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Sexe

Lettre d’amour à la « nazisploitation », le cinéma porno nazi

Retour sur le sous-genre porno-gore le plus pété de l'histoire du cinéma de série B.
Un extrait de Salon Kitty, de Tinto Brass.

Dérivé du genre « femme en prison », lui-même sous-genre du film de prison, les films de nazisploitation ont sévi dans les salles des cinémas de quartier à la fin des années 70, pour agoniser lentement au milieu des années 80.

L'idée principale de ces films était d'exploiter de la façon la plus productive possible le succès en salles de films comme Salo ou les 120 journées de Sodome de Pasolini ou Portier de nuit de Liliana Cavani. Des succès publics que l'on devait moins à la puissance de leur vision artistique — au final, très morale — qu'au territoire sale et dérangeant qu'ils parcouraient pour l'exprimer : Troisième Reich, sexualité SM, nudité, scatophilie et une bonne dose de violence graphique. Ce sont sur ces sympathiques petites cordes qu'ont joué une multitude de producteurs opportunistes afin de fournir les quelques fleurons du genre.

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La nazisploitation est une formule gagnante sur tous les plans. En effet, pour le scénariste, nul besoin de trop s'embêter à caractériser ses personnages de méchants : un uniforme nazi suffit à les reconnaître. Et l'argent que l'on perd en achetant de beaux costumes bruns savamment coupés, on le gagne en économisant sur ceux des délicieuses et innocentes fraulein, lesquelles passent leur temps à moitié à poil durant tout le film. De Hôtel du plaisir pour SS à Les nuits chaudes de la Gestapo, en passant par Hilga, la louve de Stilberg, il s'agit en effet toujours de la même chose, du même film.

Je pourrais me contenter d'une lecture purement ironique de ces films, mais il faut bien admettre que la stupéfaction dans lesquels ils nous plongent dans leurs meilleurs moments ne vient pas seulement de leur caractère drôle malgré eux. Finalement, le genre est assez pur. Il est même presque abstrait, malgré son déballage de chair et de sang, et, surtout, il a le courage d'être complètement affranchi de tout souci de véracité historique. Juste ce qu'il faut pour atteindre une sorte de dimension fantasmatique, très éloignée de l'horreur réelle du régime national-socialiste.

À l'occasion de la sortie en vidéo chez Artus Film de Holocauste nazi et de La dernière orgie du IIIe Reich, on a demandé au spécialiste en bizarreries cinématographiques Christophe Bier de nous en dire un peu plus sur la signification de ce cinéma de genre centré sur le Reich indestructible, la Wehrmacht et les SS.

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Un extrait dElsa, Fraulein SS de Patrice Rohmm.

VICE : Premièrement, qu'est-ce qui a bien pu pousser des gens à créer ce genre de films pornos nazi?
Christophe Bier : L'argent! Les producteurs italiens en ont produit une bonne quinzaine entre 1975 et 1979. Ils ont vu les succès remportés par Salon Kitty de Tinto Brass, par Portier de nuit de Cavani ou le Salo de Pasolini. Dans le cinéma d'exploitation, on passe, sans état d'âme d'un filon à un autre. Et dans les années 70, le sexe et la violence ont été des ingrédients majeurs pour attirer les spectateurs. C'est le vice, les pulsions sales et inavouables qui poussent les gens à regarder ces films.

« Horreur nazies » montre un colonel SS impuissant qui pousse la doctoresse de son camp à pratiquer sur les prisonniers des expériences génétiques dans l'espoir fou qu'elle lui greffe de nouvelles couilles.

Qu'est-ce qu'il faut pour qu'un film de Nazisploitation ne soit pas trop insupportable à regarder?
La question est tordue. Elle présuppose qu'un film de Nazisploitation est ontologiquement insupportable. Dérangeant, oui. Insupportable? Ce qui est insupportable, ce sont les films démagogiques, qui nous font croire qu'on vit une époque formidable, que la lutte des classes a disparu, qu'un jour un pauvre Noir aura la chance de pousser le fauteuil roulant et rutilant d'un riche Blanc. C'est ça, l'insupportable : cette guimauve qui annihile tout esprit de révolte.

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La question véritable est : qu'est-ce qu'il faut pour qu'un film de Nazisploitation soit un chef-d'œuvre?

