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Tribune

J’ai payé mon loyer en me prostituant dans mon appartement

À la fin de son CDD de graphiste, Jade a eu recours au sexe tarifé pour éponger ses dettes – à l'insu de sa colocataire.

Il y a quelques mois, Jade – graphiste free-lance de 24 ans – a répondu à une annonce LeBonCoin pour sous-louer un appartement situé dans le 19e arrondissement de Paris. Le contact est bien passé avec la fille du propriétaire – Aurélia, une étudiante de 22 ans – et Jade a emménagé la semaine suivante. Le deal initial était une sous-location de l'une des deux chambres de l'appart pour six mois. Après plus de quatre mois de vie commune – et quelques mecs louches d'une quarantaine d'années qui déambulaient dans son appart – Aurélia a confronté Jade, qui a fini par lui avouer qu'elle se prostituait dans sa chambre. En l'espace de 120 jours, leur appartement commun était devenu un lieu de sexe à transaction commerciale.

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J'ai commencé à me prostituer il y a six mois. La première chose qui me revient à l'esprit, c'est que je suis venue à Paris pour bosser dans une boîte. Mais mon CDD s'est arrêté et je me suis mise à bosser en freelance. Je n'avais donc pas de job stable et je trouvais que la vie dans la capitale était horriblement chère. Il y avait aussi le remboursement de mon prêt étudiant qui contrastait avec mon besoin de liberté. J'avais ce sentiment que nous avons tous quand nous quittons notre ville natale pour la première fois. J'étais excitée, mais aussi un peu perdue. Que faire pour trouver ma place dans cette ville? Et dans le processus de production ? Je voulais produire, mais je n'avais pas assez de contacts professionnels pour le faire.

Je ne me souviens plus exactement comment j'ai connu cette fille, Alice – dans une boîte près des Champs-Élysées, je crois –, mais je me souviens qu'on avait beaucoup discuté. J'ai fini par la revoir souvent dans ce genre de soirées. Comme le veut la coutume du cercle social, je lui avais demandé dans quelle entreprise elle bossait, ce à quoi elle avait répondu : « Je bosse pour moi ». Mais après quelques soirées arrosées, elle m'a avoué qu'elle vendait ses services intimes pour mettre de l'argent de côté. Elle avait l'air de bien le vivre. Elle était presque fière de valoir autant auprès des hommes. Ça ne m'avait pas vraiment choquée – j'avais eu pas mal d'aventures avec toutes sortes de mecs, et j'étais assez ouverte. Moi aussi, j'aimais l'action plus que la romance.

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À ce moment de ma vie, je me sentais entre deux eaux – de courants différents. L'un était tranquille et m'emmenait dans un schéma classique de travail et d'embauche, l'autre était plus rapide et me donnait la possibilité de ne pas dépendre d'un travail pour gagner de l'argent. J'ai choisi la deuxième option. C'était une option facile, pour commencer. Je pensais que la boucle serait vite bouclée. Mais le problème, c'est qu'on y prend goût – à notre propre détriment. C'est comme au poker. Mon copain de l'époque jouait beaucoup au poker. Il me disait qu'il était devenu insomniaque à force de passer des heures à jouer devant son ordi pour gagner plus d'argent. Je me suis sentie comme une joueuse de poker. Je pariais avec mon corps.

Avant de connaître Aurélia, je vivais avec une connaissance dans son appartement du 12e arrondissement de Paris. Elle ne savait rien de mes manigances. Je n'étais pas fière des connotations sociales qu'impliquait mon job – alors j'avais décidé de garder cette histoire pour moi.

Je me souviens de la première fois. À ce stade, j'étais redevenue célibataire. J'avais mis mon annonce sur VivaStreet dans la rubrique « Rencontres Île-de-France », avec « massage » en service pour masquer l'affaire. J'avais tout de même mis des mots qui sonnaient pervers en description – « intime », « charmante », « agréable moment, « doigts de fée » – avec une photo de moi dénudée, mais pas trop. J'avais également mis mon numéro de téléphone. Deux jours après l'annonce, j'ai reçu un appel et j'ai décidé d'aller au bout. Le client est venu chez moi avant de repartir quelques heures plus tard. Le lendemain, dans la matinée, il m'avait contacté une nouvelle fois. Après m'être regardée longuement dans le miroir, j'ai refusé. Entre notre première et notre deuxième rencontre, un mois s'est écoulé.

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La situation a mal tourné avec ma colocataire de l'époque, alors j'ai dû quitter l'appart. J'ai ensuite cherché un nouveau toit – mais sans garant et sans revenu personnel, ce n'était pas facile. Je me suis tournée vers des solutions de particulier à particulier, dont Leboncoin. C'est là que j'ai rencontré Aurélia. Le courant est bien passé et j'ai emménagé chez elle - c'était l'appartement de son père -, dans le 19e arrondissement. Elle avait une chambre qui venait de se libérer – sa coloc avait eu des ennuis et était retournée chez elle en Italie pour quelque temps. L'annonce stipulait que c'était une espèce de sous-location de six mois avant que sa pote revienne.

