Le sang et l'or de la Gaillette : Comment le RC Lens forme les joueurs de demain

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Le sang et l'or de la Gaillette : Comment le RC Lens forme les joueurs de demain

Varane, Aurier, Kondogbia : ils sont les emblèmes de la réussite de la formation à la lensoise. Mais, en quinze ans d'existence, la Gaillette a aussi laissé filer pas mal de talents bruts. Trajectoires et méthode d'un centre de formation français.

Ils étaient là. Tous les deux sur le même terrain. Mais pas sous le même maillot.

Le 22 octobre dernier, Raphaël Varane et Serge Aurier se retrouvaient sur la pelouse du Parc des Princes, quatre ans après avoir joué ensemble en Ligue 1 sous le maillot lensois. L'un était sous la tunique blanche du Real Madrid, où il s'est imposé en patron de la défense centrale au fil des saisons. L'autre sous le maillot du PSG, après avoir prouvé sa valeur comme latéral hargneux. C'était le match aller de la confrontation entre le Real et le PSG en Ligue des Champions.

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Un mois et demi plus tôt, Varane était sur la pelouse du Matmut Atlantique à Bordeaux. Là, il partageait une sélection en équipe de France avec Geoffrey Kondogbia face à la Serbie. Les deux se connaissent depuis toujours. Depuis qu'ils ont 12-13 ans au moins. Ils sont tous deux de la génération 1993, et ont vécu les mêmes expériences au centre de formation : être surclassé d'une catégorie parce que trop talentueux, être épié par les grands clubs européens dès l'adolescence…

Cet été, Kondogbia a été transféré pour 40 millions d'euros de l'AS Monaco à l'Inter Milan. Varane est le pilier de la défense des Bleus et du Real Madrid. Serge Aurier s'est imposé comme le meilleur joueur du PSG depuis le début de la saison. Mais cinq ans auparavant, les trois sont dans l'équipe première de Lens, qui galère alors dans le bas du classement de la Ligue 1.

Varane et Aurier font leurs débuts côte a côte dans la défense sang et or au milieu de la saison 2010-2011. Face aux problèmes financiers récurrents du club, Jean-Guy Wallemme est obligé d'intégrer de très jeunes joueurs du centre de formation au groupe pro.

Un geste marque les esprits à Bollaert pour le premier match de Varane. Lens joue face à Montpellier. Une longue transversale montpelliéraine à destination de Souleymane Camara passe au-dessus du milieu de terrain. Varane, au marquage de l'attaquant héraultais, court vers le but. Il tend la jambe et réussit à intercepter la balle en dégageant le ballon du bout du pied, le mettant derrière lui. Un geste difficile, exécuté sans fioritures par un gamin de 17 ans. Avec ce petit supplément de classe nonchalante qu'on apprendra à découvrir les années suivantes.

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Ce geste, c'était en novembre 2011. Dans ce match remporté 2-0 par Lens, le natif de Lille impose déjà son sens de l'anticipation et sa technique au-dessus du lot. « Pour son premier match, il a quand même dû prendre Giroud au marquage », se souvient Georges Tournay, alors directeur du centre de formation lensois.

A ses côtés, Serge Aurier a déjà des airs de vieux briscard avec sa dizaine de matches pro dans les jambes. L'Ivoirien est régulièrement titulaire depuis août 2010, Jean-Guy Wallemme préférant aligner Yohan Demont plus haut sur le côté droit. La saison précédente, il avait déjà dépanné pendant quelques rencontres, à 16 ans seulement. Précoce.

Avec un physique déjà impressionnant pour son âge, le latéral est agressif dans le bon sens du terme. « C'était un garçon avec de grosses qualités mentales, une très grosse envie de réussir, dès le centre de formation », raconte Georges Tournay.

Le Francilien est arrivé plus tard que ses deux coéquipiers à la Gaillette. A 14 ans, il rejoint Lens sur les conseils du recruteur Marc Westerloppe, après un match de son club, Villepinte, face aux jeunes du PSG. Après un premier essai non concluant à Lens quelque temps auparavant, Aurier pose finalement ses valises dans le Pas-de-Calais et y retrouve son frère Christopher. Milieu au départ, Tournay le fait reculer en défense, où son impact physique comme latéral fait la différence.

