Les Kurdes de Syrie ont fêté leur Nouvel An comme si de rien n’était

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Les Kurdes de Syrie ont fêté leur Nouvel An comme si de rien n’était

Norouz signifie « Nouvel An » en perse, soit le commencement du calendrier iranien, célébré aussi bien par les Perses que par la diaspora kurde et les zoroastriens du monde entier le jour de l’équinoxe hivernale.

Photos : Martin Armstrong et Giacomo Cusquena

Quand je suis arrivé sur le grand terrain donnant sur la ville d’Afrin, au nord de la Syrie, j’ai réalisé l’ampleur de la fête qui se tenait sous mes yeux. Norouz signifie « Nouvel An » en perse, soit le commencement du calendrier iranien, célébré aussi bien par les Perses que par la diaspora kurde et les zoroastriens du monde entier le jour de l’équinoxe hivernale. Afrin est située à seulement 40 km au nord-ouest d’Alep, la ville – aujourd’hui à 90 % détruite – la plus touchée par la guerre civile syrienne.

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Ce matin-là, j’ai été accueilli par une foule de 50 000 personnes vêtues des couleurs traditionnelles kurdes : rouge, jaune et vert. Comme à Paris deux mois auparavant, les Kurdes agitaient des drapeaux à l’effigie d’Abdullah Öcalan, le leader du Parti des travailleurs (PKK) du Kurdistan, toujours emprisonné. Quelques femmes soldats kurdes se tenaient sur les toits, kalachnikov sous le bras. Mais aucun incident n’est venu perturber la fête, les concours de danses traditionnelles kurdes et les appels à l’instauration de droits démocratiques au sein d’une hypothétique « nouvelle Syrie ». La fête contrastait avec la situation actuelle, le nombre de vies fauchées à Alep et l’atmosphère délétère du Norouz célébré de l’autre côté de la frontière, à Diyarbakir, en Turquie.

« C’est le commencement d’une nouvelle année et on espère que ce sera une nouvelle ère pour le peuple kurde de Syrie, s’est écrié Ahmad Ali, un maraîcher local de 28 ans. Ce rassemblement est un moyen pour les Kurdes de montrer notre unité et notre envie de démocratie. » Ce sentiment était perceptible chez plusieurs personnes dans la foule et prenait une ampleur qui n’aurait jamais été envisageable il y a seulement deux ans, lorsque le régime d’Assad contrôlait l’ensemble du pays et interdisait ce genre de rassemblements.

Depuis 1963, le parti Baas syrien a eu recours à des formes de répression violentes lors des cérémonies de Norouz. « Norouz est un symbole de liberté, de résistance et de combat contre toute forme d’oppression », m’a dit Bakr, 38 ans, membre de l’Union des professeurs de l’ouest du Kurdistan. « Un tel rassemblement, a-t-il précisé en montrant la foule, était impossible lorsque le régime d’Assad contrôlait le pays. Aujourd’hui nous pouvons célébrer Norouz comme nous l’entendons. Nous ne voulons pas d’un État kurde divisé ; nous voulons être autonomes afin de pouvoir pratiquer notre culture au sein de l’État syrien. »

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Ce jour-là, le leader du PKK Abdullah Öcalan a demandé un cessez-le-feu à ses hommes, en guerre perpétuelle contre le régime turc. Les festivaliers ont par ailleurs exprimé leur méfiance par rapport au couple PKK et YPG, le parti des « Unités de défense populaire » des Kurdes de Syrie, qui accessoirement maintiennent l’ordre en sécurisant – comprendre : en se battant – les régions kurdes du pays. Ces milices armées kurdes contrôlent la zone depuis mai 2012, lorsque l’Armée syrienne libre (ASL) a repoussé les forces d’Assad dans la ville d’Azaz, à 12 km à l’est. Des rumeurs circulent à leur sujet dans la presse locale ; certains membres de ces groupes Kurdes seraient en effet de mèche avec le régime Assad. Cela dit, tous les gens avec qui j’ai parlé ont rejeté en bloc cette possibilité.

« Je déteste Assad et je hais l’ASL, a déclaré Auri Van, étudiante en dernière année de Licence en littérature. Ancienne résidente du quartier Tal Ajjar à Alep, Van a du partir à Afrin de force il y a deux mois lorsque les affrontements entre l’ASL et les forces d’Assad se sont intensifiés juste en bas de chez elle.

« Les gens adorent Öcalan, a continué Van, alors que la foule chantait en l’honneur de ce prisonnier emblématique de la résistance kurde. C’est le leader du peuple kurde et du combat pour nos droits. » Assis à l’avant de la foule sous le soleil de midi, Abdullah Shakarji, historien spécialiste de la signification politique et historique de Norouz, a expliqué que les évènements de ce jour servaient également à commémorer les morts des émeutes de Kameshli de mars 2004 – lorsque des supporters kurdes et arabes se sont violemment affrontés dans un stade de foot, entraînant une trentaine de morts et plusieurs dizaines de blessés.

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Shakarji relie la lutte actuelle des Kurdes de Syrie et du Moyen-Orient aux vieilles traditions littéraires de l’ancienne Mésopotamie. Le Shâh Nâmeh, un poème perse de l’an 1000, décrivait un « démon effroyable » persécutant le peuple kurde. Dans celui-ci, Zahak, nécromancien assyrien muni de deux têtes de serpents, régnait sur l’Iran. Chaque jour, deux jeunes hommes étaient sacrifiés puis donnés aux maudits reptiles, jusqu’au jour où une révolte dirigée par un forgeron du nom de Kawa entraînait la chute de la bête immonde.

« Nous luttons depuis l’époque des Assyriens. Ce combat ne date pas du Printemps arabe. Ce sont les accords Sykes-Picot qui ont contribué à diviser notre peuple dans quatre pays distincts : Syrie, Turquie, Irak et Iran. Il n’y a pas de différence entre les dirigeants d’aujourd’hui – ceux qui oppriment le peuple kurde – et les rois assyriens. C’est le même combat, mille ans plus tard. »

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