FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

William Friedkin aime autant la France que les Français

À l'occasion de la nouvelle sortie de Sorcerer, le réalisateur nous a parlé de son temps passé à Marseille et de son pote Alain Resnais.

La semaine dernière, le chef d'œuvre Sorcerer : Le convoi de la peur de William Friedkin est ressorti au cinéma. Remake du fameux Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot, le film que le cinéaste considère comme son meilleur revient en salles, dans une version restaurée – et surtout, il s'agit du director's cut. Une belle revanche quand on connait la malédiction qui entoure le long-metrage : tournage apocalyptique, les trois-quarts de l'équipe qui démissionnent pour cause de malaria, des acteurs qui se désistent – tout ça pour un résultat brillant, mais qui est passé injustement inaperçu lors de sa sortie en 1977.

Publicité

C'était l'occasion parfaite pour revenir avec le cinéaste sur cette expérience, mais aussi l'ensemble de son œuvre – sans oublier son attachement au cinéma français et à la France. Si on a tendance à l'oublier, Friedkin a toujours été très proche de certains réalisateurs bien de chez nous, dans ses influences comme dans sa vie privée. J'ai discuté avec lui de sa carrière, et des nombreux enfants illégitimes qu'un autre de ses chefs d'œuvres a engendré malgré lui : L'Exorciste, dont s'inspirent toujours une tripotée de réalisateurs, comme les créateurs d'Insidious Chapitre 3.

VICE : Qu'est-ce qui t'a séduit dans un projet comme Sorcerer : Le Convoi de la peur ?
William Friedkin : L'histoire traitait de sujets qui m'intéressaient beaucoup à l'époque. Ça me fascinait de voir comment les grosses sociétés américaines exploitaient les pays pauvres, comme l'American Fruit Company avec la Colombie, le Brésil et l'Equateur. Si les locaux réclamaient des salaires plus élevés, ils pouvaient se faire tuer. Et à l'époque de la Guerre froide, les plus grosses puissances mondiales avaient désormais les moyens de s'entretuer et de détruire le reste du monde au passage. J'ai lu le livre Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez qui évoquait ces thématiques, et ça m'a beaucoup plu. Ensuite, j'ai appris qu'il existait déjà un film qui correspondait à cet univers : Le Salaire de la peur, d'Henri-Georges Clouzot. C'est là que j'ai commencé à réfléchir à une nouvelle version de cette histoire. Avec des personnages différents, des dialogues différents et une histoire modifiée. Bien que les droits appartiennent à Georges Arnaud qui avait écrit le roman dont est tiré Le Salaire de la peur, je suis allé voir Clouzot directement pour lui dire que je voulais faire un film sur cette histoire.

Publicité

Comment ça s'est passé ?
Je lui ai dit que mon film ne se comparerait jamais au sien, car il avait fait un chef d'œuvre ! En plus, j'adorais les performances de Charles Vanel, Yves Montand et Folco Lulli. Je le considérais comme un grand film à suspense. Je voulais en faire une nouvelle version, de la même façon que des metteurs en scène livrent chaque année des nouvelles versions de classiques comme Hamlet. Ce ne sont pas des remakes les uns des autres – c'est juste un nouveau regard sur la même œuvre.

Clouzot m'a encouragé à le faire, il a compris ma démarche. Je ne peux pas dire qu'il sautait de joie, mais il n'était pas non plus mécontent. Je l'ai rassuré en lui disant tout le respect que j'avais pour son film, et je lui ai donné un pourcentage des bénéfices de Sorcerer. Sauf qu'il n'y en a jamais eu… Et évidemment c'est à lui que mon film est dédié, je tenais à ce que ça apparaisse à l'écran. On a eu les droits, on a développé notre script autour d'une idée simple : quatre hommes qui ne se connaissent pas, qui se haïssent mais qui sont forcés de coopérer s'ils ne veulent pas mourir.

Image issue de Sorcerer, 1977

Le cinéma français t'intéressait à l'époque ?
Beaucoup, oui. Je regardais tous les Godard, Resnais, Chabrol et Lelouch. J'adore tout ce que Claude Lelouch a fait à ses débuts. Pareil Pour Henri Verneuil.

Tu étais très influencé par la Nouvelle Vague, du coup.
Totalement. À l'époque, qui ne l'était pas ? J'étais aussi tourné vers le néo-réalisme italien, des années 1950-60. Mais c'est vrai que la Nouvelle Vague m'influençait énormément. Surtout le travail d'Alain Resnais, que je connaissais personnellement. C'était le témoin à mon premier mariage, avec Jeanne Moreau, à l'Hôtel de Ville ! En fait c'est Alain qui nous avaient présentés. Je pense que ses films sont assez difficiles d'accès pour le public d'aujourd'hui, mais ils restent uniques. Même s'ils sont parfois durs à comprendre, c'était du pur cinéma. Par la suite, c'est plutôt les films de Costa-Gavras qui m'ont beaucoup inspiré. Pas dans le sens où ça m'a donné envie de faire des films identiques, il n'était pas question d'imiter qui que ce soit. En fait, la seule fois où j'ai adapté une histoire déjà portée à l'écran, c'était pour Sorcerer.