Serge Aurier sous le maillot lensois lors de la saison 2010-2011. Crédit : rclens.fr

Geoffrey Kondogbia a, lui aussi, grandit avec un frère footballeur. Evans Kondogbia a été formé au FC Lorient au milieu des années 2000. Face à un avenir bouché en équipe première, il rejoint la deuxième division belge en 2009 et connaîtra un parcours compliqué.

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Le père Kondogbia veut donc tout faire pour éviter de réitérer cette expérience malheureuse avec son deuxième fils. C'est pour cela qu'il a placé Geoffrey entre les mains des éducateurs de la Gaillette à 11 ans. Il suivra les étapes naturelles de tout jeune en centre de formation, avant d'arriver dans l'équipe pro en novembre 2010. Il jouera quelques matches durant la saison de la descente, avant de s'imposer comme titulaire l'année suivante, alors que Lens est redescendu en Ligue 2.

Tous les trois ont toujours fait partie des meilleurs de leurs générations respectives. Toujours surclassés. Trois diamants bruts découverts très jeunes et qui ont suivi une trajectoire rectiligne vers la réussite. Pré-formation, formation, équipe réserve, équipe première, transfert.

Pourtant, la Gaillette en a connu des talents durant ses quinze années d'existence. Des jeunes qui intègrent l'équipe première puis partent faire des carrières honnêtes. Des gamins partis trop tôt, dès qu'un contrat avec un salaire à cinq chiffres est agité sous leur nez. D'autres qui n'ont simplement pas continué le football.

Le centre de formation lensois est désormais un modèle pour d'autres clubs français, qui viennent s'en inspirer. La FFF l'a classé deuxième centre de formation français pour la saison 2014-2015, derrière celui de l'Olympique lyonnais, indépassable. Pourtant, le club galère toujours sportivement et financièrement. La Gaillette reste sa bouée de sauvetage.

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Le centre de formation du RC Lens est niché à Avion, petite ville minière dans la banlieue de Lens. Le bus serpente sans surprise entre des corons pour arriver à proximité du complexe sportif. Des corons, des terrils, tous les lieux communs pour faire un vrai panorama de carte postale du bassin minier. Le temps est gris, les gens aussi.

La Gaillette s'étend sur 22 hectares, compte 12 terrains d'entraînement pour 160 jeunes en formation. Une spécificité qui fait la différence aussi : le dôme de l'Arena, un terrain synthétique couvert parmi les plus grands d'Europe, qui permet aux jeunes de s'entraîner par tous les temps. A l'accueil, un plan jauni semble accuser les quinze ans d'âge des infrastructures. Le centre a accueilli ses premiers entraînements fin 2001, et ses premiers joueurs formés en 2002.

Le centre technique et sportif de la Gaillette est situé à Avion, en banlieue de Lens. Crédit : rclens.fr

Un gros bloc de charbon est exposé dans l'entrée. Le nom de la Gaillette vient de l'ancien directeur sportif du club, Serge Doré. Définition : « charbon cassé en morceaux de moyenne dimension, surtout en vue des fourneaux de cuisine ». La métaphore pour qualifier la formation est un peu hasardeuse : on comprend vaguement l'idée d'affiner une matière première, du genre polir un diamant brut, mais le sens n'y est pas vraiment.

L'idée qui guide la construction de la Gaillette au début des années 2000 est de pérenniser le club. Après un titre de champion de France, une victoire en Coupe de la Ligue et des revenus générés par la participation de Lens à la Ligue des champions, le président Gervais Martel décide d'investir dans un vrai complexe dernier cri, pour que les équipes arrêtent de s'entraîner sur des terrains un peu partout dans Lens. Un investissement structurel, histoire de pouvoir faire face aux aléas sportifs du club, avec un vivier constant de nouveaux joueurs talentueux qui pourront venir renforcer l'équipe première chaque saison. Le projet est ambitieux, le budget est à la hauteur : 14 millions d'euros. De quoi durer le plus longtemps possible.

