Quitter l’enfer de la guerre pour celui des camps de réfugiés

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Quitter l’enfer de la guerre pour celui des camps de réfugiés

J’ai rencontré Giles Duley il y a un mois, pour discuter de son travail avant et après sa triple amputation en Afghanistan.

J’ai rencontré Giles Duley il y a un mois, pour discuter de son travail avant et après sa triple amputation en Afghanistan. Lors de notre dernière rencontre, il revenait de Jordanie où il documentait l’arrivée de réfugiés syriens après leur long périple de l’autre côté de la frontière. Voilà ce qu’il avait à dire sur les derniers arrivés au camp de Zaatari. – Jamie Collins.

Le froid de la nuit était si saisissant que j’ai trouvé refuge dans un Algeco occupé par des médecins du Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU (UNHCR). On s’assoit autour d’un thé, on patiente en luttant contre la fatigue. Il est presque une heure du matin et toujours aucun signe de l’arrivée des réfugiés. Agité, je sors rejoindre mes collègues qui partagent une cigarette dans la nuit sans étoile. Nous nous taisons soudain – on entend des cars au loin et, surgissant de la nuit noire et glacée, ils apparaissent. La première que l’on voit est une jeune fille, âgée de 5 ans peut-être, vêtue d’un manteau crème, qui marche avec une détermination qui n’est pas de son âge. Elle est suivie par deux jeunes mamans qui étreignent leurs enfants, emmitouflés dans des couvertures. Elles entrent dans la grosse tente d’accueil militaire où elles seront enregistrées, nourries et examinées avant qu’on leur attribue leur propre emplacement dans le camp de Zaatari. Je regarde les autres arriver. Des dizaines, des centaines… Près de deux mille d’ici l’aube. Un homme en costume qui tient la main de son fils ; un couple de personnes âgées qui peine à porter ses maigres possessions ; les larmes d’une femme enceinte ; un jeune homme porté au-dessus du sol rocailleux, dans son fauteuil roulant. Chaque visage semble hanté, marqué par l’épuisement, l’incertitude et la crainte. Les scènes rappellent celles de tant d’autres guerres, ces images en noir et blanc de civils déracinés, forcés à fuir en n’amenant que ce qu’ils peuvent porter : les souvenirs de leur ancienne vie. Mais il ne s’agit pas d’un passé tragique, il s’agit d’actualité ; la situation désespérée des personnes déplacées par la guerre syrienne, un conflit qui sombre chaque jour un peu plus dans la brutalité et la violence.

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Les chiffres dépassent la compréhension : plus de 70 000 morts, plus de 4 millions de déplacés et plus d’un million de réfugiés enregistrés par l’UNHCR. Rien qu’en Jordanie, on compte 340 000 réfugiés, dont une grande partie est enregistrée dans le camp de Zaatari. Ce chiffre devrait dépasser le million avant la fin 2013. Les personnes atteintes de handicaps chroniques ou liés à la guerre sont les plus menacées. Souvent effrayées à l’idée de se faire soigner dans les hôpitaux gouvernementaux, elles n’ont pas d’autres options que de quitter la Syrie. Les ONG type Handicap International apportent leur soutien, notamment en matière de rééducation, mais pour un handicapé, la vie quotidienne dans un camp de réfugiés est ingérable. Certains décident de quitter le camp et de louer des maisons dans la région. Cependant, les loyers ont presque triplé ces derniers mois. Aussi, leurs ressources sont limitées et beaucoup de logements ne sont pas adaptés.

Les jours suivants, je rencontre et photographie plusieurs réfugiés, j’écoute leur histoire. Les hommes, les femmes et les enfants, tous ces individus qui établissent les statistiques, ces gens normaux qui ont tout perdu, tout contrôle sur leur vie, aujourd’hui confrontés au futur sans espoir d’une vie de réfugiés. Pas de foyer, pas de nourriture, l’insécurité, l’impossibilité de travailler ou d’aller à l’école et l’accès limité aux soins – pour des familles, la plupart du temps, très nombreuses. Sachant que c’est leur seule option, on ne peut qu’essayer d’imaginer l’enfer que ces gens ont laissé derrière eux. Ce conflit est extrêmement complexe et soulève des questions que l’on ne cerne que difficilement. Mais tandis que l’on débat des avantages et des inconvénients d’armer l’Armée syrienne libre, que l’on se demande si la ligne rouge sera franchie avec l’utilisation d’armes chimiques et que l’on discute des ramifications de l’intervention, il semble qu’une vérité toute simple nous échappe. Chaque jour, des civils innocents sont tués, mutilés et contraints de mener une vie de réfugiés. Leur protection devrait être une priorité et nous devrions les soutenir sans condition.

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Camp de Zaatari, Jordanie. 30 mars 2013

Suivez Giles sur Twitter : @gilesduley

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Si vous voulez en savoir plus sur lui, c’est ici :

J’AI PARLÉ AVEC UN PHOTOGRAPHE QUI A PERDU SES MEMBRES EN AFGHANISTAN