Publicité

C'est cet attachement au cinéma français qui t'a fait choisir Bruno Cremer ?
Un peu, oui. Je l'avais vu dans un film de Claude Lelouch et je l'aimais bien. Je trouvais qu'il pouvait être crédible dans le rôle du banquier, tout en n'étant pas ridicule quand le personnage change de vie et est forcé de faire des travaux manuels. C'était important pour moi d'avoir un Parisien, entre un type du New Jersey, un Palestinien et un Espagnol. Évidemment, le personnage aurait pu être Italien et avoir des scènes à Rome, mais je tenais à en faire un banquier qui gravite autour de la Bourse de Paris : c'était l'occasion de tourner ici et de profiter de la ville ! À moins d'être un peu bizarre, tu es obligé d'aimer cette ville, la culture française, la bouffe, l'architecture… Je suis né à Chicago, alors j'ai une attirance naturelle pour ce genre de ville.

Image issue de French Connection, 1971

Quel est ton souvenir de Marseille, où tu as tourné des scènes de French Connection ?
Pour le coup, c'était un choix exigé par l'intrigue du film, basée sur les relations criminelles et le trafic international qui existait entre New York et Marseille. Mes souvenirs de Marseille, c'est surtout que la ville où j'ai filmé mes séquences n'a plus rien à voir avec celle d'aujourd'hui ! On y est passés avec ma femme il y a un mois. C'est une toute nouvelle ville ! Ils ont reconstruit plein de trucs… J'ai aussi entendu dans les médias qu'il y avait maintenant des gros problèmes de sécurité dernièrement. Mais ça ne correspond pas vraiment à ce que j'ai vu. D'ailleurs, là-bas des amis m'ont dit qu'il y avait effectivement des problèmes, mais pas présentés comme on peut le voir dans la presse. En tout cas, le côté « no-go zone » ça n'existe pas. Bref, j'ai retrouvé l'endroit où j'avais filmé ma scène, c'est ahurissant comme ça a changé : les bâtiments, la peinture… Ce n'est pas plus dangereux que New York, et certainement moins dangereux que Chicago ! Toutes les rumeurs qu'on entend aux Etats-Unis sont déformées. Malgré les changements, je me suis rappelé ce que j'avais pensé la première fois que j'avais vu la ville, en 1970 : une magnifique ville portuaire, qui offre de très beaux plans pour un cinéaste.

Publicité

Le tournage de Sorcerer a été un cauchemar. Quand tu entends des gens regretter la façon de faire du cinéma à l'ancienne, tu en penses quoi ?
Ils ne savent pas de quoi ils parlent ! Faire un film était tellement plus compliqué à l'époque. Aujourd'hui, avec les ordinateurs, tu peux faire le même long-métrage sans t'emmerder à prendre des risques juste pour avoir le décor qui te convient. Je n'ai pas de nostalgie particulière à ce niveau là, même si je pense que les films américains, français, italiens et japonais étaient meilleurs à l'époque. Ceci dit, je ne me tiens plus assez au courant pour l'affirmer à 100%. Mais le dernier film tourné en France que j'ai trouvé excellent, c'était l'Autrichien Michael Haneke qui l'avait réalisé. Caché et Amour sont très bons.

Personnellement, j'ai plus de respect pour Massacre à la tronçonneuse que pour les films d'exorcisme. Un truc sur des tarés qui découpent des gens, ça change un peu.

Aucun autre film français récent ne t'a marqué ?
Je sais que Godard est toujours en activité, j'ai vu son dernier film en 3D mais je n'ai pas accroché. On m'a dit beaucoup de bien du dernier Arnaud Desplechin mais je n'ai pas pu le voir, je manque de temps. Je suis un peu plus les Italiens comme Paolo Sorrentino ou Matteo Garrone. Attends, j'oublie Jacques Audiard, même si je n'ai pas vu son dernier, j'avais adoré Un Prophète. Il y a aussi Gaspar Noé que j'ai rencontré à la Cinémathèque il y a deux ans, j'avais adoré Irréversible. Tu l'as vu ?