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Gervais Martel (à droite) en compagnie de Frédéric Thiriez, président de la LFP, Jean-François Lamour, ministre des Sports et Claude Simonet, président de la FFF, lors de l'inauguration officielle de la Gaillette à l'automne 2002. Crédit : rclens.fr

Et force est de constater que 14 ans après, malgré les plans jaunis, le projet reste d'actualité. Les éducateurs de la Gaillette tâtonnaient au début : les talents étaient là, dans la région, encore fallait-il les recruter et les faire exploser. Au milieu des années 2000, rares sont les joueurs qui ont pu percer en équipe première : Benoît Assou-Ekotto l'Arrageois a su se faire une place sur le côté gauche de la défense pendant deux ans avant de partir pour Tottenham. Puis, ce sera Kévin Monnet-Paquet qui occupera les flancs de l'attaque lensoise pendant quelques années, avant de partir pour Lorient en 2011. Les places sont chères à l'époque, et les joueurs issus du centre de formation ont trop peu de crédit pour pouvoir prétendre à des postes de titulaires.

C'était avant la saison 2007-2008. Le cauchemar : Guy Roux qui quitte le navire fin août après deux mois à la tête de l'équipe première, le remplacement par Jean-Pierre Papin, le retour de Daniel Leclercq, l'instabilité, les résultats qui ne suivent plus, la dégringolade et la descente en mai 2008, après plusieurs saisons à finir, pourtant, dans le haut du classement. S'ensuivront plusieurs années d'ascenseur, de difficultés financières, d'entourloupes azéries et de rumeurs en tous genres. Une période propice pour les jeunes du centre de formation, qui se voient accorder plus de temps de jeu.

Depuis, c'est l'explosion. Quantité de joueurs ont tracé leur route depuis les équipes de jeunes jusqu'à l'équipe première, puis parfois jusqu'aux meilleures équipes européennes. Derrière la formation, il y a aussi une philosophie. Gervais Martel a toujours voulu que les jeunes joueurs du club aient « l'esprit RC Lens ». Le club sang et or recrute donc majoritairement ses jeunes pousses dans la région, et prend soin de leur apprendre les valeurs et l'histoire ouvrière de Lens.

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Des jeunes du RC Lens en formation s'entraînant sous le Dôme de l'Arena. Crédit : rclens.fr

Les formateurs tentent également d'imprimer une philosophie de jeu tout au long de la formation. La volonté est de proposer la même identité de jeu depuis l'école de football jusqu'à l'équipe première, à la manière de l'Ajax Amsterdam ou de l'Olympique lyonnais. Ici, c'est simple, voire idéaliste : du football offensif, créatif et spectaculaire selon Hervé Arsène, directeur du centre de formation. Le fil directeur vient de Jocelyn Blanchard qui veut « rendre un service impeccable aux supporters ». Tout en avouant que, pour le moment, on n'y est pas encore au niveau de l'équipe première.

Du coup, Hervé Arsène et les éducateurs des différentes catégories d'âge tentent de relayer cette philosophie offensive et créative dans leurs enseignements. Dernièrement, l'accent est mis sur la récupération rapide. Tous les entraînements de la Gaillette seront donc axés sur cette partie-là du jeu : comment accélérer la récupération dès la perte du ballon ? Une question qui vient en réponse à des manques observés chez les pros.

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Jocelyn Blanchard est à contre-jour dans son bureau du premier étage du bâtiment central de la Gaillette. Dehors, au loin, derrière la vitre, un terril. Forcément. Au téléphone, Jean-Pierre Papin. L'ancien entraîneur de Lens reste proche du club. Là, il a été sollicité par la mère d'un jeune gardien de but de 16 ans du côté de son Arcachon natal, qui cherche un point de chute pour son fils. « Jean-Pierre, en 20 ans, on n'a jamais sorti un gardien ! Mais là, 1,80m à 16 ans, il ne peut que grandir. Il peut venir pour la session de janvier, pas de soucis…»

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Le directeur sportif du RC Lens raccroche. La mèche brune qui l'a suivi de Metz à l'Austria Vienne en passant par la Juve et Lens est toujours là, quoiqu'un peu grisonnante. « Ben vous voyez, c'est comme cela que ça se passe. » Le sourcil est frondeur et l'attitude, professionnelle. En tant que directeur sportif, Blanchard supervise aussi bien le centre de formation que l'équipe première. Chez les pros, on retrouve aujourd'hui neuf joueurs passés par la Gaillette. Tous ne sont pas titulaires, évidemment. Il y a le jeune gardien Valentin Belon, le vieux briscard Stéphane Besle, revenu au club à l'intersaison, la perle britannique Taylor Moore, l'immense (par la taille) Abdoul Ba, l'international espoir Jean-Philippe Gbamin, le duo du milieu de terrain Wylan Cyprien-Benjamin Bourigeaud, l'ailier Aristote Madiani, et le dernier arrivé, Simon Banza. Une fierté pour Blanchard.

