Pourquoi les chercheurs sont surpris par les gènes de l'astronaute Scott Kelly

FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

Pourquoi les chercheurs sont surpris par les gènes de l'astronaute Scott Kelly

Les voyages dans l'espace peuvent-ils nous faire rajeunir ?

Depuis les tout débuts des voyages spatiaux, il est évident que la vie dans l'espace a un impact sur notre physiologie. Mais aujourd'hui, nous avons la chance d'en savoir davantage grâce aux jumeaux Scott et Mark Kelly, les deux stars de la "Twins Study" de la NASA, qui nous offrent une myriade de nouvelles précisions sur les effets concrets des voyages spatiaux sur le corps humain, y compris sur le génome lui-même. Ces informations seront cruciales pour comprendre comment les astronautes réagiront à de longs voyages vers la Lune, Mars et au-delà.

Publicité

Les frères Kelly ont été étudiés de près par pas moins de dix équipes de recherche différentes à divers moments de leur mission - avant, pendant et après le séjour de 340 jours de Scott Kelly à bord de l'ISS. Mark Kelly, qui est déjà parti dans l'espace (quoique moins longtemps), servait de sujet témoin sur Terre.

Les frères Kelly étant, en gros, des copies carbone, l'expérience n'a pas été perturbée par leurs différences génétiques, ce qui explique que les chercheurs adorent mener des études sur les jumeaux. L'inconvénient, c'est qu'un échantillon de deux personnes est franchement faible, même s'il s'agit de jumeaux, et il y a donc un certain nombre de facteurs qui n'ont pu être contrôlés. Les chercheurs de la Twins Study prévoient de recueillir des échantillons auprès d'autres astronautes pour compenser cette faiblesse de l'expérience.

L'une des découvertes les plus étonnantes, parmi les premiers résultats qui ont été diffusés récemment, tient à la différence notable de réaction génétique des deux jumeaux face à leur environnement respectif, sur Terre et dans l'espace.

C'est particulièrement étonnant au niveau des télomères, des structures nucléoprotéiques situées à l'extrémité des chromosomes, que l'on compare souvent aux embouts en plastique placés au bout des lacets de chaussures. On parle beaucoup des télomères depuis quelques années : leur longueur est corrélée au stress et au vieillissement. Les chercheurs ont découvert qu'ils rétrécissent généralement à mesure que les humains vieillissent, ce qui a encouragé les recherches visant à inverser cet effet pour combattre les maladies liées au vieillissement, et donné naissance à toute une industrie de produits censés stimuler la production de télomérase, une enzyme qui allonge les chromosomes.

Publicité

C'est Susan Bailey, professeure de biologie du cancer et d'oncologie à l'université du Colorado, qui a dirigé l'équipe qui étudiait les télomères des jumeaux. Son équipe s'attendait à voir les télomères de Scott Kelly raccourcir par rapport à ceux de son frère, en raisons du stress liés aux conditions de vie dans l'espace. Mais étonnamment, c'est l'inverse que l'équipe a observé.

Scott Kelly s'injecte un vaccin contre la grippe dans le cadre de la Twins Study. Image : NASA

"Nous avons vu l'inverse de ce que nous avions prédit, m'a expliqué Bailey par téléphone. Nous avons vu un accroissement du nombre de cellules possédant des télomères plus longs, et c'était lié au vol dans l'espace. Nous avons également prélevé des échantillons après le retour de Scott sur Terre, et tout était revenu à la normale très rapidement, ce qui indique que les phénomènes observés sont spécifiques au voyage spatial."

Cela signifie-t-il que les voyages dans l'espace pourraient être une sorte de fontaine de jouvence ? Sans doute pas, même si l'idée est séduisante. "C'est exactement ce que l'on se dit à première vue - ça y est, on a trouvé le remède miracle, rigole Bailey. Mais je ne pense pas que ce soit aussi simple." Elle souligne par exemple que l'allongement des télomères peut aussi être corrélé au développement d'un cancer, ce qui est un peu l'opposé de la jeunesse éternelle.

C'est précisément pour cela que les informations génétiques issues des prélèvements sanguins réalisés sur les frères Kelly vont devoir être analysées méticuleusement pour déterminer quels facteurs spécifiques ont contribué à ces résultats surprenants. Les données ont sans doute été influencées autant par l'exposition aux radiations que par le régime, le sommeil et l'exercice physique des deux jumeaux. Le fait que les deux frères Kelly aient connu un pic de télomérase à l'occasion d'un drame familial en novembre 2015 semble également indiquer que le stress psychologique a lui aussi un impact.

Publicité

"Nous avons déjà constaté que la télomérase réagissait au stress chez les animaux, explique Bailey. Pour nous, cela a donc constitué une preuve que c'était aussi le cas chez les humains."

Mark (à gauche) et Scott Kelly. Image: NASA/Robert Markowitz

De son côté, Chris Mason, professeur au département de physiologie et de biophysique au Weill Cornell Medical College, a dirigé une équipe chargée de séquencer le génome des jumeaux. Tout comme Bailey, Mason a constaté des différences notables entre les deux frères. Par exemple, plus de 200.000 molécules d'ARN se sont exprimées tout à fait différemment au cours de l'expérience.

"C'est plus élevé que ce que l'on observe habituellement chez une personne normale au fil du temps, et cela indique donc un niveau élevé de changement moléculaire chez un corps évoluant dans l'espace, m'explique Mason par e-mail. Nous sommes nous aussi surpris de voir comment le corps réagit génétiquement au voyage spatial, puisque nous n'avions jamais rien vu de tel auparavant."

On ignore encore si des "gènes de l'espace" spécifiques ont été activés au sein des cellules de Scott Kelly. Bailey, Mason et d'autres équipes vont passer encore au moins un an à affiner et comparer leurs résultats afin de mieux comprendre comment le voyage spatial affecte les gènes, et les comportements qui y sont associés.

"Il se passe quelque chose de nouveau, que nous ne comprenons pas. On ignore ce que sait, mais c'est fascinant et nous allons tout faire pour comprendre tout cela", conclut Bailey.