Publicité

Ouais, c'était sympa et ça avait un peu choqué à l'époque – surtout à Cannes.
Ah, Cannes. Je n'y vais jamais, ça ne m'intéresse pas. Mon film Bug avait été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, donc j'ai dû faire le déplacement pour faire des interviews, mais ce n'est pas du tout mon truc. Je préfère Deauville, qui est un endroit plus sain pour le cinéma. Il y a moins le côté showbiz. Je fuis ça à Los Angeles aussi : les yachts, traîner avec des mannequins, je n'ai jamais couru après ça. Pour Bug, le distributeur tenait à le présenter, donc je leur ai dit OK mais pas en compétition, juste à la Quinzaine. Et après, évidemment, j'ai appris que la Quinzaine était aussi une compétition… Je n'aime pas ça, je n'y crois pas. Je ne crois pas qu'on puisse établir une hiérarchie dans le cinéma. Tu ne peux pas dire officiellement qu'un film est meilleur qu'un autre. Ça marche dans le sport, parce que c'est net et précis : tu cours plus vite qu'un autre, c'est clair. Mais pour du cinéma, chacun ses goûts. Les miens sont sans doute différents des tiens, alors dire « Untel est meilleur qu'Untel », c'est carrément absurde !

Image issue de L'Exorciste, 1974

On te connaît entre autres pour le chef d'oeuvre L'Exorciste. Depuis quelques années, les films d'exorcisme sont revenus à la mode, et…
Et c'est de la merde (rires). Je ne peux pas regarder ça. Le dernier bon film d'angoisse que j'ai vu, c'était Mister Babadook. C'était beaucoup plus profond que plein de films d'horreur.

Publicité

Ce qui est un peu frustrant, c'est que plein de films s'inspirent de passages de L'Exorciste, mais juste la partie spectaculaire.
Exactement. Ils n'ont rien compris. L'Exorciste était un film sur la foi. Je ne suis pas catholique, mais j'ai fait beaucoup de recherches à l'époque. Pour moi, c'était un film sur le mystère de la foi, et le pouvoir de la foi. Le combat entre le Bien et le Mal, le fait que Satan ait possédé le corps de cette petite fille, c'était pour montrer que l'humanité était corrompue, et que le prêtre se dresse contre cette idée.

Je n'ai vu que 10 minutes de L'Exorciste 2, et c'était infâme, je n'ai pas tenu plus longtemps que ça. Les autres suites, j'ai évité. À la limite, j'ai apprécié le premier Paranormal Activity et Le Projet Blair Witch. L'idée de la caméra subjective c'était une bonne initiative, ça fait une différence. Personnellement, j'ai plus de respect pour Massacre à la tronçonneuse que pour les films d'exorcisme. Un truc sur des tarés qui découpent des gens, ça change un peu.

J'ai pourtant lu que tu avais donné des conseils au réalisateur d'Insidious chapitre 3.
Oui, Leigh Whannell est venu me voir pour me demander des trucs. Comment créer une atmosphère angoissante, etc. Je lui ai donné mon astuce : surprendre les acteurs dès que tu peux. Tu dois les choquer un maximum si tu veux de l'intensité. Si tu filmes un acteur qui joue un mec concentré pour X ou Y raison, interrompu dans ses pensées par une sonnerie de téléphone, ça ne va pas être intéressant si tu l'as prévenu. La plupart des réals ne vont même pas lui faire entendre la sonnerie, ils vont juste lui demander de « jouer la surprise ». Moi si je veux obtenir ça, je vais tirer un coup de fusil (chargé à blanc) juste à côté de lui. Là, sa réaction sera sérieuse. J'ai fait ça plusieurs fois.

À propos de surprise, la scène du chicken wing dans Killer Joe, tu as préparé les acteurs comment ?
Ah, Killer Joe… je partage la vision de l'humanité qu'a l'auteur de la pièce dont est tirée le film. C'est assez sombre mais ce n'est pas un jugement de valeur : je montre juste qu'il existe des gens assez tarés pour engager un tueur et lui demander de liquider leur propre mère. Il y avait un côté parano et claustro. Pour cette scène, j'ai juste expliqué à l'actrice « OK, Matthew McConaughey va se mettre là, avec un chicken wing dans la braguette. Il va te forcer à sucer, va falloir que tu sois terrifiée ». En réalité, c'est un truc complètement stupide quand t'y réfléchis : si tu veux humilier ce personnage, autant lui faire sucer une bite. Mais du coup, il y a un côté absurde. Juste avant de tourner la scène, j'ai fait en sorte qu'elle soit super flippée, je l'ai effrayée du mieux que je pouvais, sinon ça ne marchait pas. Le décalage vient aussi de McConaughey lui-même : le rôle est écrit pour un vieux dégueulasse, mais le voir lui dans cette situation, c'est tout de suite intéressant.

Un dernier mot ?
Je vais écrire et réaliser un film sur Mae West. C'était une actrice qui a fait scandale en osant aborder le thème du sexe alors que c'était tabou à l'époque. Je bosse aussi sur l'adaptation de mon film Police Fédérale de Los Angeles en série, qui sera cette fois centré sur les « méchants ».

Retrouvez Yérim sur Twitter.