Le directeur sportif du RC Lens Jocelyn Blanchard dans son bureau de la Gaillette en décembre 2015.

« L'idéal, c'est qu'il y ait un noyau de trois-quatre joueurs régulièrement titulaires qui viennent du centre de formation. Des joueurs qui ont le sang sang et or, c'est le cas de le dire. » Varane, Aurier et Kondogbia étaient de ceux-là. Ils sont les exemples de la trajectoire rêvée par les éducateurs de la Gaillette. Dominique Delattre, directeur de l'école de football (des U8 aux U13), confirme. Il est aussi impliqué dans le recrutement des jeunes. C'est cette étape là qui conditionne la présence ou non de talents au centre de formation. S'il est possible qu'un jeune se révèle durant ses années de formation, il faut quand même une bonne base de talent brut avant d'entrer à la Gaillette. Un bon recrutement est donc primordial pour que des jeunes talents arrivent régulièrement à la Gaillette.

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« On arrive à déceler ceux qui savent déjà faire pas mal de choses même s'ils ont commencé le football depuis peu », explique l'homme au physique de coureur de fond. La concurrence est rude avec la présence du LOSC et Valenciennes dans la région, et de Reims ou du PSG pas loin.

« Après, le temps, les années passent, et beaucoup de facteurs entrent en compte, des blessures, des problèmes familiaux, qui peuvent avoir un impact sur le développement du jeune. » Pour Varane, Aurier et Kondogbia, un environnement familial sain, des qualités qui se sont affirmées très tôt et une vraie envie de réussir ont fait la différence. « Mais en aucun cas on ne parle du monde pro aux enfants. J'en vois certains, des parents ou des éducateurs, qui essaient d'en faire des petits pros, alors que c'est que des gosses. Moi, il faut que ça piaille, qu'ils restent des enfants en somme. »

Sur les terrains de la Gaillette, un jour de pluie. Crédit : rclens.fr

C'est au fil des années que les adolescents confirment leur talent. Dans les catégories d'âge, certains se font remarquer plus que d'autres, et passent au palier supérieur. « L'éducateur des U19 peut par exemple dire : "Il a rien à faire avec moi celui-là", et il passe en équipe réserve, explique Jocelyn Blanchard. En deux-trois mois, ils peuvent traverser toutes les catégories. Le passage à l'équipe première se fait quand ils sont physiquement prêts. »

Pour Georges Tournay, qui est resté dans le milieu de la formation (il dirige désormais le pôle espoirs de Liévin, sorte d'INF Clairefontaine du Nord-Pas-de-Calais), c'est en CFA que l'avenir en pro du jeune joueur se joue. « C'est vraiment en équipe réserve que se fait la révélation. Parce que c'est un niveau de séniors. Ils se mettent au niveau du jeu des hommes. » C'est l'étape qu'ont réussie haut la main Aurier, Varane et Kondogbia au tournant des années 2010.

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Mais après avoir conquis une place de titulaire, combien de temps restent les jeunes de la Gaillette ? Pour Jocelyn Blanchard, il y a un principe : « Si le joueur progresse plus vite que le club, il faut le vendre. » C'était le raisonnement derrière la vente de Raphaël Varane au Real Madrid à 18 ans, après une saison à Lens. « Sportivement, ce n'était pas possible qu'il reste. »

Dans l'effectif actuel, Wylan Cyprien et Jean-Philippe Gbamin sont courtisés depuis longtemps par d'autres clubs européens. L'Observatoire du football du CIES les classait d'ailleurs parmi les joueurs européens les plus prometteurs de la génération 1995 (en compagnie de Valentin Belon et de Dimitri Cavaré, parti depuis à Rennes), grâce à leur capital expérience, leur nombre de matches joués en pro.

Wylan Cyprien, Benjamin Bourigeaud et Jean-Philippe Gbamin, tous formés à Lens, lors du match de Ligue 2 face à Auxerre le 6 novembre 2015. Crédit : rclens.fr

Le jeune défenseur Taylor Moore, d'origine anglaise, mais qui a grandi dans le Pas-de-Calais, est lui aussi considéré comme un futur grand. Il est depuis longtemps convoité par quantité de clubs européens. Mais à 18 ans, l'international anglais U19 a fait le choix de finir sa formation à Lens. Il a effectué ses débuts en Ligue 1 la saison dernière, et joue plus régulièrement en Ligue 2 ces temps-ci, dépannant comme arrière droit, défenseur central ou milieu défensif.