Le loyer était de 750 euros par mois, mais je pouvais me le payer. Avec mon boulot de prostituée, mon temps était devenu précieux – et qui dit précieux dit très bien rémunéré. Sans le savoir j'étais devenue une professionnelle, mais à mi-temps. Avec cet arrangement, je pouvais choisir mes disponibilités, alors je ne me sentais pas obligée de quoi que ce soit. Je ne me plaignais pas de mon sort, je n'en imaginais juste pas d'autres. Et en plus, à partir du moment que l'argent rentre en compte dans une relation, l'amour disparaît et l'activité sexuelle est excusable – sanctifiée par le besoin de fric.

Ma nouvelle coloc, Aurélia, était étudiante. Du coup, c'était facile de cacher mes petites affaires : il me suffisait de le faire pendant qu'elle était à la fac. Et pour qu'elle ne se doute absolument de rien, je lui avais dit que j'avais plusieurs amants. Que j'étais une fille libre. Elle m'avait regardé bizarrement en entendant cette déclaration, mais je pense qu'il y avait aussi une part de jalousie. Toutes les filles sont jalouses de la vie sexuelle palpitante de leurs concurrentes, même si elles n'envient pas la situation personnelle et mentale qu'elles imaginent être instable dans ce genre de cas.

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Je n'ai jamais eu de clients réguliers, pour éviter qu'une routine s'installe et pour qu'il n'y ait pas de connivence particulière. Du coup, j'avais plein d'hommes différents dans mon lit.

Au bout de deux mois, Aurélia m'a parlé de ces hommes qui sentaient l'alcool et qu'elle voyait parfois avant d'aller à la fac. « Si tu ramènes des plans d'un soir, je ne veux pas les voir le matin quand je vais me doucher ». J'avais, c'est vrai, un peu dépassé les bornes.

Elle m'a réellement confronté deux semaines plus tard, quand elle a vu un préservatif devant la porte de l'appartement. Elle m'a montré la photo par sms avec « il faut qu'on parle » écrit en dessous. J'avais l'impression d'être dans un couple – la femme que l'autre n'aime plus. Le soir même, elle m'a dit qu'elle voulait me parler de ses suspicions.

Nous avons parlé. Nous étions dans la cuisine, chacune sur les comptoirs opposés. Elle m'a dit que j'étais inconsidérée et irrespectueuse et que je la mettais dans l'embarras. En trois mois de vie commune, on était devenues bonnes colocs et même bonnes copines, alors je pensais qu'elle comprendrait. Je lui ai partiellement expliqué mon cas le soir même, sans réellement rentrer dans les détails. Je lui avais dit que j'étais avide de sexe, mais je ne lui avais pas expliqué que je faisais payer mes partenaires. On s'est engueulées. Je suis allée me coucher tout de suite après.

« Je me suis sentie comme une moins que rien. Je ne pouvais rien faire. Ma colocataire m'a dit qu'elle me donnait deux semaines pour trouver un autre appartement et qu'après ça, j'étais à la rue.

Un froid s'était installé dans l'appartement, alors quelques jours plus tard j'ai décidé de lui avouer la situation. Je voulais faire mon mea culpa. C'était l'occasion de lui raconter mes activités et d'y mettre fin par la même occasion. Je voulais qu'elle sache le poids qui pesait sur mes épaules et qu'elle sache aussi que je voulais que ça s'arrête. Je vivais dans son appartement – l'appartement d'une fille qui était devenue mon amie – depuis près de quatre mois et j'avais transformé ma/sa chambre en local de prostituée. Tout ça avait pris des proportions plus grandes que ce que j'avais imaginé.

Quand je le lui ai dit – en confirmant ses soupçons – elle a décidé de me virer de son appartement. Je me suis sentie comme une moins que rien. Je ne pouvais rien faire. Elle m'a dit qu'elle me donnait deux semaines pour trouver un autre appartement et qu'après ça j'étais à la rue. Elle est allée vivre chez son copain pendant ces deux semaines. Je ne l'ai pas vue et elle n'a pas répondu à mes nombreux appels. Finalement les deux semaines sont passées, et je ne l'ai revue que pour lui donner les clés. Elle avait l'air désolé, un air qui disait « je ne peux pas faire autrement ». Je l'avais trahie.

Alors je suis partie squatter chez une pote dans la banlieue ouest de Paris – chez qui je suis toujours aujourd'hui –, le temps de trouver un autre logement. J'ai également supprimé mon compte VivaStreet. Il était temps de changer de vie. Ça a été une transition douloureuse et radicale. Grâce à cet argent, j'avais épongé ma dette et je pouvais vivre normalement. C'est ce que je fais aujourd'hui – et je cherche toujours une boîte pour m'embaucher.

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