Dans les camps palestiniens surpeuplés du Liban

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Dans les camps palestiniens surpeuplés du Liban

J’ai passé un mois dans ces foyers remplis de jeunes réfugiés au chômage et de fusils d’assaut.

Les armes sont omniprésentes dans les camps de réfugiés palestiniens du Liban. Sur l’une de mes photos, on voit une Kalachnikov posée sur un canapé. Elle appartient à un membre du service de sécurité d'un parti, qui l'avait laissée là après sa nuit de garde. Chaque parti politique du camp – Fatah, Hamas ou FPLP – entretient sa propre branche armée pour sa sécurité. Au-dessus d’eux, un comité de sécurité général s'occupe de maintenir l'ordre.

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J’ai réalisé ce reportage au Liban en février 2014, dans deux camps palestiniens de profil différent : celui de Chatila, dans la banlieue de Beyrouth, tristement célèbre pour le massacre qui s'y est déroulé en 1982, et celui de Beddawi, au nord de Tripoli.

En 1948, suite au retrait des troupes britanniques de Palestine, s'est produit ce que les Palestiniens appellent la « Nakba », ou « catastrophe ». Une guerre civile a éclaté entre les communautés juives et arabes, et les villes et villages ont été vidés de leurs habitants dans le cadre de la création d'un État juif : Israël. J'ai rencontré plusieurs survivants de cette époque, et tous décrivent des scénarios semblables. Ils se souviennent des milices armées par les Britanniques débarquant dans les villages désarmés (par les Britanniques également), séparant les hommes des personnes âgées, femmes et enfants et procédant à des exécutions sommaires. La Croix-Rouge s’est alors mise à construire des camps alentour pour accueillir ces réfugiés et les loger. Au départ, ils pensaient que ce ne serait que temporaire. 66 ans plus tard, ils sont encore là.

L'absence de dénombrement officiel et le nouvel afflux de réfugiés palestiniens au Liban rendent difficile les recensements de population. On peut toutefois considérer que, selon les estimations de différentes associations humanitaires, Chatila abriterait environ 30 000 personnes et Beddawi 40 000.

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Parmi ces gens, pas loin de la moitié a moins de 20 ans. Les jeunes sont partout, mais hélas le chômage atteint des taux records et il existe très peu d'infrastructures pour les accueillir. Nombre d'enfants se déscolarisent très vite, afin d’aider leurs parents à gagner de quoi vivre.

Chaque camp possède deux comités populaires : un pour l'administration, officiellement employé par l'UNRWA (l’Office de secours des Nations-Unis pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient), et l'autre pour la sécurité. Le parti majoritaire du camp, qu’il s’agisse du Fatah, du Hamas ou du FPLP, y est généralement à la tête. Les autorités libanaises n'ont quant à elles pas le droit d'intervenir à l'intérieur du camp : ici, ce sont les Palestiniens qui s'organisent eux-mêmes.

L'approvisionnement des camps est sujet aux mêmes problèmes que le reste du Liban. Si le camp de Beddawi, à l'écart de la ville, possède une voirie correcte et de l'eau potable à disposition, le camp de Chatila souffre pour sa part d'importantes coupures d’eau. Aussi, cette eau fournie est salée : elle attaque les tuyauteries et crée d'importants problèmes sanitaires. Les quartiers populaires de Beyrouth souffrent des mêmes problèmes.

La plupart des jeunes quittent l'école avant le brevet. D'autres se disent que l'école ne leur servira à rien, vu le peu de perspectives offertes aux Palestiniens du Liban : discrimination à l'embauche systématique, et une liste de 80 métiers qui leur sont interdits – métiers qualifiés de type ingénieur, médecin, etc. Beaucoup se retrouvent donc sans formation, à faire des petits boulots dans le bâtiment : décorateur, électricien ou maçon.