« Son ambition, c'était d'abord de jouer à Bollaert, explique Hervé Arsène, qui fréquente le golden boy britannique depuis plusieurs années au centre de formation. C'est le genre de joueur qu'on espère en tant que formateur. C'est une question d'intelligence : s'il avait été fragile mentalement, il serait parti depuis longtemps Mais il est bien entouré, avec des parents très respectueux et honnêtes avec le club. »

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Le prédécesseur d'Hervé Arsène, c'est Pascal Plancque. L'ancien joueur et entraîneur-adjoint du LOSC avait été nommé directeur du centre de formation lensois en juillet 2012, alors que le club était repris en main par le Crédit Agricole pour assurer sa cession. Choisi par Luc Dayan et Antoine Sibierski, président et directeur sportif d'alors, Plancque a continué à assurer la direction du centre après la reprise en main du RCL par Gervais Martel en 2013. Et il l'a fait, jusqu'à la fin de son contrat, l'été dernier, qui n'a pas été renouvelé. Un peu à sa surprise.

Il avoue des regrets sur son travail laissé en plan à la Gaillette - « on a mis des choses en place qui ne seront pas renouvelées » - mais reste assez philosophe sur sa séparation. « C'est la vie d'un club… »

C'est sous son mandat que Taylor Moore a fait son passage des équipes de jeunes à l'équipe première, la saison dernière, pour quatre matches en Ligue 1. « C'est un garçon très réfléchi, qui a la volonté de rendre au club ce que le club lui a donné », explique-t-il. Selon lui, l'idéal pour un jeune joueur reste de faire « deux-trois ans en équipe première à la fin de sa formation. C'est bien pour le développement sportif. »

Taylor Moore face à Loïc Puyo, lors de Lens-Nancy le 2 novembre 2015. Crédit : rclens.fr

C'est pour ça qu'il a des regrets quant aux départs de deux jeunes talents du club, l'été dernier. Le 6 juillet, Arsenal officialisait les signatures de Jeff Reine-Adelaïde et Yassin Fortune, deux jeunes prometteurs de la Gaillette, respectivement âgés de 17 et 16 ans à l'époque. Un double transfert qui aurait rapporté 5 millions d'euros au club, de quoi rassurer la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), qui évalue les comptes des clubs pros, avant le début de la saison de Ligue 2.

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Le mercato de l'intersaison 2015 aura d'ailleurs montré à quel point le travail effectué à la Gaillette a pu porter ses fruits. Pendant que Reine-Adelaïde et Fortune partaient vers Londres, Baptiste Guillaume faisait un plus court trajet en étant transféré à Lille pour un montant de 4 millions d'euros. L'arrière droit Dimitri Cavaré rejoignait, lui, Rennes, l'accord étant conclu depuis janvier. Et dans le même temps, Lens récupérait des indemnités de formation sur les transferts de Geoffrey Kondogbia (2,2 millions d'euros environ sur les 40 déboursés par l'Inter) et Gaël Kakuta à Séville. Ainsi qu'un intéressement à la revente d'1,6 million d'euros sur le transfert de Serge Aurier entre Toulouse et le PSG. De belles opérations financières 100 % Gaillette. Jocelyn Blanchard balance le chiffre de « quelque chose comme 200 millions d'euros » récupérés en indemnités de transferts en quinze ans de formation.

Mais pour tous les joueurs bien vendus, combien de jeunes partis trop tôt ? La fuite des talents, c'est le dilemme vécu tous les ans par le RC Lens, qui a dû faire face aux départs de ses diamants bruts, sans avoir fini de les polir.