Eh bien, dites-moi.
Beaucoup d'outrance, sans doute. Les Italiens savaient le faire. Holocauste nazi fait penser aux Elvifrance, ces BD de poches vendues en kiosque. Une grande dose de perversité, des femmes SS dominatrices, un excès qui fait complètement oublier le prétexte historique. Tout cela doit virer au Grand-Guignol, sans la moindre prétention historique. C'est un théâtre du dérèglement sexuel qui n'épargne pas les bourreaux. Ainsi Horreur nazies montre un colonel SS impuissant qui pousse la doctoresse de son camp à pratiquer sur les prisonniers des expériences génétiques dans l'espoir fou qu'elle lui greffe de nouvelles couilles. Il semble se contreficher que celles-ci ne soient pas aryennes, pourvu qu'elles fonctionnent.

Ce ne sont donc pas nécessairement des films à regarder au second degré?
Non. Il faut les voir comme un spectacle fétichiste et troublant, une imagerie sexuelle dépravée, rien d'autre. Juste du sexe, de la pornographie, pas un conte de fées entre adultes consentants — du fantasme méchant. Vous savez, dans les années 50 et surtout avec le procès Eichmann en Israël en 1961, toute une littérature érotique s'est développée sur les mêmes ressorts crapoteux, écrite et éditée par et pour les Israéliens. On a appelé cela « stalag fiction ». Ils étaient vendus dans les kiosques de Tel-Aviv. Pour ces lecteurs, qui entretenaient des liens familiaux terribles avec l'Holocauste (certains étaient revenus des camps, ou toute leur famille y avait été exterminée), il n'y avait pas de second degré. Ils éprouvaient un plaisir trouble, malsain, les récits remplissaient leur fonction libidinale.

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Un extrait de Nathalie dans l'enfer nazi d'Alain Payet.

Parlez-nous de vos scènes préférées de nazisploitation.
J'ai en tête plutôt des personnages dans l'excès que des scènes précises. Jacqueline Laurent, en bustier et cuissardes noires, fouettant dans ses geôles Patrizia Gori, enchaînées nues à un billot, dans Nathalie rescapée de l'enfer nazi. Le cabotinage effréné de John Steiner, officier SS bisexuel n'aimant rien tant que se faire masser les jambes par son dévoué aide de camp. L'hystérie sexuelle de Macha Magall dans Holocauste Nazi, fouettant ses propres soldats, lesbienne avec ses gardiennes de camp, nymphomane avec les prisonniers enchaînés qu'elle émascule du tranchant de sa baïonnette. Le regard cinglant, les seins en obus de Dyanne Thorne dans Ilsa la louve des SS. Helmut Berger, travesti en ange bleu dans Les Damnés de Luchino Visconti. Et puis le chef-d'œuvre : Salon Kitty.

Existe-t-il un genre plus dégueulasse dans l'histoire du cinéma?
Plein! Tous ces drames psychologiques, toutes ces comédies « sympathiques » entre cadres supérieurs, hôtels particuliers du XVIe, professions libérales haut de gamme, les peines de cœur d'un cancérologue renommé avec la PDG d'une boîte du CAC 40, le vieux copain avocat qui révèle son homosexualité d'un air contrit, la fille qui ne sait comment décorer son salon de 90 mètres carrés, tout ce cinéma français qui a oublié d'être populaire, dans lequel les seconds rôles ont disparu puisque les premiers sont tenus par l'écurie interchangeable des acteurs sans aspérités auxquels il ne faut pas faire d'ombre — le moindre film français de cet acabit sera artistiquement et idéologiquement toujours plus dégueulasse que le pire navet de la nazisploitation italienne. Et je pèse mes mots.

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Un extrait de Train spécial pour Hitler d'Alain Payet.

Comment expliquez-vous que de tels films aient pu être exploités? Ils passaient sous les radars de la censure et de la critique?
Le sexe, la violence, le stupre, les pulsions torves, toutes ces raisons qui sont de bonnes raisons, ont fait que ces films ont pu être exploités. En revanche, il y eut tout de même des problèmes avec la censure. Aujourd'hui ils sont victimes d'une nouvelle censure, disons, une pose morale qui refuse d'admettre que la culture populaire peut se coltiner dans les recoins les plus boueux des spectateurs. Le « politiquement correct », comme on dit, nous empêche d'avoir une discussion sereine sur ces films. Certains aimeraient faire le ménage dans les fantasmes, et donc dans la création. Ils veulent des fantasmes propres. Autant renoncer à en avoir.

Christophe Bier est l'homme derrière le plus grand prodige éditorial de ces dernières années, le Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques en 16 et 35 mm, paru chez Serious Publishing. On peut l'entendre toutes les semaines dans l'émission « Mauvais genre », sur France Culture.

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