fait de prendre de l'homéopathie et l'expérience de la psilocybine. En cela, les essais en double-aveugle montreront, eux aussi, leurs limites.

Carhart-Harris explique qu'il y avait tout de même un avantage à réaliser un essai clinique tout simple, « naturaliste, » pourrait-on dire. Le patient savait exactement quelle substance on allait lui donner, et n'était pas surpris par les effets impressionnants de la psilocybine, qui auraient pu le mettre dans un état de détresse s'il ne s'y était pas préparé. De plus, l'expérience était au plus de ce qu'elle serait dans le cadre d'un véritable traitement avec l'accompagnement d'un psychiatre. Il est difficile de se départir de tout l'aspect émotionnel de l'expérience, quand on parle de psychotropes, » ajoute-t-il. « Or, les essais randomisés en double-aveugle ont quelque chose de plus froid, de plus impersonnel. »

Enfin, il insiste sur le fait que le traitement a été conçu avec l'appui de professionnels de santé. « Il ne faut pas que les gens en déduisent qu'ils n'ont qu'à sortir de chez eux et acheter des champignons pour mettre fin à leur dépression. »

Malgré tout, il est persuadé que les psychotropes auront un jour leur place dans l'éventail des traitements de la dépression. Selon lui, de nombreux patients refusent de prendre des antidépresseurs, et un traitement à la psilocybine pourrait être mieux adapté à leur situation et leur tempérament. Enfin, elle serait beaucoup moins coûteuse et chronophage que certaines psychothérapies classiques.

« S'il existe une façon d'obtenir rapidement les effets d'une psychothérapie, sans psychothérapie, cela rendrait service aux patients mais aussi aux institutions médicales et à la Sécu, » explique-t-il.

« Certaines personnes préfèrent des champignons magiques à du Prozac, c'est sûr. Il faudra juste leur fournir un cadre dans lesquels ils puissent en consommer sans le moindre danger. »