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Pascal Plancque regrette ainsi les départs de Reine-Adélaïde et Fortune. « Ils ont été vendus pour la survie du club, je le comprends. Mais, sportivement, on n'est pas allés au bout du processus. Eux, je pense qu'ils ne voulaient pas partir à tout prix. Ils étaient hyper bien intégrés, ils avaient vraiment envie de jouer à Bollaert. Mais financièrement, et même sportivement, il y a des propositions difficiles à ignorer. »

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Chez Jocelyn Blanchard, le rationalisme financier prend le pas sur le sportif en ces temps difficiles pour les caisses du club : « Tous les ans, on est obligés de vendre avec les difficultés financières. » Il fait un geste montrant son bureau : « On ne va pas vendre les meubles ou les tables. Donc on vend les jeunes. » Les jeunes comme monnaie d'échange, parfois il semblerait que le terme "gaillette" renvoie à sa définition littérale - de la matière première, du charbon comme combustible. Mais, et les éducateurs le savent, la survie du club a souvent tenu à ces jeunes pépites envoyées aux quatre coins de l'Europe.

On ne va pas vendre les meubles ou les tables. Donc on vend les jeunes.

Difficile de lutter aussi contre les grands clubs européens qui voient souvent les jeunes de 17-18 ans comme un bon moyen de récupérer des futurs grands joueurs à moindre coût, sans en plus avoir à mener une politique de formation coûteuse et bien souvent lente à mettre en place. « Avec les propositions qu'ont certains jeunes aujourd'hui, le calcul est vite fait, explique le directeur sportif du RC Lens. Quand on offre 150 000 euros par mois à un jeune de 18 ans, c'est difficile de refuser. On discute évidemment avec les parents et l'agent. Car attention, si c'est pour partir dans un club de seconde zone, à West Bromwich - avec tout le respect que j'ai pour eux -, au Qatar ou au Dinamo Moscou, le discours sera différent. Il faut qu'en plus de la progression financière, il y ait un projet. »

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Ces transferts précipités ont concerné aussi bien Thimothée Kolodziejczak, parti à Lyon à 17 ans et désormais titulaire au FC Séville, qu'Adel Taarabt. Le milieu de terrain marocain, au potentiel affolant, est parti très jeune à Tottenham, en 2006, et galère depuis sept-huit ans à s'imposer dans les différents clubs de haut niveau dans lesquels il est passé : QPR, Fulham, le Milan AC, et depuis cette saison, le Benfica Lisbonne.

« Il était déjà mature au niveau du jeu quand on l'a laissé partir, se souvient Georges Tournay. Je me souviens avoir dit à l'époque : "On peut le laisser partir, derrière j'ai Gaël Kakuta qui arrive au même poste"»

Gaël Kakuta. Le nom est devenu un symbole, celui du foot-business appliqué aux footballeurs adolescents. En juillet 2007, celui qui affole tous les observateurs d'équipes de jeunes choisit de quitter le RC Lens et de signer à Chelsea. Celui qu'on surnomme déjà le «Black Zidane» n'a que 16 ans. Lens ne récupère aucune indemnité dans l'affaire. « Au niveau scolaire, il allait refaire une année de 4e à quinze ans, ce qu'il ne voulait pas, raconte Georges Tournay. C'est une fenêtre dont s'est servi Chelsea. C'est mon plus gros regret, un projet qui ne s'est pas terminé. »

Gaël Kakuta (à gauche) avec John Terry en septembre 2010, encore sous le maillot de Chelsea. Crédit : Paul Hackett/Reuters.

Même constat pour Hervé Arsène : « Il était très très fort à l'époque. Dans cette affaire, certaines personnes ont profité de la situation pour se faire de l'argent. Son entourage n'était pas capable de bâtir un projet. Et lui n'était pas un joueur fini : quand t'arrives dans un club avec 25 internationaux comme à Chelsea, si tu ne sais pas t'entraîner, tu te fais bouffer. » Une longue bataille sur le terrain judiciaire opposera Lens et Chelsea sur le dossier, le club londonien se voyant même être interdit de recrutement pendant deux saisons après un jugement de la FIFA. En appel, cette condamnation sera finalement remplacée par une indemnité de formation de 130 000 euros à payer au club lensois.

Toujours est-il que Kakuta traversera bien des déserts par la suite, enchaînant des prêts à Fulham, Dijon, au Vitesse Arnhem ou au Rayo Vallecano, avant d'être transféré au FC Séville pendant le dernier mercato. Le petit prodige du foot français en est devenu le plus grand galérien, symbole des jeunes partis trop tôt. Pour Jocelyn Blanchard pourtant, « ça aurait pu plus mal se finir ». Comme Taarabt, Kakuta a au moins connu de grands clubs européens, même s'il n'y a pas toujours prouvé son talent.