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Mais les boulots restent rares, surtout dans une période aussi peu florissante pour l'économie libanaise. Les plus diplômés et ceux qui maîtrisent une langue étrangère peuvent au mieux espérer travailler pour une ONG qui s'occupe d’autres réfugiés : des Syriens ou des Palestiniens de Syrie. Par exemple, un professeur d'histoire que j’ai croisé là-bas m’a raconté qu'il travaillait au Liban comme chauffeur pour plusieurs ONG différentes. Selon l'employeur, ils touchent un salaire correspondant à leur tâche – ou parfois inférieur. Mais leur emploi n'est jamais garanti. On peut les renvoyer du jour au lendemain et aucun d’eux ne bénéficie de protection sociale.

À l'intérieur du camp, on compte de nombreuses petites épiceries, vente de primeurs ou boucheries. On croise aussi des cafés, sandwicheries, salles de jeux et cyber-cafés. Les plus démunis poussent des roulottes pour vendre des jus, cafés, fruits et légumes, ou fouillent dans les poubelles pour ramasser le fer et le plastique qu’ils revendront par la suite. « Ma fi shoghol » – pas de travail, en arabe. Cette phrase revient dans toutes les bouches.

Au fil des années, les jeunes deviennent de plus en plus amers, échafaudent des plans improbables qui leur permettront peut-être d'atteindre l'eldorado : l’Union européenne. Les femmes, de leur côté, restent à la maison, et s'occupent de la bonne tenue du foyer. Parfois, elles s'investissent dans des associations de femmes. Mais la précarité des camps nourrit le conservatisme. La plupart du temps, les réfugiés palestiniens de Syrie qui arrivent dans les camps libanais hallucinent : en Syrie, ils avaient les mêmes droits que les autochtones et souvent avaient pu étudier et travailler. Ici, c’est impossible.

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Les réseaux sociaux représentent l’un des seuls moyens pour les jeunes de s'évader un peu. Ils restent scotchés toute la journée à l'écran de leur laptop. Cette situation commence à inquiéter les plus âgés, car elle induit un changement de comportement au sein de la cellule familiale. Un changement politique aussi, car ces jeunes échappent au contrôle des partis traditionnels. Ainsi, des manifestations pour demander le droit à l'émigration ont surgi à la grande surprise – et inquiétude – du Fatah et du Hamas, qui ont tout fait pour les juguler.

Pour les jeunes des camps, Israël demeure la source de tous leurs problèmes. Pour autant, je n'ai entendu que très rarement des propos antisémites. Les habitants des camps n'ont aucun problème avec la religion juive ; ils ont un problème avec le colonialisme d’Israël, qui les a chassés de chez eux et qui continue à faire des victimes au sein de leur peuple. Vivant au quotidien la surpopulation des camps, tous espérent un jour retourner sur les terres de leurs ancêtres – terres qu'ils n’ont jamais vues et imaginent à travers les récits de leurs aînés.

Même s'ils rêvent de partir à la reconquête de la Palestine, les plus jeunes combattants des camps n'ont souvent jamais tiré le moindre coup de feu. Les plus âgés seulement ont vécu la guerre civile libanaise des années 1980.

La tension quotidienne est telle dans les deux camps que le moindre incident peut dégénérer. L'omniprésence des armes n'aide pas. En un mois, j'ai assisté à plusieurs conflits partis de rien et qui se sont finis avec deux familles dans la rue, avec des médiateurs au milieu. D'autre part, dans certains camps, les tensions politiques liées à la crise syrienne peuvent dégénérer en affrontement armé comme ce fut le cas récemment à Ayn el-Helwe, dans le sud du pays. Au demeurant bien sûr, la communauté est très soudée. Personne ne mourra de faim dans un camp palestinien.

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Pour autant, les discriminations dont souffrent les Palestiniens de la part de l'État libanais et l'absence de futur pour les jeunes générations engendrent une situation sociale sur le fil du rasoir. Il suffit d'une étincelle pour mettre le feu à la poudrière des camps. C’est ce qu'ont par ailleurs bien compris les groupes sunnites radicaux proches de l'EIIL, qui y recrutent actuellement des candidats à l'attentat-suicide. Tâche aisée, quand on y réfléchit : les terroristes sont aujourd’hui les seuls à leur donner un but.

Yann Renoult est un jeune photographe français. Il a notamment collaboré avec Geo, Télérama et The Ground. Vous pouvez découvrir le reste de son boulot sur son site.