L'histoire s'est répétée ces dernières saisons à la Gaillette : Ange-Freddy Plumain, l'ailier virevoltant aux 20 matches en pro, partira se casser les dents à Fulham, avant de revenir cette saison au Red Star, en Ligue 2. Et le cas le plus récent : David Faupala, autre perle du centre de formation, parti à 18 ans à Manchester City, non sans s'être embrouillé avec le club et les supporters auparavant. C'était l'été dernier. Blanchard : « Lui, il voulait jouer avec l'équipe professionnelle alors qu'il était à peine titulaire dans sa catégorie d'âge ! »

Faupala avait déjà été contacté par un autre club anglais, Watford (alors en championship), durant l'été 2014. Lens avait mis son veto, provoquant la colère du jeune joueur, qui l'avait bien fait savoir, en annonçant dans la foulée qu'il ne continuerait pas à jouer pour Lens après la fin de la saison.

Il avait par la suite rejeté la faute sur son agent, Jennifer Mendelewitsch dans une interview au site officiel du club. «C'était une période où j'étais influençable. » C'était en mars 2014. Six mois plus tard, il provoquera la colère des supporters lensois en se vantant d'avoir parié contre son club lors d'un derby face à Lille. Le joueur s'était alors vu infliger comme sanction 4 séances de travail d'intérêt général par la LFP. A la fin de la saison, il partait pour Manchester City. Pas impressionné par les précédents Kakuta ou Plumain. « Ils sont conscients des précédents, mais ils pensent toujours que pour eux, ça se passera différemment, explique Pascal Plancque, qui a vécu la situation Faupala aux premières loges. Ce sont des générations très pressées. »

La présence d'agents dans l'entourage de jeunes de 15 ans, les éducateurs s'y sont habitués. « On fait de la prévention auprès des jeunes, mais au bout d'un moment, ils sont tellement sollicités sur Twitter, sur Facebook… Ils les embobinent, ils les séduisent », raconte Pascal Plancque. Le risque, c'est de perdre de vue l'intérêt sportif, et de ne voir dans le monde professionnel que l'intérêt financier. « Pour moi, les meilleurs agents jusqu'à 18 ans, c'est les parents », assène Georges Tournay. Blanchard : « On leur explique ce qui les attend s'ils partent avant la fin de leur formation. Mais c'est comme un enfant, quand on lui dit qu'il faut travailler à l'école, il ne va pas comprendre. »

Et de citer son ancien coéquipier Zinédine Zidane en exemple. « Qu'est-ce qui les font encore courir sous la pluie, lui à l'époque ou Messi aujourd'hui, alors qu'ils gagnent des millions tous les mois ? C'est la volonté d'être le meilleur. Seuls ceux qui sont motivés par le sport peuvent se sortir de ces choses-là, de gagner 150 000 euros par mois à 18 ans. » Et perdre de vue l'aspect sportif, cela peut arriver très jeune.

Yohan Demont, Geoffrey Kondogbia, Serge Aurier, Raphaël Varane et Steven-Joseph Monrose pendant un échauffement lors de la saison 2010-2011. Crédit : rclens.fr

Varane, Aurier et Kondogbia, eux, avaient fait le choix de rester plus longtemps. La suite de leurs carrières a plutôt montré qu'ils avaient bien fait de prendre leur temps. Hervé Arsène est d'accord : c'est la fin de leur formation qui a fait la différence. « Vous connaissez l'histoire ? Zidane a appelé Varane alors qu'il était adolescent, pour le persuader de venir au Real Madrid. Varane lui a répondu : "attends, je passe mon bac, et on verra après". La majorité des jeunes joueurs aurait fait autrement. »

Mais laisser partir les joueurs formés sans les avoir fait jouer à Bollaert n'est pas forcément gage d'une carrière ratée. Comme le dit Blanchard : « Parfois, ces joueurs ont besoin de vivre ces épreuves là. Parfois, certains prennent la mauvaise sortie, mais ils finissent par retrouver l'autoroute. » Et de reprendre l'adage en règle dans tous les centres de formation : ils sont là pour former des footballeurs, mais aussi des hommes. « C'est vrai, on forme des joueurs pros pour Lens, mais aussi pour qu'ils réussissent ailleurs. On est heureux aussi quand on voit un William Rémy titulaire à Montpellier ou un Jérémie Bela qui se débrouille bien à Dijon. L'important, c'est qu'ils finissent pas clochards. »